Ce n'est pas justement ce rôle symbolique qu'on a beaucoup reproché à l'Union africaine? Son exigence de non-ingérence notamment, l'a tenue à l'écart de conflits majeurs en Afrique, alors que d'autres organisations sous-régionales, comme la CEDEAO, se sont montrées beaucoup plus efficaces?
C'est vrai que sur quelques dossiers importants l'UA comme l'OUA ont été inefficaces, parfois même silencieuses. Je pense notamment à ce qu'on a appelé
"le printemps arabe", l'UA s'est faite remarquer par son silence, tout particulièrement par rapport à la Libye, puisque le colonel Kadhafi a été l'initiateur du passage de l'OUA à l'UA, et le bailleur de fonds le plus important de ces organisations panafricaines. Du coup, ce sont effectivement quelques organisations régionales qui sont réellement efficaces, la CEDEAO en est un bon exemple. Mais je crois que le niveau symbolique sur lequel agit l'UA est aussi important, et elle prend des mesures qui ne sont pas toujours très visibles, mais qui sont déterminantes. Nous venons par exemple de mettre au point une
"panafrican university" (université panafricaine - ndlr), de très haut niveau, qui rêve d'être à l'Afrique ce que le
MIT peut être aux Etats-Unis. Nous avons aussi des projets de transports, la création de réseaux routiers et demain, peut-être, ferroviaires qui soient panafricains, avec entre autres le rêve, qui remonte d'ailleurs aux colonisateurs, de relier le Cap au Caire. Toute une série de projets techniques donc, pas visibles au premier regard mais qui peuvent faire beaucoup. Certains disent même que le fait même que l'UA continue d'exister est peut-être l'un de ses succès les plus importants.
La continuité entre l'OUA et l'UA est donc la volonté de porter une voix panafricaine... Est-ce que les premiers combats de l'OUA, lutter contre le colonialisme et l'apartheid, sont eux aussi toujours d'actualité?
Par rapport à la colonisation classique, les objectifs ont été atteints, mais par rapport aux formes rampantes de néo-colonialisme ou de domination, ou de rapports exclusifs avec les autres puissances, c'est vrai qu'il y a encore du travail. En ce moment, chacun se débrouille, et comme tout le monde a le couteau sous la gorge, on y va de manière égoïste, sans penser à se coordonner les uns avec les autres. La colonisation est passée, mais on se rend bien compte que la xénophobie reste vive, peut-être même qu'elle s'est accrue. L'Afrique du Sud, qui a bénéficié de l'aide de tout le continent pour sortir de l'Apartheid est aujourd'hui devenue beaucoup plus protectionniste que n'importe quel pays d'Europe, par rapport aux ressortissants africains. Là où je suis, en Ethiopie, il est intéressant de remarquer qu'on y rentre beaucoup plus facilement avec un passeport de l'Union européenne qu'avec un passeport d'un Etat africain.