La veille de la déclaration de politique générale de son Premier ministre Edouard Philippe, le président français a accordé un entretien à nos confrères de la RTS. Un entretien réalisé en marge de sa venue à Genève pour les 100 ans de l'Organisation internationale du Travail. Face au journaliste suisse Darius Rochebin, il a abordé divers sujets à commencer par l'Europe.
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ans cet ordre multilatéral que je défends, [l'Europe] a besoin de rebâtir une nouvelle grammaire de confiance et de sécurité avec la Russie et ne doit pas exclusivement passer par l'Otan", a estimé le chef de l'Etat.
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Il y a eu un geste militaire, on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé", a-t-il dit en référence à l'annexion de la Crimée. Pour lui, "
sans avancée claire et tangible sur le processus de Minsk" (pour cesser les combats dans l'est de l'Ukraine), "
il ne peut y avoir une réformation du G8", qui était redevenu G7, sans la Russie, après l'annexion.
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Mais il doit y avoir une discussion stratégique. C'est pour cela que cette semaine j'aurai à nouveau une longue discussion, nourrie, avec (le président russe) Vladimir Poutine, à la fois en tant que président de la France et du G7", a précisé M. Macron.
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Nous avons des désaccords mais on travaille ensemble", a assuré M. Macron, citant notamment la coopération pour une solution politique en Syrie. Et "
on se tromperait à laisser la Russie se tourner vers la Chine", a-t-il plaidé.
Pour M. Macron, la Russie "
est un grand pays, qui a vécu des drames avec nous", et il ne faut "
jamais oublier ce qu'ils ont payé" pendant la Seconde Guerre mondiale.
Emmanuel Macron a par ailleurs plaidé pour que "
les Européens s'équipent européen" pour leurs matériels stratégiques comme l'armement ou les télécoms, dans un souci de
"souveraineté européenne".
Soutien à Angela Merkel
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Si l'Europe veut exister, on ne peut pas dire qu'on doute de l'engagement des Etats-Unis et ne pas acheter d'équipements européens", a-t-il lancé.
Interrogé par ailleurs sur ses favoris pour les futurs dirigeants de l'UE, il a seulement souhaité que deux hommes et deux femmes accèdent aux quatre postes-clés (présidence du Parlement, de la Commission, du Conseil et représentant diplomatique de l'UE).
Il a aussi assuré, à propos d'une hypothétique candidature de la chancelière allemande Angela Merkel: "
le voudrait-elle, je la soutiendrais".
Relation avec les Etats-Unis
Quant aux Etats-Unis, le président français a tenu des propos forts à l'égard de Donald Trump. "
Les démocraties doivent être aussi fortes, aussi armées, elles doivent « croire » aussi intensément que les régimes autoritaires", rapporte Darius Rochebin.
Quant à la mort du petit chêne offert au président américain Donald Trump l'an dernier, "
j'en enverrai un autre" , a-t-il promis. "
Le symbole était de le planter ensemble. Le pauvre n'a pas survécu car il a été soumis à un régime un peu dur", a-t-il souri (l'arbre est mort après avoir été placé en quarantaine) mais "
il ne faut pas voir un symbole là où il n'y en a pas".
Répondre à l'urgence environnementale
Emmanuel Macron s'est aussi engagé mardi, à réaliser par ses politiques
"le triptyque produire, répondre à l'urgence environnementale et répondre à la question sociale", un message qu'Edouard Philippe doit traduire mercredi dans sa déclaration de politique générale.
"Les réformes conduites par le gouvernement ont redonné de la confiance aux investisseurs et renforcé la possibilité de créer de l'emploi y compris industriel. Les choses sont reparties, il nous faut consolider cela et même le renforcer", a assuré le président.
Le discours de politique générale du Premier ministre mercredi "
portera ces réformes à venir, sur l'assurance-chômage, les retraites et beaucoup de sujets économiques et sociaux", a-t-il expliqué.
Environnement et crise sociale
"Mais nous avons en même temps à tenir l'urgence environnementale et la question sociale. On ne peut pas considérer que la question productive se règle à part", a-t-il poursuivi appelant à "
apporter une réponse à ce triptyque".
La France a traversé une crise très dure, nous sommes en train de passer d'un monde à l'autre.
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La France a traversé une crise très dure, reconnaît Emmanuel Macron
. Nous sommes en train de passer d'un monde à l'autre. Une souffrance s'est exprimée, et aussi des excès, je ne les confonds pas. Mais face à cette souffrance je veux remettre de la proximité, de l'humanité."
Mardi 11 juin, devant l'Organisation internationale du travail (OIT) à Genève, le chef de l'Etat français a de nouveau reconnu avoir fait une
"erreur fondamentale", non de fond mais de méthode pendant la crise des
"gilets jaunes".
"Nous avons peut-être parfois construit des bonnes réponses trop loin de nos concitoyens en considérant qu'il y avait des sachants et des subissants. C'était une erreur fondamentale", a-t-il admis.
Le président a fini son interview sur une référence à Audiard :
>> Nous avons demandé à Darius Rochebin comment s'est passé son entretien avec le président français.
TV5MONDE : Comment avez-vous trouvé le président français Emmanuel Macron lors de votre entretien ?
Darius Rochebin : Le président français était très disponible, ouvert à aborder tous les sujets. Je l'ai trouvé très engagé sur un thème qui est fort à Genève : le multilatéralisme. J'ai été frappé de voir l'écho de son discours. Il est vrai qu'il apparait aujourd'hui comme le leader du monde multilatéral, que ce soit dans les enceintes de l'ONU et de l'Union européenne ou au G7 qui se tiendra à Biarritz.
Il a un sens très aigu de la realpolitik et des rapports de force entre les nations. Quand il parle du président russe Vladimir Poutine ou du président américain Donald Trump, on sent qu'il ne cultive pas d'illusions, mais en même temps on sent qu'il a foi dans la démocratie, dans la démocratie armée. Il y a une grande séquence concernant l'importance d'avoir des budgets militaires conséquents. Emmanuel Macron a une sorte d'élan très conquérant, ce qui fait son charme.
Avant lui, j'avais interviewé plusieurs présidents français, et souvent hors caméra, je sentais un peu de cynisme et d'aquabonisme, et là, lors de cet entretien, pas du tout.
Enfin, il a aussi apporté son soutien à Angela Merkel, et même s'il y a peu de chances qu'elle soit candidate à la présidence de la Commission européenne, je pense que dans la logique d'Emmanuel Macron, avoir un visage fort à la tête de l'UE serait souhaitable, car actuellement ce n'est pas le cas.
Qu'est-ce qui vous a le plus frappé lors de vos échanges ?
C'est sa vivacité intellectuelle. A la fin de l'interview, nous avons parlé d'Audiard, et d'écrivains comme Montherlant, et on sent qu'il entre dans ce genre de questions avec vraiment beaucoup de gourmandise. J'ai fait beaucoup d'interviews de dirigeants politiques et souvent lorsqu'on aborde ces thèmes, ils commencent à regarder leurs montres, en montrant qu'ils s'ennuient un peu.
Concernant les Gilets jaunes, le président français a reconnu qu'il avait fait des erreurs, qu'en avez-vous pensé ?
Ce qui me frappe c'est que la France va mieux économiquement, il y a plusieurs signaux qui l'indiquent, mais en même temps on a le sentiment que le manque d'espoir est très fort dans la société française (étant Suisse j'observe cela de manière tout à fait neutre et de l'extérieur).
Je dirais que c'est très difficile de répondre à un manque d'espoir, c'est un sentiment diffus dans la population. Et malheureusement personne n'a la clé pour changer un sentiment national.