Fil d'Ariane
« Sous le signe de l'optimisme », « confiance retrouvée », « symbole »… Superlatifs et mots doux dont on avait perdu le souvenir se bousculent des deux côtés de la Méditerranée pour célébrer la visite d’État en Grèce d’ Emmanuel Macron ces 7 et 8 septembre.
Temps fort de son programme très communiqué : un discours sur la démocratie au tomber du jour sur la Pnyx (célèbre colline face à l'Acropole où les touristes se pressent au coucher du soleil) pour, selon un conseiller de l'Elysée cité par le Figaro, « réinscrire l'histoire du continent sur le temps long ».
Le temps long n'excluant pas l'autre, le président philosophe est suivi dans son cortège de son ministre de l'économie et d'une quarantaine de patrons français, invités à plus court terme à s'intéresser au sort d'un membre de la famille européenne certes à demi-failli mais en voie, juge t-on, de rédemption.
Après une interminable récession, la Grèce retrouve, cette année enfin, le chemin d'une modeste croissance. Assez loin des 2,7 % espérés en début d'année, celle-ci devrait finalement s'établir entre 1,5 et 2 % pour 2017.
Plus qu'aux réformes structurelles imposées par Bruxelles et Berlin, l’embellie doit beaucoup aux performances records du secteur touristique qui, comme dans le reste de l'Europe du Sud, profite logiquement de la désertion de destinations devenues problématiques (Turquie, Egypte, Maghreb, Afrique sub-saharienne …). Bilan : 26 millions de visiteurs estimés cette année, chiffre en hausse de plus de 6 %.
En termes d'affichage, Athènes peut se prévaloir d'autres « progrès » significatifs. Après des années d'austérité et de sacrifices destructeurs imposés par ses créanciers, elle a réduit à peu son déficit budgétaire : 1,2 % cette année, nettement sous la barre sacrée des 3 % exigée de Bruxelles sous peine de sanctions théoriques (la France est bien au dessus). Impériale, la Commission européenne a d'ailleurs officiellement mis fin en juillet dernier à une procédure disciplinaire entamée contre la Grèce en … 2009.
Ce même mois de juillet a vu le retour du pays sur les marchés financiers internationaux : 3 milliards d’euros levés à un taux raisonnable de 4,6 %. Opération sans grand intérêt concret car cette somme aurait pu être obtenue à moindre coût auprès du MES (Mécanisme européen de stabilité) mais destinée, comme le note le quotidien économique Les Echos, à un story telling insistant à usage interne et externe : la Grèce va mieux, ce que valide en août un léger relèvement de sa note par l'agence Fitch.
Aussi réelle soit-elle, l'embellie comptable comporte son revers. La dette de la Grèce se monte toujours à 315 milliards d’euros, 180 % du PIB. Une telle somme, chacun le sait, n'est pas raisonnablement remboursable. Le FMI, lui-même, en convient mais l'Allemagne, par orthodoxie, ressentiment et plus encore à la veille des ses élections, refuse tout geste envers Athènes. Or, son économie dominante dicte dans une grande mesure ses choix à l'Union européenne. La remise de dette, si espérée du gouvernement ex- « radical » d'Alexis Tsipras pour prix de ses renoncements, n'est pas en vue.
Les cures d'austérité, elles, continuent de se succéder. La dernière, votée en mai dernier, programme de nouvelles hausses d'impôts et baisses de retraites jusqu'en 2021, au-delà du plan actuel sous tutelle du FMI et de l'UE qui s'achève théoriquement en 2018. Elles ont ruiné les couches les plus vulnérables. Le taux de chômage, malgré une légère baisse reste au dessus de 21 % (44 % chez les jeunes), le plus élevé d'Europe.
La suspension des conventions collectives imposées par les institutions créancières a favorisé la dérégulation de l'emploi. Résultat : une forte hausse du travail précaire, très partiel ou les deux. Corollaire : un fort développement de l'absence de couverture sociale. Selon des données officielles, seuls 8 % des jeunes de 20 à 24 ans sont ainsi couverts. En position de faiblesse, les salariés se voient contraints d'accepter des horaires imposés ou des rémunérations en baisse, souvent réglées avec retard.
Selon Christos Triandafilou, chercheur à l'Institut du travail cité par Le Temps, plus d’un tiers des Grecs sont aujourd’hui en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale; 21,4% vivent déjà sous le seuil de pauvreté. Le nombre de chômeurs longue durée a explosé «et eux n’ont aucune indemnité ni couverture sociale.» Résultante d'une détérioration sans issue visible : une augmentation de l'émigration et, avec elle, d'une fuite des cerveaux hypothéquant d'avantage l'avenir du pays.
Un tel bilan, même rosi par des courbes macro-économiques prometteuses, peut difficilement servir de modèle au président français, fut-il libéral, ex-banquier et adepte de la rigueur budgétaire.
Celui-ci – auquel l'ex-ministre des finances Yannis Varoufakis reconnaît son soutien à Athènes dans la conjoncture critique de l'été 2015 – s'efforce d'avantage, par sa visite très appréciée d'un gouvernement Tsipras en berne, de procurer un peu d'oxygène à ce dernier tout en renouant le traditionnel lien franco-grec quelque peu distendu.
L’affaire, à cet égard, n’est pas seulement diplomatique. Sur fond de moins-disant social, les privatisations exigées des bailleurs de fonds – Union européenne en tête – ont ouvert aux prédateurs du monde entier un terrain particulièrement giboyeux incluant îles paradisiaques, ports et aéroport.
Pour Paris, il ne faut pas laisser le champ libre aux investisseurs non-européens, en particulier les Chinois qui ont pu s'offrir en 2016 le plus grand port du pays, l'emblématique Pirée. Le groupe marseillais CGM a dû se contenter de la gestion du moins prestigieux port de Thessalonique, les Allemands raflant de leur côté 14 aéroports. « Ce rachat [du Pirée] est le symbole d'une faiblesse économique européenne et d'un manque de souveraineté européenne », souligne l'Elysée.
Or, les questions de « souveraineté » sont au cœur du débat sur la « refondation européenne » qu’Emmanuel Macron a lancé le mois dernier, multipliant les rencontres avec les autres chefs d'Etat ou de gouvernement, avec un succès inégal. Le discours sur la Pnyx est l’occasion d’en dire plus.
Lieu de réunion de l'Assemblée du Peuple de la cité antique d'Athènes du Ve siècle avant J-C, la Pnyx évoque la naissance de la démocratie. Dernier homme politique français à y avoir prononcé un discours : le ministre de la Culture André Malraux en 1959, au premier jour de l'illumination de l'Acropole.
« C’est à Athènes que le symbole de la crise et des dérives collectives que l’Europe a connues est le plus marquant, précise l'Elysée cité par l’AFP. C’est de là aussi que doit commencer ce nouveau chapitre ».