La Russie riposte à coups d'embargos commerciaux aux multiples sanctions occidentales. Jeudi 7 août, Moscou a décrété une interdiction totale pour un an de la plupart des produits alimentaires d'Europe et d'Amérique du Nord. Quelles conséquences pour le marché européen, notamment français et belge ?
Avec l'Ukraine (avant la crise) et le Brésil, l'Allemagne et les Pays-Bas figuraient en 2013 parmi les principaux fournisseurs de la Russie, qui importe 35% de sa consommation alimentaire. Ce pays absorbe ainsi 10% des exportations agricoles et agroalimentaires de l'Union européenne, pour un montant de 12 milliards d'euros par an, selon Eurostat. La Russie, exportatrice de céréales, reste fortement importatrice de légumes et fruits et de produits transformés tels la viande et les produits laitiers. Fruits frais, fromages, porc... représentent un volume d'affaires d'un milliard d'euros environ pour chaque catégorie. Ce sont avec les légumes (770 millions) les marchandises qui manquent le plus aux tables russes et constituent les principales importations alimentaires en provenance d'Europe avec les vins et spiritueux (1,5 milliard euros). Mais les alcools ne sont pas concernés par l'embargo. Les pommes, les tomates et les pêches en particulier sont achetées chez les Européens qui traversent justement une grave crise cette saison, en raison d'une production abondante. D'où un double effet probable, avance le patron du principal syndicat agricole français, Xavier Beulin : "la Russie se ferme aux importations, mais les produits qui n'iront plus à l'exportation vont se rabattre sur les pays européens et créer une situation de crise", craint-il.
L'Europe pénalisée ? Ce sont principalement la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne qui auront à pâtir de ce coup de frein, juge-t-il. Avec le risque de voir se déverser leurs invendus sur le marché européen, détériorant encore le revenu des éleveurs. La fédération des agriculteurs allemands, déjà fortement pénalisés par l'embargo sur le cochon décrété en avril (au prétexte de cas de fièvre porcine chez des sangliers), a appelé Berlin et la commission européenne à "poursuivre leurs efforts" en direction de nouveaux marchés. Au final, le vrai perdant de l'affaire pourrait être paradoxalement Moscou. Selon le cabinet britannique Capital Economics, l'impact de ces mesures reste "extrêmement incertain, mais il semble que le principal perdant doive être la Russie elle-même". "A l'exception notable de la Lituanie", dont les exportations vers la Russie de produits désormais interdits pèsent 2,5% de son PIB. Face à l'inquiétude manifestée par les producteurs dans les États-Membres, une réunion européenne se tiendra "dès la semaine prochaine" à Bruxelles suivie, "si nécessaire d'un conseil informel" a annoncé jeudi 7 août au soir le ministre français de l'Agriculture Stéphane Le Foll, après s'être entretenu avec le commissaire européen à l'agriculture Dacian Ciolos. L'Union européenne envisage aussi de saisir l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Fruits et produits laitiers "Cette année, la Pologne (lire notre article)qui exportait beaucoup (de pommes, ndlr) vers la Russie attend une récolte abondante qui va naturellement se reporter sur le marché intérieur" de l'UE reprend-il: selon la WAPA, l'association mondiale des producteurs de pommes et de poires, la Pologne est de loin le plus gros producteur de pommes de l'Union (3,5 millions de tonnes attendues cette année). Paris a expédié l'an passé 1,17 milliard d'euros de produits agro-alimentaires dont 26 millions en fruits.
Le Danemark et les Pays-Bas seront les plus touchés pour les produits laitiers. La France le sera moins car l'Hexagone en a vendu l’an passé pour 119 millions d’euros à la Russie représentait, soit moins de 4% des importations du pays dans ce secteur.
En viande bovine, le premier fournisseur de la Russie reste de loin le Brésil, devant les autres pays d'Amérique Latine et du Nord (soumise aussi aux sanctions). La contribution de l'UE quant à elle était déjà en net recul depuis 2013 (moins de 50.000 tonnes équivalent carcasse contre 100.000 en 2011 selon l'Institut de l'élevage), en raison de restrictions sanitaires souvent comprises comme des "prétextes politiques", relève Guy Hermouet, vice-président de la Fédération nationale bovine chargé de l'exportation.
Décryptage de l'économiste Bruno Bernard, en direct de Bruxelles
08.08.2014
Quelles peuvent être les conséquences de cet embargo russe à long terme ? Comment en limiter l'impact ? Qui a plus à perdre ?
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Focus : Quel impact pour la Belgique ?
Par Michel Visart de la RTBF
En 2012, la Russie était notre 13ème client, pour seulement 1,6% du total de nos exportations. Mais d'année, nous exportons plus vers la Russie, par exemple 5,4 milliards d'euros en 2012, c'est donc loin d'être négligeable. Au total ce sont quand même près de 2400 entreprises belges qui vendent en Russie et plusieurs centaines d’autres sont intéressées par ce marché potentiellement très porteur. En se penchant sur les chiffres, on constate qu'il y a quatre secteurs qui domine nos exportations: les produits chimiques, les machines, le matériel de transport et divers matériaux. En principe ce ne sont pas des secteurs visés par l'embargo russe mais il faut dire que les contours de cet embargo sont relativement flous. Vladimir Poutine a demandé à son gouvernement d’en organiser les détails et la mise en œuvre. Menaces sur nos poires Ce que l'on sait, c'est qu'il viserait les produits agro-alimentaires. Nos exportations dans ce créneau pèsent pour environ 7% du total, soit un petit 400 millions d'euros, chiffres 2012. Pas énorme donc mais au cas par cas cela peut faire très mal. Par exemple, environ 40% des poires belges sont vendues en Russie. Christian Gusbin responsable de l’association des producteurs de la Criée de Saint-Trond reconnaissait jeudi matin que les nouvelles ne sont pas bonnes pour le secteur. Il serait en effet très difficile de trouver rapidement de nouveaux débouchés pour des quantités qui sont très importantes. Enfin, notons qu'au total la Russie nous vend nettement plus que nous lui vendons. Au jeu dangereux d'une escalade d'embargos, ce seront les Russes qui perdront le plus. Mais personne n'y gagnera ! Article à retrouver en intégralité sur le site de la RTBF.