En France, la grève des femmes de ménage d'un hôtel parisien

Elles sont plus d’une vingtaine à faire grève depuis près de trois semaines. Des femmes de ménage et des gouvernantes qui travaillent à l'hôtel Ibis Batignolles, à Paris, le plus grand de France avec plus de 700 chambres. Leurs revendications : baisse de la cadence, amélioration des conditions de travail et création d’une prime repas conséquente. Rencontre.
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ibis greve
"On demande aussi à être payées à l’heure, pas au nombre de chambres nettoyées." Rachel est une des gouvernantes en grève de l'hôtel Ibis Batignolles, à Paris.
 
© Nadia Bouchenni
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Ce vendredi 09 août, sous une pluie battante, elles sont une dizaine de femmes de ménage, gouvernantes à manifester, à faire le piquet de grève depuis le début de la matinée. Tambours, percussions, elles tiennent à faire autant de bruit nécessaire pour faire entendre leurs revendications.

Ces femmes de ménage ne sont pas employées par le groupe AccorHotels, propriétaire des hôtels ibis, mais ce sont des prestataires et salariées de la société de service STN. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des employées de cette société se lancent dans des mouvements de grève. L’an dernier déjà, des femmes de ménage de l'hôtel Park Hyatt Vendôme, à Paris, se sont mises en grève illimitée pour réclamer des augmentations par heure.

Quand il manque du personnel, les femmes de ménage peuvent parfois faire 30, 40, voire 50 chambres dans la journée. C’est trop.
Rachel, gouvernante


Parmi les grévistes de Batignolles, Rachel, gouvernante après avoir été femme de ménage, travaille ici depuis 2003. Elle nous raconte leurs conditions de travail : “c’est un métier très difficile. Les femmes de ménage sont censées faire trois chambres et demi par heure. Quand il manque du personnel, elles peuvent parfois faire 30, 40, voire 50 chambres dans la journée. C’est trop. Elles sont obligées de les faire, et très souvent pour finir toutes les chambres, elles doivent rester plus longtemps que prévu. Et ce n’est pas payé en heures supplémentaires. Les gouvernantes doivent contrôler plus de 100 chambres par jour, parfois jusqu’à 130. C’est beaucoup trop. Nous demandons également une prime panier. Aujourd’hui, nous n’en avons pas du tout. On réclame une prime panier de 7 euros. On nous propose 2 euros. Que voulez vous que l’on fasse avec deux euros. Vous pouvez vous nourrir avec ça, vous ?”
 

Réduire la cadence


Depuis le début du mouvement, elles n’ont eu que quelques contacts brefs avec leur employeur. Rachel explique : “on a eu trois négociations mais rien par écrit. On nous a proposé 2 euros pour la prime panier. Rien sur les cadences de travail ou le recrutement. Nos employeurs refusent de baisser la cadence. Quand on leur demande de réduire à trois chambres par heure au lieu des trois et demie, on nous répond que c’est une perte de 10 000 euros pour la société. Alors que dans les faits, il n'y a pas de demi chambre. On fait quatre chambres. Ils profitent donc de nous.” La gouvernante précise : "on demande aussi à être payées à l’heure, pas au nombre de chambres nettoyées. Parfois, vu l'état des chambres, ou le nombre de clients qui partent, on ne peut pas faire le nombre de chambre en respectant nos horaires. On est obligées de rester plus longtemps et on n'est pas payées plus. On rentre encore plus épuisées chez nous, sans avoir la force de nous occuper de nos enfants."
 

STN IBIS GREVE
La société STN employant les femmes de ménage grévistes a envoyé des représentants communiquer de nouvelles propositions.
© Nadia Bouchenni

Ce matin-là, des représentants de la société STN étaient présents pour distribuer des propositions de négociations. Accueillis sous les chants “STN Voleurs”, ces derniers ont refusé de répondre à nos questions. “La société va émettre un communiqué officiel d’ici peu. Nous ne ferons pas d’autres commentaires”, ont-ils répondu à nos demandes. Mais nous avons pu nous procurer les propositions apportées par STN : augmentation de la prime repas proposée ou reclassement de la qualification des employées, mise en place d'une badgeuse électronique pour décompter le temps de travail, suppression d'un abattement sur le salaire en échange d'abandons de poursuite aux prud'hommes.
 

Appel au soutien

Ndiaye est une des grévistes. Elle travaille dans cet hôtel depuis 10 ans. Les actions d'autres groupes de femmes de ménage, notamment celui de l'hôtel Park Hayat l'ont poussée à maintenir la grève. "Ce sont aussi des employées STN. Ça nous motive de voir que certains mouvements ont abouti. On sait que ça peut durer longtemps, et on est déterminées", explique-t-elle. Elle révèle aussi que le conflit avec leur employeur remonte à une affaire de viol sur une de leur collègue, il y a deux ans. "Une de nos collègues a été violée, ici, par quelqu'un de l'hôtel. L'affaire est toujours en cours. La société ne l'a pas du tout soutenue et elle s'est retrouvée vraiment isolée. Ils l'ont complètement abandonnée. Elle est en arrêt depuis."
 

grévistes IBIS
Les grévistes n'ont pas été reçues par la direction de l'hôtel Ibis. 
© Nadia Bouchenni

Les grévistes n'ont pas été non plus reçues par la direction de l'hôtel ou du groupe Ibis. Rachel se confie : "on n'a vu personne de l'hôtel. Ils nous voient tous les jours, mais il n'y a aucune discussion avec eux. Peut-être sont-ils complices avec STN ? Je ne sais pas." Contactés par téléphone, la direction du groupe Ibis n'a pas donné suite à nos demandes d'interviews.

"Se battre pour nos droits, c’est ce qu’il y a de plus important pour nous. Ça donne aussi un vrai exemple pour nos enfants."
Rachel, gouvernante

Les grévistes de l'Ibis Batignolles espèrent un soutien massif et une participation importante à une grande journée de manifestation le 17 août prochain. Ndiaye nous confie que des travailleurs sans-papiers vont se joindre à elles, ainsi que d'autres collectifs de travailleurs. "Nous appelons à tous les travailleurs qui se considèrent exploités à nous rejoindre le 17 aôut. Il faut que nous apprenions tous et toutes à défendre nos droits ", affirme-t-elle. Rachel surenchérit alors : "Se battre pour nos droits, c’est ce qu’il y a de plus important pour nous. Ça donne aussi un vrai exemple pour nos enfants."