Fil d'Ariane
Ce 23 juin à l'aéroport d'Alger, Saïd Salhi, sa compagne et ses deux filles, attendent dans le hall leur avion pour Bruxelles. Ils ont décidé de voyager léger pour ne pas rendre méfiants les agents de la police des frontières. Le voyage est un aller, sans retour. Cet urbaniste de 51 ans, originaire de Béjaïa en Kabylie, vice-président de la Ligue algérienne de défesne des droit de l'Homme fuit son pays.
La voix fatiguée, cinq mois après avoir pris le chemin de l'exil, le militants des droits humains évoque un "arrachement" à sa terre. "J'ai demandé une protection internationale. J'attend que les autorités belges désormais me donnent un statut de réfugié politique", confie Saïd Sahli. La décision de partir a été prise en quelques heures.
Par des contacts au sein du ministère de la Justice, j'ai appris que j'étais sur une liste de 30 militants des droits humains que le pouvoir s'apprétait à enfermer.Saïd Salhi, Vice-président de Ligue algérienne des défense des droits de l'Homme
"Nous avions rédigé un communiqué sur l'usage de la torture dans les commissariats et prisons contre les détenus politiques. Cela n'a pas plu au ministère de la Justice. Par des contacts au sein du ministère, j'ai appris que j'étais sur une liste de 30 militants des droits humains que le pouvoir s'apprêtait à enfermer. Je n'ai pas attendu ma convocation par la police pour m'enfuir. Il fallait choisir entre l'exil ou la prison", décrit Saïd Salhi.
C'est une astuce du droit pénal algérien qui fonctionne à chaque fois pour le pouvoir. Il suffit d'invoquer l'article 87 bis du Code pénal pour enfermer les opposants au régime.
Le pouvoir se sert du trauma qu'a été la guerre civile, la décennie noire, dans la société algérienne pour enfermer les opposants. Saïd Salhi, Vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme
L'article 87 bis, alinéa 12 et 14 du Code pénal, assimile juridiquement à du terrorisme ou du sabotage tout appel de fait à changer le systeme politique, à plaider pour une démocratisation de l'Algérie. "Cet article 87 bis sert à réprimer toute forme d'opposition. Ils sont malins. Le pouvoir se sert du trauma qu'a été la guerre civile, la décennie noire, dans la société algérienne pour enfermer les opposants. Il n y a pas pire que l'accusation de terrorisme", explique le militant des droits humains. La "décennie noire" (1992-2003) a vu l'armée et les groupes djihadistes s'affronter pendant plus de 10 ans. Plus de 150 000 Algériens ont trouvé la mort durant la guerre civile.
Par ailleurs, la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme compte parmi ces membres de nombreux Kabyles. "Les accusations de remises en cause de l'intégrité nationale sont liées au fait que certains d'entre nous sommes Kabyles", confime le militant Saïd Salhi originaire de Bejaia. "Les Kabyles ont été à la pointe du combat et à la pointe de la contestation du régime. On nous fait payer notre engagement", confie Aïssa Rahmoune, qui a défendu la famille de Lounès Matoub, chanteur et poète algérien d'expression berbère, assassiné en juin 1998, icône culturelle de la cause kabyle.
Le pouvoir cherche à démanteler la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme.
Aïssa Rahmoune, avocat à Tizi Ouzou
En quelques mois, une grande partie du bureau exécutif de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme a été mise à mal par le régime. Deux des vice-présidents Saïd Salhi et l'avocat Aïssa Rahmoune, avocat, ont dû prendre le chemin de l'exil. Son ancien président de 2013 à 2018, Salah Dabouz, a également fui l'Algérie.
"Le pouvoir cherche à démanteler la Ligue algérienne de défense droits de l'homme. Trois de ses quatres cadres sont en exil. Trois autres cadres sont enfermés et 9 autres sont menacés judiciairement par le régime. Le pouvoir a crée un clone, la Ligue algérienne POUR la défense des droits de l'Homme, soumis au régime et destiné à semer la confusion et fragiliser la véritable ONG de défense des droits humains", explique Aïssa Rahmoune. Sur le site du clone, la Ligue algérienne POUR la défense des droits de l'Homme, rien n'est mentionné sur l'état des droits humains en Algérie.
Les militants des droits humains espéraient des gestes d'apaisement de la part du pouvoir algérien à l'occasion des célébrations des 60 ans de l'indépendance du pays.
En juillet 2021, le pouvoir avait annoncé la libération de 110 militants du Hirak. "Nous espérions un geste de la part du pouvoir. Cela n'a pas été vraiment le cas. La répression s'est accentuée. Le harcèlement judiciaire contre nos militants est constant. Trois de nos cadres ont été enfermés pendant plusieurs mois pour être ensuite libérés pour ensuite être trois jours plus tard être à nouveau interpellés. Le siège à Alger de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme est sous surveillance constante de la police", constate Saïd Salhi.
Le pouvoir algérien, grâce au gaz, sait qu'il redevenu fréquentable auprès des Occidentaux, des Européens. Aïssa Rahmoune, avocat à Tizi Ouzou, exilé en France
"Les militants des droits humains sont harcelés juridiquement. La justice n'est pas indépendante. Le processus judiciaire sert aussi à repérer et identifier pour ensuite réprimer les personnes qui soutiennent et qui défendent, comme les avocats, les militants du Hirak", confirme Aïssa Rahmoune. Le temps du soutien d'une partie de la communauté internationale au mouvement pro-démocratie du Hirak, né le 16 février 2019, semble révolue selon l'avocat militant des droits humains.
"Le pouvoir algérien, grâce au gaz, sait qu'il redevenu fréquentable auprès des Occidentaux, des Européens. Le Covid dans un premier temps mais surtout la guerre en Ukraine ont refermé cette parenthèse démocratique qu'a été le mouvement du Hirak. L'Algérie, grande productrice de gaz, est redevenue indispensable et l'Europe veut sortir de sa dépendance au gaz russe. On préfère ne rien dire sur les atteintes aux droits humains. Par exemple, le Parlement européen avait multiplié les résolutions contre la répression du mouvement du Hirak. L'Union européenne est aujourd'hui plus silencieuse. Le régime est de fait conforté dans sa politique de répression. Ce n'était pas le cas il y a encore un an", déplore Aïssa Rahmoune. Forte d’une production de quelque 100 milliards de mètres cubes de gaz naturel en 2021, l'Algérie est le 10ème producteur mondial.
Le pouvoir algérien est aujourd'hui en position de force. Il a cassé le mouvement du Hirak. Mais l'état social du pays est tel. Une révolte sociale bien plus violente que les manifestations pacifiques du Hirak n'est pas impossible.
Aïssa Rahmoune, avocat de Tizi Ouzou en exil en France
Les deux défenseurs des droits humains ont le sentiment d'avoir payer pour une chose : avoir contribuer à défendre dans des médias internationaux la cause du Hirak. "J'ai défendu la cause du Hirak sur TV5MONDE, France 24", confie Aïssa Rhamoune. " Nous avons nous la Ligue algérienne des droits de l'homme alerté les médias internationaux des arrestations des militants du Hirak", explique Saïd Sahli.
Comment la situation peut évoluer politiquement ? Les deux exilés espèrent-ils revenir un jour en Algérie ? "Le pouvoir algérien est aujourd'hui en position de force. Il a cassé le mouvement du Hirak. Mais l'état social du pays est tel. Une révolte sociale bien plus violente que les manifestations pacifiques du Hirak n'est pas impossible", estime Aïssa Rahmoune. Saïd Sahli lui veut continuer le combat. "Je continuerai à alerter sur les atteintes aux droits humains mais depuis la Belgique." Les deux exilés attendent leur statut de réfugié politique.
Selon le Conseil des droits humains de l'ONU basé à Genève, l'Algérie compte 250 détenus d'opinion souvent accusés de terrorisme. Au sein de cet organe onusien, les Etats-Unis ont demandé à l'Algérie l'abrogation de l'article 87 bis du Code pénal utilisé pour emprisonner les opposants.