Elikia M'Bokolo : l'espérance dans l'Union africaine

Le 25 mai 2013, voici exactement cinquante ans que l'Organisation de l'unité africaine a été créée, transformée en Union africaine en 2002. C'est bien la continuité de l'organisation panafricaine que l'Ethiopie célèbre aujourd'hui, dans sa capitale. Présent à Addis-Abeba, l'historien Elikia M'Bokolo, dont le prénom signifie "espérance", veut croire en la puissance unificatrice de l'Union africaine.
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Elikia M'Bokolo : l'espérance dans l'Union africaine
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Elikia M'Bokolo : l'espérance dans l'Union africaine
Elikia M'Bokolo est un historien congolais, specialiste de l'histoire sociale, politique et intellectuelle de l'Afrique
Que peut-on attendre de ce cinquantième anniversaire?
 
Au moins deux choses, peut-être trois avec un peu de chance. D'abord, que l'Union africaine s'engage de manière précise dans les problèmes que certains Etats fragiles du continent sont appelés à rencontrer. Il ne faut pas que des situations comme on en a connu au Mali, au Rwanda, en RDC ou en Centrafrique se reproduisent dans le silence absolu et l'inaction du continent africain. C'est le premier dossier, et je ne pense pas que ça soit le plus difficile, car les principes existent déjà dans les textes de l'Union africaine. D'autre part, dans le contexte de la crise économique mondiale, il faut que les Africains posent quelques priorités. Dans des domaines techniques - une solidarité financière par exemple - ainsi que des politiques communes dans le secteur agricole. On voit en ce moment chaque pays vendre des milliers d'hectares à des compagnies privées, comme si on revenait à la fin du XIXème siècle avec la colonisation. Enfin, l'Afrique est totalement absente de la scène politique mondiale. Il n'y a pas de télévision ni de radio panafricaines, alors que nous avons des gens de talent. Si nous voulons parler le même langage sur un certain nombre de questions importantes, il faut que nous ayons également les moyens de les faire connaître au public panafricain. Pour moi, si ces trois dossiers sont mis sur la table, on aura au moins fait quelque chose de positif, en profitant notamment des gens biens disposés à notre égard qui seront présents, comme François Hollande et le gouvernement américain actuel (en la personne de John Kerry - ndlr), qui ne risque pas de revenir de si tôt.
 
L'Union africaine n'est-elle pas trop hétéroclite pour parler d'une seule voix?
 
Je crois que c'est justement ce qui fait sa force. On a des Etats dont l'histoire est différente évidemment, des assises religieuses variées, entre les Etats à dominante islamique, les Etats à dominante chrétienne et les autres qui oscillent entre religions traditionnelles et les religions du livre. Nous avons aussi des ressources et des potentialités économiques différentes et je crois que si nous arrivons à nous mettre d'accord, on aura été parmi les premiers à donner corps à cette utopie panafricaine. Il me semble que si l'on développait des politiques linguistiques, notamment faire en sorte que certaines langues importantes deviennent des langues de seconde main ou de troisième main en Afrique, comme la langue arabe, le swahili, certaines formes de créole, on arriverait sans doute à surmonter ces clivages. Moi, je suis un homme de media, et je pense que c'est à travers la "soft power" ("puissance douce" - ndlr) que l'Union africaine peut agir. A travers le cinéma par exemple, nous venons justement de créer un fond panafricain pour le cinéma et l'audiovisuel qui est destiné à donner à l'Afrique, comme ensemble, des opportunités qui lui sont propres.
 
Ce n'est pas justement ce rôle symbolique qu'on a beaucoup reproché à l'Union africaine? Son exigence de non-ingérence notamment, l'a tenue à l'écart de conflits majeurs en Afrique, alors que d'autres organisations sous-régionales, comme la CEDEAO, se sont montrées beaucoup plus efficaces?
 
C'est vrai que sur quelques dossiers importants l'UA comme l'OUA ont été inefficaces, parfois même silencieuses. Je pense notamment à ce qu'on a appelé "le printemps arabe", l'UA s'est faite remarquer par son silence, tout particulièrement par rapport à la Libye, puisque le colonel Kadhafi a été l'initiateur du passage de l'OUA à l'UA, et le bailleur de fonds le plus important de ces organisations panafricaines. Du coup, ce sont effectivement quelques organisations régionales qui sont réellement efficaces, la CEDEAO en est un bon exemple. Mais je crois que le niveau symbolique sur lequel agit l'UA est aussi important, et elle prend des mesures qui ne sont pas toujours très visibles, mais qui sont déterminantes. Nous venons par exemple de mettre au point une "panafrican university" (université panafricaine - ndlr), de très haut niveau, qui rêve d'être à l'Afrique ce que le MIT peut être aux Etats-Unis. Nous avons aussi des projets de transports, la création de réseaux routiers et demain, peut-être, ferroviaires qui soient panafricains, avec entre autres le rêve, qui remonte d'ailleurs aux colonisateurs, de relier le Cap au Caire. Toute une série de projets techniques donc, pas visibles au premier regard mais qui peuvent faire beaucoup. Certains disent même que le fait même que l'UA continue d'exister est peut-être l'un de ses succès les plus importants. 
 
La continuité entre l'OUA et l'UA est donc la volonté de porter une voix panafricaine... Est-ce que les premiers combats de l'OUA, lutter contre le colonialisme et l'apartheid, sont eux aussi toujours d'actualité? 
 
Par rapport à la colonisation classique, les objectifs ont été atteints, mais par rapport aux formes rampantes de néo-colonialisme ou de domination, ou de rapports exclusifs avec les autres puissances, c'est vrai qu'il y a encore du travail. En ce moment, chacun se débrouille, et comme tout le monde a le couteau sous la gorge, on y va de manière égoïste, sans penser à se coordonner les uns avec les autres. La colonisation est passée, mais on se rend bien compte que la xénophobie reste vive, peut-être même qu'elle s'est accrue. L'Afrique du Sud, qui a bénéficié de l'aide de tout le continent pour sortir de l'Apartheid est aujourd'hui devenue beaucoup plus protectionniste que n'importe quel pays d'Europe, par rapport aux ressortissants africains. Là où je suis, en Ethiopie, il est intéressant de remarquer qu'on y rentre beaucoup plus facilement avec un passeport de l'Union européenne qu'avec un passeport d'un Etat africain.
 
D'un autre côté, les ONG dénoncent souvent l'UA comme étant l'occasion d'un rendez-vous de nombreux dictateurs... 
 
C'est vrai, mais comme les régimes de dictature aujourd'hui en Afrique ont l'astuce de présenter des arguments pour leur défense, on les accepte : il y a ceux qui affirment qu'ils ont dû recourir à la force pour lutter contre des dictatures, justement, ceux qui se replient derrière une situation de crise, en affirmant que leurs élections ne sont peut-être pas conformes aux règles de transparence et d'égalité, mais qu'il s'agit d'un moindre mal pour le moment. Mais c'est toujours le principe de non-ingérence qui impose de ne pas montrer du doigt, au sein de l'Union africaine, un pays où il existe des violations graves des droits de l'Homme ou des problèmes de corruption. Les textes de l'OUA condamnent vivement ces pratiques mais on fait semblant de ne pas les voir. Cela ne veut pas dire que les ONG ne sont pas entendues. A l'UA, on ne lave pas son linge sale en public, mais ça ne veut pas dire qu'on ne le lave pas. On est à l'écoute des ONG, et on va porter leurs revendications en coulisses, en faisant pression sur les chefs d'Etat en leur expliquant que pour leur propre image et leur politique internationale, il est très négatif d'être confrontés aux accusations des ONG, que l'UA contribue d'ailleurs à financer. 
 

50 ans d'Union africaine

The Africa Report
Mai 1963
Création de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Addis-Abeba. "C'est un grand pas en avant, déclare le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. Nous n'avons pas le droit d'échouer."

Février 1966
Kwame Nkrumah, premier président du Ghana et panafricaniste convaincu (il a participé à la création de l'OUA et rêvait de former un gouvernement central africain), est renversé par un coup d'Etat militaire. 

Septembre 1967
L'OUA condamne les volontés sécessionnistes du Biafra, dans le sud-est du Nigéria. 

Juin 1974
Démission du secrétaire général de l'OUA, Nzo Ekangaki, éclaboussé par les révélations dans Jeune Afrique d'un scandale l'impliquant aux côtés de la Lonrho, une firme rhodésienne alors sous embrago. Le président Ahidjo usera de son influence pour faire nommer un autre Camerounais à sa place.

Janvier 1976
L'Angola tout juste indépendant et en pleine guerre civile divise l'OUA : vingt-deux pays reconnaissent le MPLA (Mouvement populaire de libération de l'Angola), vingt-deux reconnaissent l'Unita (Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola) et deux reconnaissent le FNLA (Front national de libération de l'Angola). 

Juillet 1979
Les dirigeants de l'OUA s'impliquent dans la résolution de la crise du Sahara occidental, dont l'Espagne s'est retirée trois ans plus tôt. Ils proposent un cessez-le-feu entre les troupes marocaines et le Front Polisario ainsi qu'un référendum d'autodétermination. Le Maroc refuse et se retire de l'organisation, en 1984, quand celle-ci décide de reconnaître la République arabe sahraoui démocratique (RASD). 

Avril 1980
- Sommet économique extraordinaire à Lagos. L'OUA propose d'accélérer l'intégration régionale et la création d'un marché commun africain.
- Indépendance du Zimbabwe. Avec l'arrivée au pouvoir de Robert Mugabe, les adversaires de l'apartheid, en Afrique du Sud, prennent l'avantage. 

Janvier 1986
Yoweri Museveni s'empare du pouvoir en Ouganda. Certains dirigeants affirment que l'OUA est devenue "un syndicat de dictateurs". 

Novembre 1987
Le sommet de l'OUA est consacré à la lutte contre la crise de la dette étrangère de l'Afrique, qui s'élève à 200 milliards de dollars. L'Initiative pays pauvres très endettés (PPTE) sera lancée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale en 1996. 

Février 1990
La chute du mur de Berlin, en novembre 1989, a des répercussions jusque sur le continent africain. En pleine transition démocratique, le Bénin adopte une nouvelle constitution et autorise le multipartisme. Vingt pays feront de même. Jacques Pelletier, ministre de la Coopération de François Mittérand, déclare: "Le vent du changement a secoué les cocotiers."

Avril 1994
-L'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est le prétexte au déclenchement du génocide des Tutsis (800 000 morts). 
-Première élections libres d'Afrique du Sud. Nelson Mandela est élu à la magistrature suprême et le Congrès national africain (ANC) remporte les législatives. 

Juillet 1999
Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OUA se retrouvent à Alger pour des pourparlers de paix entre l'Ethiopie et l'Erythrée. Le conflit frontalier qui les oppose a fait plus de 100 000 morts. 

Juillet 2001
Lors du sommet de Lusaka, l'OUA approuve la décision prise à Syrte (Libye) cinq mois plus tôt et crée l'Union africaine. Le lancement du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) est également confirmé.

9 juillet 2002
Lancement officiel de l'UA à Durban, en Afrique du Sud.

2004
Inauguration du Parlement panafricain en Afrique du Sud et du Conseil de paix et de sécurité à Addis-Abeba. 

Juillet 2007
Débats houleux, lors du sommet d'Accra, autour de la création d'un gouvernement africain des Etats-Unis d'Afrique. 

Janvier 2011
Les dirigeants de l'UA se réunissent à Addis-Abeba. Un vent de révolte souffle déjà sur le Maghreb ; il emportera les présidents Ben Ali (Tunisie), Moubarak (Egypte) et Kadhafi (Libye). 

Juillet 2012
La Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma devient la première femme à présider la Commission de l'UA. Elle a été élue face au Gabonais Jean Ping.