Fil d'Ariane
“Poison”, “inventer pour réduire la population”, “inutile”... Un rapide tour sur les réseaux sociaux suffit à prendre conscience de la défiance des africains envers le vaccin contre la covid-19. Pas une publication n’échappe désormais au flot de commentaires complotistes. Des plus inquiétantes, aux plus risibles, ces théories ont des conséquences sanitaires désastreuses.
Relativement épargnée lors des premières vagues, l’Afrique fait face à une troisième vague plus virulente depuis le 3 mai 2021. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), au cours de la semaine du 4 juillet, plus de 251.000 nouveaux cas de Covid-19 ont été enregistrés sur le continent. Les cas doublent maintenant tous les 18 jours et le variant Delta a déjà été détecté dans dix pays.
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Paradoxalement, le scepticisme vis-à-vis du vaccin gagne du terrain. À ce jour, environ seize millions d’Africains, soit moins de 2%, sont entièrement vaccinés. Alors que de nouvelles doses continuent d’être envoyées par les pays riches aux pays pauvres par le biais du programme COVAX, la réticence des populations ne faiblit pas. Pourtant, le continent africain connaît d'ordinaire un taux d'acceptation de la vaccination de routine (diphtérie, tétanos, coqueluche, poliomyélite...) parmi les plus hauts du monde.
Malheureusement, la confiance a été érodée par divers scandales qui ont traumatisé les africains. En 1996 une épidémie de méningite à méningocoque tue plus de 12.000 personnes en seulement 6 mois, majoritairement des enfants. Le laboratoire Pfizer décide d'administrer à la population locale son nouvel antibiotique, le Trovan, encore en phase d'essai clinique. Le Nigeria accuse le médicament d'avoir provoqué la mort de onze enfants et causé de graves infirmités chez d'autres.
L'année dernière, interrogé sur les tests du vaccin contre le coronavirus, un chercheur français déclare en direct à la télévision : "Si je peux être provocateur, ne devrait-on pas faire cette étude en Afrique où il il n'y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c'est fait d'ailleurs sur certaines études avec le sida, ou chez les prostituées". Des propos, qui ont profondément choqué l'Afrique francophone.
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A la tête de l’initiative pour l’acceptation de la vaccination “Convince”, Ayoade Alakija estime que la désinformation pratiquée par certains gouvernements est un facteur aggravant. Début juillet, en RDC, le président Félix Tshisekedi avait déclaré qu'il ne souhaitait pas se faire vacciner avec le vaccin d'AstraZeneca, jetant ainsi le soupçon sur un vaccin déjà décrié et interdit dans plusieurs pays dont le Danemark, l'Autriche, la Suisse, l'Afrique du Sud ou le Venezuela.
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"Aucun vaccin ne nous est bénéfique", avait affirmé fin janvier le président tanzanien John Magufuli, allant jusqu’à qualifier les injections de "dangereuses pour la santé", sans toutefois apporter de preuves tangibles. En guise de traitement, le chef de l’Etat préconise des remèdes traditionnels à base de plantes. "Bain de soleil", "feuilles de neem"... Autant de "solutions" présentées comme "miracles" que certains appliquent à la règle.
Parmi les infoxs les plus partagées, figure l’accusation selon laquelle le vaccin servirait à stériliser les africains. “Beaucoup de gens pensent aussi qu’il y a un risque de mort deux ans après l’injection” explique Lassima Sermé, président du réseau des professionnels de la presse en ligne de Côte d’Ivoire.
Créateur du site de vérification d’information IvoireCheck.com, le journaliste a vu ces rumeurs se répandre comme une traînée de poudre : “Beaucoup d’influenceurs ont participé à la diffusion de ces théories. Le taux d’analphabétisme est important ici et les gens n’ont pas de recul, ils croient tout ce qu’ils entendent”. Pour Lassima Sermé, c’est seulement quand "des personnalités politiques se sont faites vacciner publiquement que le rapport au vaccin a commencé à changer".
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Au niveau international, "l'affaire Covishield" alimente toujours le doute et l’icompréhension. Pourtant majoritairement distribué en Afrique dans le cadre de l’initiative Covax de l’OMS, l’Agence européenne du médicament (AEM) ne reconnaît pas le vaccin Covishield, développé par AstraZeneca.
Le 9 juin, les ambassades françaises communiquent leurs conditions d'accès aux territoires. Dans ce communiqué figure cette précision : "le vaccin Covishield n'est à ce stade pas reconnu par les autorités sanitaires européennes". En Afrique francophone, la colère monte. Pour le Dr Richard Mihigo, "Cette erreur de communication a créé une polémique inutile. Cela a nourri les complotistes de tous bords en donnant l'impression qu'il s'agit d'un vaccin de seconde zone."
Et de poursuivre, "La stratégie du laboratoire Astrazeneca a été de diversifier ses sites de production pour distribuer son vaccin partout, le plus rapidement possible. Selon lui, "le Covishield fabriqué en Inde est exactement le même vaccin que le Vaxzevria fabriqué au Royaume-Uni. Alors comment expliquer cette non-reconnaissance ? "L'AEM s'occupe uniquement des produits à destination du marché européen. Ce n'est pas le cas du Covishield et c'est pourquoi, l'instance ne l'a pas autorisé. C'est une simple procédure administrative.", explique le Dr Richard Mihigo.
Mais sur le terrain, les dysfonctionnements de la bureaucratie coûtent cher. Les équipes médicales doivent désormais redoubler d’efforts pour rassurer les populations.
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