Qu'est-ce qu'engendre un audiovisuel entièrement entre les mains du privé ? D.S : C'est très simple, et poser la question c'est y répondre : c'est la soumission pure et simple à l'audimat. Cela donne la téléralité, le sang à la une, les émissions débiles. La définition d'un service public c'est qu'il est censé remplir des missions de service public : l'information, l'éducation, la distraction, etc… Pourtant, l'audiovisuel public, à mon sens, ce n'est pas une panacée. L'audiovisuel public, son problème, c'est toujours son lien avec l'Etat et donc avec le pouvoir. Je critique à longueur d'années le journal de Pujadas (de France 2, ndlr), mais là, imaginer un pays développé sans audiovisuel public, on se rend compte de ce qu'il manque. Alors, on pourrait se dire que la mission d'information impertinente va être remplie par les nouveaux média indépendants, sur Internet, et d'une certaine manière c'est vrai, mais dans le même temps on sait que ça ne suffit pas, le web touche trop peu de gens. J-M.C : La première conséquence est que toute une partie des destinataires de l'audiovisuel public n'est plus servie. Les premières missions l'audiovisuel public sont de couvrir des populations qui sont considérées comme moins intéressantes pour le financement publicitaire. Cela change selon les pays, mais par exemple, en Allemagne c'est beaucoup un financement local, comme en France avec France 3,
France Bleu. Les émissions religieuses, les expressions politiques ou syndicales, toutes ces choses sont couvertes par le service public, pas par le privé. On ne trouvera généralement pas de culture, ou alors peu de choses difficiles, pas d'éducatif, dans le privé. L'international est fortement couvert par l'audiovisuel public lui aussi. Il y a un public qui est peu couvert par le secteur privé c'est celui des enfants, malgré ce que l'on peut penser, parce qu'ils n'intéressent pas beaucoup les annonceurs.
Et puis là où le privé, aux Etats Unis, peut avoir de très grandes ambitions, le privé européen travaille sur des marchés parfois petits et est souvent limité dans ses ambitions. En Belgique, un petit pays, l'audiovisuel privé fonctionne surtout avec des rediffusions de programmes étrangers, par exemple. La création est souvent le fait de l'audiovisuel public.
La question de la redevance : les citoyens ont payé pour une télévision publique qui leur est retirée… Est-ce constitutionnel de la part du gouvernement de détourner cet argent vers d'autres secteurs ? J-M.C : J'ai entendu que la mesure est censée être conservatoire, donc sur le plan juridique, j'imagine que l'argumentation pourrait être que l'argent servira à la nouvelle structure. Mais dans quelle mesure, au niveau européen, dans les conditions d'exercice de la démocratie, avec les règles de l'Union européenne, cet acte ne peut-il pas être considéré comme contraire au droit à l'information ? On vient de reprocher aux Turcs d'être trop violents dans la répression des manifestations, mais la fermeture du service public audiovisuel grec est aussi une forme de violence. Il faut voir si l'Europe réagit, ce qui semble nécessaire. (Ce mercredi 12 juin, Bruxelles a simplement "pris acte" de la situation tout en soulignant l'importance d'un service public, NDLR) D.S : La Grèce est dans un tel état de panique généralisée que les gens ne sont plus en état de se poser ce genre de questions. Mais il y a un point sur lequel je veux vraiment insister, c'est que la France a un rôle à jouer dans cette histoire. Parce que cette décision est prise sous la pression de la troïka, et la troïka, c'est nous, c'est la France ! J'ai entendu quelques déclarations de ministres préoccupés, mais une condamnation doit être effectuée au plus haut niveau. Nous sommes dans un moment historique où la France, et certainement l'Europe, doivent condamner cette décision ! Si cela n'est pas fait, toutes les autorités qui ne l'auront pas fait seront complices du passage d'un pays de l'Union européenne à un régime autoritaire.
Les 2 entretiens ont été réalisés séparément, par téléphone.