Fil d'Ariane
Depuis des mois, la situation est redevenue électrique dans certaines zones du nord du Kosovo, à majorité serbe. À Noël, on a même craint le retour de la guerre. Pendant qu’à Belgrade et à Pristina, les dirigeants jouent la surenchère nationaliste pour remporter leur bras de fer, la population s'inquiète.
Très engagé dans la réconciliation entre Serbes et Albanais, le metteur en scène Kushtrim Koliqi regrette que beaucoup de temps ait été perdu.
"J’espérais que certaines questions importantes auraient été clarifiées depuis longtemps. Je pense aux relations intercommunautaires, aux relations entre la Serbie et le Kosovo ou encore à la mémoire de la guerre. Notre société reste très polarisée, très nationaliste, très radicale. C'est vraiment dommage", développe-t-il vendredi au micro de la Matinale de la Radio-Télévision-Suisse (RTS).
En ce 15ème anniversaire de l’indépendance, le Kosovo retient son souffle et s’inquiète pour son avenir. Lassés par la corruption, le manque de perspectives et une situation de crise permanente, les jeunes partent massivement vers l’étranger. Un exode que comprend Nerimane Kamberi, professeure de littérature française à l’université de Pristina. Elle-même regrette que son fils aîné ait dû prendre la route de l’Allemagne.
"Chaque fois, la moindre étincelle dans le nord du Kosovo vient nous rappeler que le Kosovo ne va pas bien et n’ira pas bien encore longtemps. Même bêtement, on ne peut pas avoir accès à une chaîne de musique ou de télé parce que notre pays n’est pas reconnu, des choses absurdes de ce genre. Je pense que, pour les jeunes, ça pèse. On comprend très bien que ce n’est pas seulement la question économique qui les fait partir: ils veulent de la stabilité, vivre dans un État normal, sans tous ces problèmes politiques", explique-t-elle.
Fatigués des interminables querelles, Albanais et Serbes rêvent d'un Kosovo apaisé. Mais tous redoutent que l'accord de normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, actuellement négocié aux forceps par les Occidentaux, ne règle rien sur le terrain et que le pays continue à se vider.
En Suisse, plus de 160'000 personnes sont originaires du Kosovo. Parmi celles-ci, nombre de jeunes issus de la deuxième génération. Des jeunes qui n'ont pas tous le même regard sur le conflit qu'ont vécu leurs parents dans les années 90.
Il y a d'abord celles et ceux qui ont complètement tourné la page. C'est le cas de Nora Tishuku, 23 ans. Ses parents sont arrivés en Suisse en 1994. Sa soeur, son frère et elle sont nés à Payerne. Et c'est à l'école primaire que Nora a été confrontée au conflit pour la première fois.
"On voulait faire la danse albanaise, parce qu'on était trois Albanaises dans la classe. Et il y avait une fille qui était serbe. On lui a dit: 'Viens danser avec nous!' et elle nous a répondu: 'Je ne peux pas. Moi je suis serbe, je ne danse pas comme les Albanais'. Je suis rentrée chez moi et j'ai posé la question. Mon papa m'a expliqué tout ce qu'il s'était passé par rapport à la guerre et ce qu'il a vécu. Mais moi, je pars du principe que ce n'est pas un problème, parce que ce n'est pas dans cette énergie-là que j'ai été élevée. Même s'il y a eu la guerre et tout ce conflit, on ne peut pas continuer à perpétuer la haine."
Cette haine, certains l'ont toujours, principalement à l'encontre du gouvernement serbe, comme Lirim Berisha. Ce jeune suisse de 26 ans est retourné au Kosovo durant une année. Il n'avait que 3 ans. C'était en 1999, juste après la fin de la guerre. Même s'il était très jeune, il reste profondément marqué par ce moment.
"On a vu toutes les maisons qui étaient en ruines, tout qui était en désordre et parfois même certains corps qui étaient encore dans les rues. J'ai des rancunes envers la politique serbe qui n'a pas rendu justice aux familles des personnes qui ont été massacrées et tuées, envers les milliers de femmes qui ont été violées. C'est surtout ça: il faut commencer par accepter l'indépendance du Kosovo pour pouvoir aller de l'avant."
Mais cette rancoeur contre le gouvernement de Belgrade ne se reporte pas sur la population serbe. Pour Lirim et la majorité des jeunes originaires du Kosovo interrogés par la RTS, les Serbes sont, ici en Suisse, des ennemis du passé mais des amis d'aujourd'hui.
Même si, récemment, les tensions se sont ravivées avec le voisin serbe, un accord qui pourrait être "historique" serait en vue entre les deux pays. L’Union européenne et les Etats-Unis poussent en tout cas à la conclusion d’un accord de "normalisation" des relations entre Pristina et Belgrade.
D’un côté, la Serbie cesserait de s’opposer à l’intégration du Kosovo dans les différentes organisations internationales, sans pour autant procéder une reconnaissance bilatérale.
En contrepartie, Belgrade obtiendrait la création d’une "Association des communes à majorité serbe du Kosovo", un projet élaboré en 2015 mais toujours différé depuis.
La pilule passe mal à Pristina où l’on craint que cette association ne soit le prélude à une autonomie territoriale des Serbes, voire à une partition du petit pays. Pour la première fois, c’est Pristina qui est menacée d’un isolement international, voire de sanctions, si ses dirigeants ne font pas preuve d’un esprit "constructif".