Fil d'Ariane
Une première pour un garde des Sceaux en exercice en France: la Cour de justice de la République (CJR) a ordonné lundi un procès contre Eric Dupond-Moretti, accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats à qui il s'était opposé quand il était avocat. Ses avocats ont immédiatement annoncé se pourvoir en cassation.
"Comme malheureusement nous nous y attendions, c'est un arrêt de renvoi qui a été rendu par la commission de l'instruction (ndlr: de la CJR). Nous avons immédiatement formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Cet arrêt n'existe plus", ont annoncé Me Christophe Ingrain et Rémi Lorrain à la sortie de la CJR, à Paris, en l'absence du ministre de la Justice. "Il appartient désormais à l'assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans au premier rang desquels figure le positionnement atypique puisque déloyal et partial du procureur général près la Cour de cassation", François Molins, a ajouté Me Rémi Lorrain.
Son renvoi ne manquera pas de poser une nouvelle fois la question du maintien au gouvernement de l'ancien pénaliste. "J'ai toujours dit que je tenais ma légitimité du président de la République et de la Première ministre et d'eux seulement", avait-il déclaré mardi.
Arrivés à neuf heures à la CJR, les deux avocats en sont ressortis trente minutes plus tard, après s'être faits signifier le renvoi pour "prises illégales d'intérêts" d'Eric Dupond-Moretti.
La CJR, institution créée en 1993, compétente pour juger les membres du gouvernement pénalement responsables des actes (crimes ou délits) accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, est composée de 12 parlementaires (six élus par l'Assemblée nationale, six élus par le Sénat) et de trois magistrats du siège de la Cour de cassation. Les juges parlementaires sont élus à chaque renouvellement de l'Assemblée ou du Sénat. Toute personne peut porter plainte auprès de la CJR.
Institution contestée pour la lenteur de ses procédures et la clémence de ses jugements, la CJR a bien failli disparaître en 2018 sous la premier mandat d'Emmanuel Macron, mais le projet de loi constitutionnelle n'est pas arrivé à son terme. François Hollande s'était également engagé à la supprimer.
Depuis sa création, elle a jugé sept ministres: trois ont été relaxés, deux condamnés à des peines de prison avec sursis, et deux ont été déclarés coupables mais dispensés de peine.
L'ancien ténor du barreau, nommé à la tête de la Chancellerie à l'été 2020 et reconduit à ce poste après la réélection en mai d'Emmanuel Macron, a été mis en examen par la CJR en juillet 2021.
Eric Dupond-Moretti est accusé d'avoir profité de sa fonction, une fois à la tête du ministère de la Justice, pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu'il était avocat, ce qu'il conteste.
Des plaintes de syndicats de magistrats et de l'association anticorruption Anticor, dénonçant deux situations de conflit d'intérêts depuis son arrivée à la Chancellerie, avaient donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire en janvier 2021.