En France, que dit la loi « antiterroriste » finalisée à l'Assemblée nationale ?

Plus connu sous le nom de "loi antiterroriste", le projet de loi "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" annoncé au début de l'été revient en discussion à l'Assemblée nationale après son passage au Sénat. Conforme à l'original, le projet transpose surtout l'Etat d'urgence, malgré l'opposition de juristes et défenseurs des libertés. L'exécutif assume.
Image
ctl
Contrôle d'identité à Paris après les attaques de novembre 2016.
(AP Photo/Francois Mori)
Partager7 minutes de lecture
C'est encore un sujet qui trouble, même s'il semble politiquement moins dangereux que celui de la réforme du code du travail. Après un passage au Sénat – où il a été légèrement revu – le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » voulu par Emmanuel Macron est de retour devant l'Assemblée Nationale après une retouche minime du Sénat.

Près de 300 amendements ont été « examinés » cette semaine - et pour la plupart rejetés - par sa commission des lois avant un passage en séance publique le 25 septembre. Nouvel épisode d'un débat devenu récurrent de la vie parlementaire française, en particulier depuis la tuerie perpétrée par Mohamed Merah en mars 2012 et plus encore, bien sûr, celles de Charlie Hebdo et du Bataclan.
 

De l'exception à la loi ordinaire

Quatre lois et de multiples dispositions renforçant les moyens sécuritaires ont été ainsi adoptées au fil des drames, répondant parfois plus aux besoins des politiques face à l'émotion de l'opinion qu'à ceux réels de la police. Finalement utile ou non, l’état d'urgence instauré en novembre 2015 était logique au lendemain d'un massacre sans précédent au cœur de la capitale, aux suites imprévisibles. Ses cinq prolongations le furent moins, a fortiori lorsqu'elles ont été employées, comme en 2016,  pour restreindre le droit de manifester en défense du code du travail.

Le projet de loi qui arrive se veut à cet égard une sortie de l'exception. « Je rétablirai les libertés des Français à l'automne », avait promis Emmanuel Macron le 3 juillet au Parlement. En réalité, la réforme apparaît de l'avis général comme une institutionnalisation de l’État d'urgence, désormais intégré à la loi ordinaire, et les rares assouplissements sont surtout sémantiques.
 

 

Mode d'emploi

L'assignation à résidence est remplacée par une « mesure individuelle de surveillance ». Principale différence pratique: l'assignation n'est pas restreinte au domicile mais à la commune. En revanche, le pointage restera quotidien et non limité à trois par semaine comme le souhaitait le Sénat. « On ne peut se permettre de perdre de vue un individu dangereux pendant trois jours », a plaidé le ministre de l'intérieur Gérard Collomb. Les personnes frappées d'une mesure de surveillance devront déclarer leur(s) numéro(s) de téléphone et leur(s) adresse(s) mail(s)

Le surveillé pourra être dispensé de pointage s'il accepte le port d'un bracelet électronique. L'assignation est limitée à un an maximum et peut être imposée par l'autorité administrative sans contrôle d'un juge judiciaire – comme l'aurait souhaité l'ex-magistrate Laurence Vichnievsky, pourtant députée de la majorité. Argument du ministre : la mesure n'est pas « privative de liberté » mais seulement « restrictive ».

Au-delà de 6 mois, chaque renouvellement est « subordonné à l'existence d’éléments nouveaux ou complémentaires ».

Établissement de périmètres de protection lors d'événements. Privatisation des contrôles.

La possibilité pour les préfets d'instaurer des « zones de protection » avec pouvoirs accrus de contrôle des personnes est pérennisée. Les forces de l'ordre peuvent y vérifier les identités et fouiller bagages et véhicules sans autorisation d'un juge. Le projet de loi prévoit de déléguer si nécessaire la tâche à des agents de sécurité privés.
« Il est précisé dans le texte de loi que cela se fera sous le contrôle de policiers ou de gendarmes. Celles et ceux qui ne voudront pas être fouillés pourront s'en aller », a précisé le ministre de l'intérieur.

Ces périmètres sont déterminés par le préfet « afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement soumis à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature ou de l’ampleur de sa fréquentation », définition assez vague pour laisser toute latitude à l'autorité administrative.

Les périmètres de contrôle d'identité aux frontières sont élargis aux abords des gares, ports et aéroports ouverts au trafic international, notion qui couvre une grande part du territoire national.

Visites et saisies : Le projet de loi permet notamment, « aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme », de « visiter tout lieu  » pour y « saisir des documents, objets ou données qui s'y trouvent ».

Un décalque de la perquisition administrative sous l'état d'urgence avec une nuance : l'autorisation du juge des libertés est requise pour mener une visite domiciliaire.

Une fois sur place, les forces de l'ordre peuvent décider de retenir toute personne pour une durée de quatre heures maximum afin d'approfondir les recherches. Dans ce cas, le juge est simplement avisé de cette décision.

Lieux de culte : les préfets pourront ordonner la fermeture des lieux de culte « dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou les théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent, provoquent à la commission d’actes de terrorisme, en France ou à l’étranger, incitent à la violence, ou font l’apologie de tels actes ».

Passagers aériens : deux articles transcrivent dans le droit français la directive européenne sur les données des passagers aériens. Le but est de permettre aux ministres de l'Intérieur de l'UE de centraliser les données personnelles des individus voyageant en Europe « afin d'améliorer le contrôle aux frontières, de lutter contre l'immigration clandestine et de prévenir et réprimer des actes de terrorisme ».
 

Combats d'arrière-garde


La majorité, les Constructifs et la Nouvelle gauche ont soutenu le texte pendant les débats, présenté par le gouvernement comme « équilibré » et ayant « une efficacité opérationnelle »

La France insoumise (LFI), qui a tenté de faire supprimer chaque article du texte, a voté contre « la mise en place d'un état d'urgence permanent ».
 


Selon le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, la France serait «désarmée» face au terrorisme si les amendements LFI avaient été adoptés.

Pour des raisons diamétralement contraires, les Républicains s'y sont également opposés, y voyant « une dégradation du dispositif de l'état d'urgence, qui diminuera la protection des Français ».
 
 

Une forte opposition des juristes

Si la France insoumise se retrouve assez seule dans la lutte parlementaire, bien des voix de la société civile, en revanche, combattent avec autant de vigueur une loi souvent considérée comme liberticide.

Lors de sa présentation au mois de juin, elle avait été qualifiée de « monstre juridique » par le Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Mais bien plus à droite, l'Union syndicale des magistrats a également jugé le projet « scandaleux » : « Le procureur de la République ne saurait être instrumentalisé (...) et réduit à un simple rôle de délivrance d’autorisations relatives à des opérations qu’il ne contrôle ni ne dirige. »

Amnesty international a estimé que le projet relevait d'un « jeu très dangereux » : « Les autorités, regrette l'ONG, n’ont tiré aucune leçon des dérives graves que l’état d’urgence a provoquées ».

Plus officiellement, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a déploré notamment le « renforcement considérable de pouvoirs attentatoires aux droits fondamentaux attribués aux autorités administratives, en particulier au ministère de l'Intérieur et aux préfets, en se fondant sur une conception extensive de l'ordre public ». Autorité administrative indépendante, la CNCDH est une structure de l'État qui assure un rôle de conseil et de proposition au gouvernement et au parlement dans le domaine des droits de l'Homme.
 
Novlangue de l'antiterrorisme (...) Dissolvant de la cohésion nationale... La France est en train de sortir des principes stricts du droit pénal.Jacques Toubon, défenseur des droits
Ancien ministre de la justice de Jacques Chirac, le défenseur des droits Jacques Toubon, avait considéré que le projet créait « une étonnante Novlangue de l'antiterrorisme », créant une insécurité juridique et visant, « dans 99 % des cas », des musulmans, instillant ainsi « une sorte de dissolvant de la cohésion nationale » . « On ne parle plus d'assignation à résidence mais de mesure individuelle de surveillance, ironisait-il. Plus de perquisitions administratives mais de «visites et saisies. Comme s'il s'agissait d'un exploit d'huissier. (…) La France est en train de sortir des principes stricts du droit pénal ».