Émeutes au Royaume-Uni : pourquoi une telle poussée de violence ?

Depuis la tuerie de Southport dans laquelle trois fillettes ont été tuées, le 29 juillet, des émeutes imputées à l’extrême droite ont éclaté dans de nombreuses villes du Royaume-Uni. Pourquoi le pays d’outre-Manche s’embrase t-il soudainement ? 

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Royaume-Uni

Des policiers arrêtent une femme lors d'une manifestation sur la place du marché de Nottingham, en Angleterre, le samedi 3 août 2024, à la suite des attaques à l'arme blanche qui ont eu lieu lundi à Southport et au cours desquelles trois jeunes enfants ont été tués.

Jacob King/PA via AP
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« Si vous provoquez des troubles violents dans nos rues ou en ligne, vous devrez faire face à la pleine force de la loi », écrit le Premier ministre anglais, Keir Starmer, mercredi 7 août, sur X. Arrivé au pouvoir il y a un mois, le 5 juillet, le Travailliste connaît déjà sa première crise politique. Depuis près d’une semaine, des émeutes imputées à l’extrême droite ont éclaté dans l’ensemble du Royaume-Uni. Elles font suite au meurtre de trois fillettes lors d’une attaque au couteau, lundi 29 juillet à Southport, dans le nord-ouest de l’Angleterre.

De fausses affirmations

Peu après la tuerie, de nombreuses fausses théories sur le profil de l’assaillant ont circulé sur les réseaux sociaux. L’auteur présumé de l’attaque, Axel Rudakubana, est un jeune homme de 17 ans originaire de Cardiff. Ses parents sont rwandais de confession chrétienne. Une fausse affirmation selon laquelle le suspect est un demandeur d'asile ou un immigrant musulman devient pourtant virale. Elle est vue au moins 15,7 millions de fois sur les réseaux sociaux, d’après une analyse de l’agence de presse Reuters.

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Ces fausses nouvelles sont rapidement reprises par une nébuleuse de sites et de comptes affiliés à l’extrême droite, sur X et TikTok. Dès le lendemain de la tuerie, les premiers rassemblements violents s’organisent à Southport et s’étendent au reste du Royaume-Uni les jours suivants. La situation s’embrase. Des hôtels hébergeant des demandeurs d’asile et des mosquées sont pris pour cible. Des riverains non-blancs sont pris à partie.

Emeutes

Un manifestant lance une brique lors d'une manifestation à Liverpool, en Angleterre, le samedi 3 août 2024, à la suite des attaques au couteau de lundi à Southport, au cours desquelles trois jeunes enfants ont été tués.

James Speakman/PA via AP

Pourtant, les émeutes ne s’inscrivent pas dans la tradition d’outre-Manche. « En Grande-Bretagne, on ne sort pas systématiquement dans la rue pour exprimer un mécontentement", explique Monia Castro, enseignante-chercheuse à l’université de Tours, spécialiste du Royaume-Uni et des phénomènes d’émeutes urbaines, de discrimination raciale et d'exclusion socio-économique.

« Mais depuis 1958, il y a de plus en plus d’émeutes qu’on qualifie d’émeutes raciales, urbaines ou sociales et qui ont presque invariablement la même origine. » Selon la chercheuse, elles sont presque toujours déclenchées par des brutalités policières envers la communauté antillaise.  

Le spectre des émeutes de 2011

En août 2011, un jeune homme noir sous surveillance policière pour trafic de drogue est tué par un policier à Tottenham, un quartier dans le nord de Londres. L’événement entraîne les plus violentes émeutes que le Royaume-Uni ait connues, jusqu’à aujourd’hui. 

Il fallait qu’un événement retentissant ait lieu pour que la violence qui s’était accumulée dans une partie de la société puisse exploser. Monia Castro

À l’époque, Keir Starmer est alors procureur général. « Il était en faveur d’une répression des émeutiers. Il a puni ceux qui avaient fauté mais la répression a eu un effet boule de neige et toute une communauté a dû subir les conséquences des méfaits de certains », estime Monia O'BrienCastro.

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Keir Starmer tient la même ligne aujourd’hui. 400 arrestations et une centaine d’inculpations ont eu lieu ces derniers jours. Le Premier ministre a averti les émeutiers : de « lourdes » peines seront prononcées rapidement pour assurer la « sécurité » de la population. 

Un phénomène connu

Les événements violents en cours au Royaume-Uni ne surprennent pas la chercheuse. « Depuis 2011, on s’attend à de nouvelles émeutes, car les conditions socio-économiques sont au moins aussi mauvaises qu’à l’époque », explique Monia Castro qui estime que le contexte socio-économique ne doit pas être mis de côté. 

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« Il fallait qu’un événement retentissant ait lieu pour que la violence qui s’était accumulée dans une partie de la société puisse exploser. » Les émeutes se forment souvent en réaction spontanée à un événement, « mais beaucoup oublient rapidement pourquoi ils font ce qu’ils font ». Et l’événement devient un simple prétexte pour exercer des violences qui expriment un ras-le-bol général, selon la chercheuse. 

Après les émeutes de 2011, le quotidien anglais The Guardian s’associe avec la London School of Economics pour mener l’étude « Reading the Riots ». Elle détaille les motivations des personnes qui ont pris part au soulèvement. L’enquête démontre que les émeutiers ont participé aux violences parce que l’un des leurs avait été tué par la police, mais que certains avaient rapidement oublié le déclencheur. Les motivations personnelles ou les revendications sociales ont pris le dessus et « pas forcément de manière consciente », explique Monia Castro.

Keir Starmer

Le Premier ministre britannique Keir Starmer s'exprime lors d'une conférence de presse au 10 Downing Street, Londres, Angleterre, jeudi 1er août 2024, à la suite des affrontements après l'agression au couteau de Southport. Le Premier ministre déclare qu'il va mettre en place une unité de police nationale pour réprimer les manifestants violents après les affrontements avec la police dans toute l'Angleterre au cours des deux dernières nuits. 

Henry Nicholls/Pool Photo via AP

Élu Premier ministre il y a à peine un mois, le travailliste Keir Starmer « n’a pas encore eu le temps de faire grand-chose ». Mais l’une de ses premières décisions a été d’annuler le contrat, que son prédécesseur avait signé, qui prévoyait d’envoyer les immigrés du Royaume-Uni au Rwanda. « Peut-être que certaines communautés qui ne sont pas en faveur du vivre-ensemble n’ont pas apprécié ce retour en arrière », explique la chercheuse. Les émeutiers s’en prennent à la police qui n’a rien à voir avec la mort des trois fillettes. « C’est la preuve, il semblerait qu'indirectement, qu’ils s’en prennent au gouvernement » ajoute-t-elle.

Un schéma nouveau 

La grande différence entre les émeutes actuelles et celles de 2011 est leur élément déclencheur. « Le schéma traditionnel semble s’être brisé. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres, n’est pas l’étincelle qui a déclenché les précédents soulèvements. » En l’espace de dix ans, le Royaume-Uni a connu de grands bouleversements, à commencer par le Brexit. « On est dans l’après-Brexit, et la campagne qui y a mené, on a bien insisté sur le fait que l’immigré est un ennemi », rappelle la chercheuse. Cette idée s’est ancrée dans l’opinion populaire et a sans doute facilité l’entrée de l’extrême droite au Parlement, aux dernières élections. Cette victoire électorale participe aussi à décomplexer les idées d’extrême droite.

Une récupération de l'extrême droite

Les discours racistes et anti-immigration tenus par certains militants notoires sur les réseaux sociaux attisent les émeutes en cours. L’activiste islamophobe Tommy Robinson a été l’un des premiers à relayer les rumeurs sur l’origine de l’assaillant de Southport. Il est le fondateur et ancien chef de l’English Defence League, groupe britannique d’extrême droite. Avec son casier judiciaire bien chargé, Tommy Robinson, Stephen Yaxley-Lennon de son vrai nom, a quitté l’Angleterre alors qu’il est sous le coup d’un mandat d’arrêt pour ne pas s'être présenté devant un tribunal.

Tommy Robinson

L'activiste d'extrême droite Stephen Yaxley-Lennon, connu sous le nom de Tommy Robinson, est arrêté par la police lors d'une manifestation contre l'antisémitisme à Londres, dimanche 26 novembre 2023.

AP Photo/Alberto Pezzali

En 2018, le militant d’extrême droite avait été banni de Twitter pour violation des règles de la plateforme. Son compte est réhabilité par Elon Musk après qu’il ait racheté X, en 2022. Le milliardaire est lui aussi accusé de souffler sur les braises.

Depuis la tuerie de Southport, il multiplie les tweets pro-émeutes et va jusqu’à déclarer qu’« une guerre civile est inévitable » à cause de « l'immigration de masse » au Royaume-Uni. Des propos qui ont été qualifiés d’« injustifiables » par le gouvernement britannique.