Fil d'Ariane
Chez les Ricard, on est agriculteur de génération en génération. Les arrières grand-parents de Jean-Pierre cultivaient déjà ces terres, près de Breteuil, dans l’Oise. « Et avant eux, il faudrait chercher mais ils devaient aussi faire ce métier-là » assure-t-il. Une histoire de famille. Ces dernières années, certaines cultures traditionnellement semées dans la région subissent de plein fouet le dérèglement climatique.
Jean-Pierre Ricard l’observe à l’oeil nu avec « des températures extrêmes en été ou des hivers plus doux où l’on n’a plus les séquences de neige et de froid comme nous avions auparavant ». Des grosses chaleurs, mais aussi des gelées plus tardives, comme cette année. Elles sont arrivées en mars et à la mi-avril. « Cela pose de gros problèmes » regrette-t-il, et certaines productions sont même menacées.
C’est le cas du colza. Laurent Delaleau, agriculteur situé à une cinquantaine de kilomètres de là, à Compiègne, a arrêté cette culture. « Il y avait trop d’incertitudes, et pas assez de rendements. En plus des coups de chauds, les insecticides dont on dispose sont de moins en moins efficaces ». Les produits de traitement sont aujourd’hui, pour la plupart, moins nocifs pour l'environnement qu'hier et leur utilisation est encadrée.
Revoir : Dérèglement climatique : les agriculteurs français à la recherche de cultures résistantes
Par ailleurs, la diversification des cultures est promue depuis des années par le ministère de l’agriculture. Une logique environnementale selon Inma Tinoco, conseillère ingénieur en production végétale dans la chambre d’agriculture de l’Oise. « Diversifier permet de casser le cycle des bioagresseurs (insectes ravageurs, mauvaises herbes, maladies) et donc d'utiliser moins de produits agressifs pour l’environnement». Des agriculteurs sont donc encouragés à miser sur de nouvelles cultures. Ces dernières années, l'Oise a ainsi vu arriver sur ces terres notamment « le tournesol, les lentilles, le pois-chiche », remarque Inma Tinoco.
Inma Tinoco, conseillère ingénieur en production végétale dans la chambre d’agriculture de l’Oise
Damien Heurtaut, agriculteur lui aussi dans la région, est pragmatique : « il faut qu’on s’adapte au climat et que l’on ajuste nos pratiques ». Ce qui était réservé hier au Sud ou au centre de la France, comme les cultures du soja ou du tournesol, sont de plus en plus semées dans l’Oise. Suivant cette logique, des vignes ont été plantées dans la région l’année dernière. « Les cultures remontent » affirme Jean-Pierre Ricard.
Sur son exploitation de 300 hectares, il élève ses bovins et répartit ses productions agricoles sur différentes parcelles : blé, colza, orge d'hiver, luzerne, lin et lentilles, plus récemment. Il y a un an, Jean-Pierre Ricard sème du sorgho : « j’ai essayé de l’implanter dans la région pour voir comment il réagissait ».
Il faut qu’on s’adapte au climat et que l’on ajuste nos pratiques.
Damien Heurtaut, agriculteur
Qu’est ce que le sorgho ?
Le sorgho est la cinquième dans le monde après le maïs, le blé, le riz et l’orge. C’est un aliment de base depuis des siècles en Afrique et en Asie. Si près de la moitié des surfaces de cette céréale sont en Afrique, elle est également cultivée aux Etats-Unis -où les surfaces ont fortement augmenté-, en Argentine, en Inde, en Chine et en Australie.
Dans l’industrie, le sorgho sert à la fabrication de papier et de balais. Pour l’alimentation, il en existe deux types : le sorgho fourrager, principalement utilisé pour nourrir les animaux. Le sorgho à grain est consommé comme du riz par des populations notamment en Inde et dans plusieurs pays d’Afrique.
La plante est peu exigeante en eau, résistante aux insectes et aux fortes chaleurs. Traditionnellement cultivé en Afrique de l’Est, le sorgho est de plus en plus semé en Europe et en France, notamment dans le Sud-Ouest, où il commence à supplanter le maïs, deux fois plus demandeur en eau. Un moyen d’affronter des canicules plus intenses et des périodes sèches plus longues que dans les décennies passées. Pour Jean-Pierre Ricard, l’opération est un succès. « On est toujours en recherche de cultures (…) adaptées au nouveau climat qui nous tombe dessus ».
Aujourd’hui, la France compte 400 000 agriculteurs-exploitants. Un chiffre en baisse constante. Ils étaient quatre fois plus il y a quarante ans. Chez les Ricard, la relève est assurée : deux de ses fils pensent reprendre l’exploitation dans les prochaines années.