En Irak, condamnations à mort de plusieurs djihadistes français

En tout, onze djihadistes français et un Tunisien, affiliés à Daech, ont été condamnés à mort par un tribunal irakien ces derniers jours. Un verdict inédit qui relance le débat sur la question du jugement des djihadistes dans leurs pays respectifs. Des avocats français signent une tribune pour dénoncer ces "procès expéditifs".
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La cour criminelle irakienne à Bagdad où ont été jugés des djihadistes français. 
©AP Photo/Khalid Mohammed
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Ils ont été arrêtés en Syrie par un groupe arabo-kurde qui lutte contre l'organisation Etat Islamique, avant d’être transférés en Irak avec neuf autres Français en février. Kévin Gonot, Léonard Lopez et Salim Machou, trois djihadistes, ont été les premiers condamnés à mort par un tribunal irakien, dimanche 26 mai.

D'autres condamnations ont suivi jusqu'à ce lundi 3 juin où les deux derniers Français jugés ont aussi écopé de la peine de mort. En tout, onze Français et un Tunisien condamnés. Ils ont 30 jours pour faire appel. 

En France, 45 avocats ont publié une tribune ce même lundi pour dénoncer "des procès expéditifs" qui "méconnaissent gravement les droits de la défense". Ils ajoutent que l'article de la Constitution française interdisant la peine de mort "ne souffre d'aucune dérogation, pas même en matière de terrorisme." Ces avocats ajoutent : "Il est légitime de craindre un traitement de nos ressortissants à géométrie variable", rappelant les mobilisations précédentes contre les exécutions de ressortissants français en Indonésie et au Mexique. 

Ce verdict inédit relance le débat sur la question du jugement des djihadistes par les tribunaux irakiens et la question de leur retour dans leurs pays respectifs, alors qu'ils suscitent un vif rejet dans l’opinion publique européenne. Une situation qui met aussi Paris dans une position délicate.

Qui sont les trois premiers Français condamnés ? 

Léonard Lopez, dont la kunya (surnom) était Abou Ibrahim al-Andaloussia, fait partie des membres les plus actifs sur le site djihadiste francophone de référence d’alors, Ansar Al-Haqq, au début des années 2000. En juillet 2015, pourtant sous contrôle judiciaire, il part avec sa femme et leurs deux enfants, à Mossoul puis en Syrie, selon les enquêteurs français. En son absence, il a été condamné, en France, à cinq ans de prison.

Salim Machou a appartenu à la brigade Tariq ibn Ziyad, une cellule d’Européens de l’organisation Etat Islamique que les autorités américaines décrivent comme un "vivier d’auteurs d’attaques" qui a compté jusqu’à 300 membres. Il aurait herbergé Jonathan Geffroy à Raqqa, un Français, depuis remis à la justice française, lié aux frères Clain, voix de l’organisation Etat islamique qui avaient revendiqué les attentats du 13 novembre 2015, en France.

Kévin Gonot, lui, a annoncé au juge "regretter" d’avoir rejoint l’organisation Etat Islamique. Il a été arrêté en Syrie avec son demi-frère, sa mère et son épouse, une nièce des frères Clain. Il affirme que son père a été tué à Raqqa en Syrie. Il a d’abord rejoint le Front al-Nosra (ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie) avant de prêter allégeance à l'organisation Etat Islamique. Il aurait été blessé au ventre lors de la bataille de Kobané en Syrie en 2015, puis aurait été transféré à Mossoul afin d'y être hospitalisé. Il a, lui aussi, été condamné en France, à neuf ans de prison, selon le Centre d’analyse du terrorisme (CAT).

L'Elysée dans l'embarras

Me Nabil Boudi, l’avocat français de Léonard Lopez, a déclaré, lors d'un entretien donné à l’Agence France-Presse : "Le ministère des Affaires étrangères nous avait pourtant garanti que les Français auraient droit à un procès équitable même en Irak".

En effet, Nicole Beloubet, ministre de la Justice, avait annoncé que dans l’hypothèse où un ou des djihadistes français étaient condamnés à mort en Irak ou en Syrie, "l’Etat français interviendrait, en négociant avec l’Etat en question".

Pourtant, le cas de ces Français condamnés à mort n'a pas poussé l'Elysée à infléchir sa position. La France refuse toujours de rapatrier les djihadistes français qui ont décidé de rejoindre l'organisation Etat Islamique et préfère déléguer la responsabilité de leurs crimes aux tribunaux irakiens, dont les méthodes sont très discutées.
"La position de la France, telle que définie par le président de la République, est que les adultes détenus en Irak doivent être jugés par la justice irakienne, dès lors qu’elle se déclare compétente ", a rappelé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué ce lundi 27 mai.

Le ministère français des Affaires étrangères s'est toutefois saisi de l'affaire et a annoncé que des démarches sont en cours afin de rappeler aux autorités irakiennes "que la France est opposée à la peine de mort".

En Syrie, une problématique similaire :

Environ 450 ressortissants français affiliés à l'organisations Etat Islamique sont détenus par les Kurdes ou retenus dans des camps de réfugiés dans le nord-est de la Syrie selon le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
"Notre logique est toujours la même et on n’en bougera pas : les combattants doivent être jugés là où ils ont commis leurs crimes", a-t-il déclaré.
Concernant le cas des enfants, il a ajouté que "s’ils sont orphelins ou si, d’aventure, il y avait l’autorisation de leur mère, mais c’est au cas par cas, ils pourraient être rapatriés en France".

La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a rappelé, lundi 3 juin, que Paris ne contestait pas "l'équité" de ces procès qui se sont tenus "dans de bonnes conditions avec une défense présente". 

"Une justice irakienne expéditive"

De son côté, Me Nabil Boudi a annoncé qu'il ferait appel de cette décision, avec son confrère irakien, dénonçant une justice irakienne "expéditive". Des défenseurs des droits humains dénoncent, eux, "de vrais risques de torture" et "aucune garantie pour des procès équitables" en Irak.