Fil d'Ariane
A quelques jours de l'élection présidentielle en Pologne, en principe prévue dimanche, le pays est encore dans l'incertitude sur sa tenue même, et la pression monte pour ajourner ce scrutin, compte tenu de la pandémie de Covid19.
Le gouvernement conservateur nationaliste de Droit et Justice (PiS) tentera d'obtenir ce jeudi 7 mai le feu vert du parlement pour un scrutin par correspondance.
Mais comme certains parlementaires du PiS y sont opposés, l'issue de ce vote demeurait incertaine lundi.
Pour les critiques du pouvoir, un tel vote par courrier ne serait ni libre, ni juste, ni légal ni sans risque pour la santé publique.
Selon des sondages récents, le président sortant Andrzej Duda, issu du PiS, pourrait l'emporter au premier tour avec plus de 50% des voix, ce qui pousse l'opposition à accuser le parti au pouvoir de mettre en danger la santé des électeurs pour s'assurer la victoire de son candidat.
Certains critiques estiment que le vote par courrier présente des risques de contamination, les bulletins de vote devant être transportés, remplis et comptés manuellement.
Dans ce climat, seulement un électeur sur quatre souhaite que le scrutin soit maintenu le dimanche 10 mai, selon un sondage.
Les Polonais sont confinés depuis la fin mars, mais peuvent sortir de chez eux pour aller au travail ou faire les courses. Le bilan actuel de la pandémie atteint près de 14.000 cas de contamination dont près de 700 décès, sur une population de 38 millions d'habitants de ce pays membre de l'UE.
Les restrictions des activités ont été quelque peu assouplies ce lundi, avec la réouverture des centres commerciaux et des hôtels, mais les écoles restent fermées et les masques faciaux obligatoires.
Des organisations internationales qui surveillent le respect des droits de l'homme et les élections ont relevé que l'introduction de changements dans le code électoral juste avant le scrutin serait inconstitutionnelle.
Human Rights Watch a fait état de ses "sérieuses préoccupations concernant les élections libres et justes et l'Etat de droit en Pologne", en phase avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Même la puissante Eglise catholique, proche du PiS, a pressé les partis politique de "chercher des solutions qui ne soulèvent pas de doutes légaux ou de soupçons de violation de l'ordre constitutionnel".
Des analystes pensent que si le PiS échoue au parlement jeudi, sa majorité, relativement modeste, mais solide jusqu'à présent, pourrait s'effondrer.
Et même s'il l'emporte, "il faudrait un miracle" pour organiser le vote par courrier dimanche, selon le président de la commission électorale nationale Sylwester Marciniak.
"Il est impossible, pour des raisons d'organisation, de remettre les bulletins de vote à tous les électeurs", a-t-il dit aux médias.
Pour la politologue de l'Université de Varsovie Anna Materska-Sosnowska, le PiS, pressé tant par l'Eglise que par le président de la commission électorale, pourrait "reculer et chercher une date ultérieure".
Sans le proposer formellement, le Premier ministre PiS Mateusz Morawiecki a évoqué la possibilité d'ajourner le scrutin au 17 ou au 23 mai.
Auparavant, son parti a avancé l'idée d'une réforme constitutionnelle permettant de prolonger le mandat de M. Duda de deux ans, mais il ne dispose pas de la majorité qualifiée nécessaire.
M. Morawiecki a rejeté les appels de l'opposition à introduire l'état d'urgence qui permettrait d'ajourner automatiquement la présidentielle jusqu'à sa révocation, à cet automne voire au printemps prochain.
M. Duda lui-même a démenti lundi sur Twitter une rumeur selon laquelle il pourrait démissionner pour permettre au PiS de fixer une nouvelle date et tenir l'élection cet été.
Le conflit autour de la présidentielle a rappelé les inquiétudes à l'étranger au sujet de l'Etat de droit en Pologne.
La semaine dernière, la Commission européenne a lancé une nouvelle procédure d'infraction - la quatrième - à l'encontre de la Pologne, au sujet cette fois d'une loi risquant de réduire l'indépendance des juges.
La commissaire européenne Vera Jourova, qui l'a annoncé, a paru mettre en garde Varsovie contre son approche de l'élection présidentielle.
"Nous ne pouvons faire des compromis ou mettre en confinement nos droits fondamentaux et nos valeurs", a-t-elle dit. "Le virus ne doit pas tuer la démocratie".