Karfa Diallo, de l'association Mémoires et Partages, comparaît devant le tribunal de Bayonne, dans le sud de la France, ce jeudi 3 décembre. L'écrivain et militant associatif est poursuivi pour "rébellion". Il a été interpellé alors qu'il manifestait pour débaptiser le quartier de Biarritz "La Négresse". Retour sur l'histoire du nom de ce quartier.
C’est une tradition bien ancrée. Chaque mois de juin les habitants de ce quartier de la ville basque de Biarritz se retrouvent pour créer du lien social : concours gastronomique, repas sous chapiteau, course pédestre autour du lac…. Les « fêtes de la Négresse » ne désemplissent pas quand les beaux jours arrivent. L’intitulé de ce rassemblement reprend donc le nom de ce quartier de la ville, « la Négresse ». Et c’est un nom qui, aujourd'hui, ne passe plus.
"Une hypersexualisation du corps de la femme noire"
Bien plus qu’un nom, "La Négresse" stigmatise la femme noire selon Karfa Diallo, écrivain franco-sénégalais et directeur de
l’association Mémoires et Partages. Il ne cache pas son émotion à l'évocation de la dénomination de ce quartier.
« Ce nom est une assignation caricaturale. On légitime une stigmatisation de la femme noire sous une forme d’hypersexualisation avec des fresques que l’on retrouve dans le quartier avec tous les stéréotypes racistes : lèvres pulpeuses, postérieur ample... Cette hypersexualisation de la femme noire ne fait que valider des clichés racistes et mysogines dans l’espace public. Il existe hélas encore en France des rues de « négriers ». Il existe encore dans la toponymie des noms racistes », décrit le directeur de l’association Mémoire et Partages.
Lors de ces
"fêtes", des participants arborent un tee-shirt avec une caricature racisée d'une femme noire, tel que le montre ce tweet de l'association "Mémoires et partages".
À l'origine, ce quartier excentré de Biarritz , où se trouve la gare de la ville, était appelé « quartier Harausta », mot basque signifiant « endroit poussiéreux », du nom d'une auberge du quartier. Au début du XIXe siècle dans cette auberge travaille une femme noire, une Haïtienne, un temps esclave, selon Karfa Diallo, mais dont le nom reste inconnu. Les soldats de Napoléon Ier, de passage et se rendant à l’Auberge lors des combats de 1813, la nomment « la Négresse ».
Le quartier prend le nom définitif de "la Négresse" en 1861 au moment du développement touristique de la ville sous Napoléon III. En 1861, le conseil municipal baptise officiellement le quartier. Une rue dans la zone artisanale porte le nom du quartier.
Depuis plusieurs années des militants des droits humains et des associations anti-racistes demandent la supression de ce nom. En 2015, Alain Jakubowicz, alors président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme, demandait déjà la supression de ce nom. En vain.
Le maire de l'époque, de centre-droit, Michel Veunac (Modem) s'était dit
"consterné" par cette polémique, réfutant toute accusation de racisme contre la ville.
"C'est ridicule. Il y a des mots qui touchent, il y a des mots qui blessent, il y a des mots qui ont un sens, mais le nom de 'la Négresse' est un nom qui a plus d'un siècle", déclarait-il alors au micro de la radio française, France Info en 2015. Mais l'opinion des habitants sur cette question évolue selon Karfa Diallo.
«
Le nom de "la Négresse" est un outrage du passé qui rappelle le corps des femmes noires qui pendant des decénnies a été piétiné".
L’écrivaine française Marie Darrieussecq, qui est de Bayonne (NDLR : ville voisine de Biarritz)
a confié sa honte sur l’insulte quotidienne qui est faite aux femmes noires », indique l'écrivain et directeur de l'association Mémoires et Partages.
Redonner son nom basque au quartier ?
« De nombreux habitants de la ville de Biarritz n'ont pas cessé de demander que le nom de ce quartier soit en adéquation avec les valeurs de la dignité humaine et les valeurs de la République. Et à chaque fois, la mairie s’abrite derrière la démocratie participative et l'avis des habitants de ce quartier qui ne veulent pas changer de nom même si nous n'avons aucune preuve de cela. Ce quartier, selon ces habitants cités par la mairie, porte ce nom de 'Négresse' puisque c’est un hommage à cette femme. On ne rend pas hommage à une femme en donnant un nom caricatural. La mairie de Biarritz, dans ce cas-là, pourrait retrouver le nom de cette femme et nommer le quartier avec son vrai nom. Réhabiliter l'identité de cette femme serait une forme de réparation », avance l'écrivain Karfa Diallo.
Voir : " Réhabiliter l'identité de cette femme serait une forme de réparation "
Quelle solution donc ? Karfa Diallo propose de redonner son
"nom basque à ce quartier s'il s'avère impossible de retrouver le nom de cette femme noire."Un chargé de mission de la mairie de Biarritz a reçu l'association Mémoire et Partages. La décision de renommer ce quartier appartient aux Biarrots selon Maider Arosteguy, maire LR de la ville (Les Républicains, droite).
"Cette polémique est née d'une association qui est extérieure à la culture de Biarritz. Cette polémique n'est pas constructive au moment où nous avons besoin d'être uni", estime la maire, jointe par téléphone.
"Je comprends que ce terme puisse choquer. Mais je ne suis pas là pour faire la police de l'Histoire", indique la maire.
"Les Biarrots ne m'ont pas interpellé durant la campagne électorale pour demander un changement de nom du quartier. Je n'ai pas d'engagement sur ce point", précise Maider Arosteguy.
La première magistrate de la ville ne se veut pas fermée sur cette question. "
Le statut quo pose problème. Mais on ne peut pas décréter d'un coup de plume le changement de nom d'un quartier. Je suis tout à fait disposée à réfléchir sur cette question si les Biarrots, dans le cadre de la démocratie participative, le demandent. Je suis étonnée de voir comment les Biarrots défendent avec virulence le nom de leur quartier", précise l'élue.
"Biarritz est une ville ouverte. Biarritz n'est pas une ville raciste. Effacer le nom d'un quartier n'efface pas l'histoire. Le problème n'est pas le nom, le problème c'est celui de l'esclavage. Il faut faire preuve de pédagogie. Il faut raconter l'histoire de cette femme qui était une femme noire, qui s'est affranchie et est devenue serveuse dans une auberge. Elle symbolise aux yeux des Biarrots la liberté. Elle a une image positive pour les Biarrots", indique l'élue, tout en soulignant que les informations sur l'histoire de cette femme restent très parcellaires. La maire serait-elle prête à rebaptiser le nom du quartier du nom de cette femme noire vivant à Biarritz au début du XIXème siècle si celui-ci est retrouvé ?
"Oui", répond la maire.
Karfa Diallo comparaît, lui, devant le tribunal de Bayonne ce jeudi 3 décembre pour "rébellion" lors de son interpellation. Les faits remontent au 22 août 2019. Alors que la ville de Biarritz s'apprête à accueillir le G7, Karfa Diallo veut profiter de l'occasion pour interpeller sur la dénomination du quartier. Accompagné d'autres militants, il organise alors un rassemblement devant la gare de Biarritz, avant d'être interpellé puis placé en garde à vue. Le militant associatif se dit victime d'un placage ventral.
Le directeur de l'association Mémoires et Partages entend surtout utiliser ce procès comme une tribune.
"Le corps de la femme noire ne doit pas être l'objet d'un lynchage public dans un quartier de Biarritz." L'association Mémoires et Partages, par l'intermédiaire de son avocat Maître William Bourdon, entend prochainement saisir le tribunal administratif pour demander la supression de la dénomination de ce quartier.
Retrouvez l'intégralité de notre entretien avec Karfa Diallo :
A l'Assemblée nationale, Karfa Diallo reçoit le soutien de la députée France Insoumise Danièle Obono.