Fil d'Ariane
Philippe Chassaigne est spécialiste de la Grande-Bretagne et professeur d'histoire contemporaine à l'université Bordeaux-Montaigne. Il est également l'auteur de "Histoire de l'Angleterre", (Flammarion) et de "La Grande-Bretagne et le monde de 1815 à nos jours", (Armand-Colin).
Sa Majesté la Reine Elizabeth II a incarné la continuité et l’unité de la nation britannique plus de 70 ans durant. Je garde le souvenir d’une amie de la France, une reine de cœur qui a marqué à jamais son pays et son siècle.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) September 8, 2022
Elizabeth II découvre l’Hexagone lorsqu’elle n’a que 22 ans, en 1948. C’est sa première visite officielle à l'étranger en tant que princesse héritière. La reine fera son dernier voyage en France en 2014, pour se rendre aux commémorations du 70e anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie.
De Vincent Auriol à Emmanuel Macron, Elizabeth II aura rencontré tous les présidents de la IVème et de la Vème République française, de quoi garantir une amitié solide etre la France et le Royaume-Uni, en dépit de toutes les crises politiques (y compris les plus récentes) qu’ont connus les deux pays depuis 70 ans. Une amitié sans doute renforcée par son aisance à parler francais, comme le raconte Philippe Chassaigne. "Lors de son premier voyage en France à Paris, il est assez intéressant de voir qu'au début - comme lorsqu’Édouard VII est venu dans la capitale en 1903 - on la traitait avec condescendance en disant "La petite princesse". Mais une fois qu'elle est partie, tous les Français criaient "Vive la Reine !" avec respect".
Dans la vie d’Elizabeth II, les voyages d’État sont une chose, les voyages de loisir en sont une autre. Durant son règne, elle a en effet multiplié les séjours dans l’Hexagone, il se dirait même que la France est le pays d’Europe dans lequel elle s’est le plus rendue. "Elizabeth II appréciait les produits français : le champagne, les vins de Bourgogne, les Bordeaux. Ils étaient d'ailleurs régulièrement servis à sa table lors des dîners d’État. La reine appréciait toutes les richesses du terroir français. Elle aimait également les visites privées en France, notamment en Normandie. Passionnée de chevaux elle y visitait des haras. On peut dire qu’elle avait vraiment une fibre francophile, liée à son éducation pendant la Seconde Guerre Mondiale", souligne Philippe Chassaigne.
Si Elizabeth II était "une amie de la France", elle était également une amie de la francophonie, notamment au Canada.
Interrogé sur LCN (une chaîne de télévision spécialisée québécoise d'information continue, ndlr), ce jeudi 8 septembre, l’ancien Premier ministre du Canada Brian Mulroney a par exemple souligné l’amour d’Elizabeth II pour "les différences au Canada" ainsi que le "respect qu’elle vouait à l’histoire du bilinguisme au Canada". Brian Mulroney, se souvient également de "sa maîtrise du français qu’elle parlait à la perfection", ainsi que de "son désir de favoriser l’épanouissement et la vigueur de la langue française et du rôle international du Québec".
La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), regrette, de son côté, "une cheffe d’État qui parlait couramment le français – certainement un exemple à suivre en matière de dualité linguistique", rappelant qu’Élizabeth II "a ratifié la Charte canadienne des droits et libertés, qui a consacré et enchâssé le statut du français et les droits constitutionnels à l’éducation dans la langue de la minorité", un événement important au Canada.
Notre déclaration complète à la suite du décès de SM la reine Élisabeth II. https://t.co/USgTPZwD9d #frcan #polcan
— FCFA du Canada (@fcfacanada) September 8, 2022
En 1982, Elizabeth II a en effet signé la proclamation de la Loi constitutionnelle (elle inclut la Charte canadienne des droits et libertés, ndlr) dans le cadre d’une cérémonie officielle. Le pays devient ainsi "seul maître de sa Constitution et les droits et libertés fondés sur la Charte, en tant que loi suprême du pays, ont été garantis".
Dans l’Article 16 sur les langues officielles du Canada, ladite Charte stipule que "le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada ; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada".
"Elizabeth II est aussi reine du Canada, donc en tant que tel, elle est garante du caractère bilingue de son royaume. Étant elle même bilingue, elle est l’incarnation de la pertinence de cette affirmation", explique Philippe Chassaigne.
Il conclut : "Nous assistons, depuis une vingtaine d’années, à une canadianisation de la fonction de gouverneur général. Désormais, ce n’est plus une personnalité de Grande-Bretagne qui assume ce rôle mais une personnalité locale. Et à ce sujet, l’avant-dernière gouverneure générale à avoir été nommée (Michaëlle Jean, ndlr) était une femme, antillaise et donc francophone. C’est donc une francophone qui était chargée de représenter la reine dans l’ensemble du Canada où les francophones sont minoritaires. C’est tout à fait intéressant parce que, cela n’empêchera peut être pas le Canada de rompre avec le lien dynastique, mais cela montre qu’Elizabeth II a voulu préparer l’avenir de la monarchie et préserver ce lien entre le Canada et la Grande Bretagne".