En quoi les adhésions à l'OTAN de la Suède et de la Finlande constituent un bouleversement géopolitique ?

C’est la fin d’une tradition de non-alignement. La Finlande et la Suède s’apprêtent à rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), après la levée du droit de veto de la Turquie sur leur demande d’adhésion. Ce nouvel élargissement de l’OTAN peut-il modifier l’équilibre géopolitique de la mer Baltique ?
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan serre la main au secrétaire général de l'OTAN Gens Stoltenberg après la signature d'un mémorandum où la Turquie donne son accord à l'adhésion de la Suède et de la Finlande.
Bernat Armangue/AP
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L’OTAN vit “sa crise sécuritaire la plus sérieuse depuis la Seconde guerre mondiale”. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, à l’ouverture des débats du sommet de l’alliance ne cache pas son inquiétude. Cette “crise sécuritaire” est bien entendu celle del’invasion de l’Ukraine par la Russie. Depuis le début de la guerre, l’Alliance affiche une unité presque sans faille. 

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Nos dirigeants vont prendre la décision d’inviter la Suède et la Finlande à devenir membres de l’OTAN”, affirme Jens Stoltenberg à Madrid. Leur demande d’adhésion est soumise le 18 mai, motivée par l’offensive russe en Ukraine. L’Alliance lance formellement le processus d’adhésion des deux pays ce 29 juin, après de longues discussions la veille.  

L'élargissement de l'OTAN à l'est de l'Europe
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Rupture avec une longue tradition de neutralité 

C’était un accord plus que nécessaire”, selon le président de la Finlande Sauli Niinistö. “La Finlande, en terme volumétrique, serait le troisième contingent après les États-Unis et la Turquie”, explique le président de l’Institut prospective et sécurité en Europe Emmanuel Dupuy. Cela s’explique par le nombre important de soldats en Finlande, “par le biais de la conscription” Pourtant, il estime que “le poids militaire de la Finlande et de la Suède sont relativement faibles”. Depuis le début du 19e siècle, la Suède n’a participé à aucune guerre et la Finlande “a adopté un statut de neutralité”, poursuit Emmanuel Dupuy. 

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Cette décision préserve l’unité de l’OTAN, et sa légitimité en tant que pourvoyeur de paix en Europe occidentale.Yannick Quéau, directeur du GRIP.

Pourtant, les deux pays rompent désormais avec leur tradition de non-alignement. “Cette décision préserve l’unité de l’OTAN, et sa légitimité en tant que pourvoyeur de paix en Europe occidentale”, analyse Yannick Quéau, directeur du groupe d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), sur le plateau du Journal International de TV5MONDE. “Aujourd’hui, on voit avec la ré-émergence d’un ennemi décidé à redéfinir ses propres frontières et à faire la guerre sur le continent européen, il y a un véritable ralliement des pays de l’Europe occidentale autour de cette alliance atlantique, constate-t-il. Pour eux, c’est la première et la principale garantie de sécurité en Europe occidentale.

Le statut de neutralité a volé en éclat avec l’invasion en Ukraine par la Russie le 24 février.Emmanuel Dupuy, directeur de l'institut prospective et sécurité en Europe

Trois raisons expliquent cette rupture selon Emmanuel Dupuy. “Premièrement, parce qu’ils sont très impliqués dans le soutien militaire à l’Ukraine”, ce qui les a de-facto fait sortir de leur neutralité militaire. Ensuite, “parce que le statut de neutralité a volé en éclat avec l’invasion en Ukraine par la Russie le 24 février”. Enfin,“parce que le statut de neutralité, qui n’est pas le seul apanage de la Finlande, est également partagé par d'autres pays”. Dans ces autres pays, comme l’Autriche et l’Irlande, ce statut est en train d’être revisité “au regard du nouveau risque que l’invasion russe de l’Ukraine fait peser au flanc oriental de l’OTAN.

Pourquoi la Turquie bloquait le processus ?

L’élargissement de l’OTAN à la Suède et la Finlande n’est possible que depuis mardi 28 juin car la Turquie, membre de l’Alliance depuis sa création, mettait son droit de veto à leur adhésion. La raison ? Elle accusait les deux pays d’abriter des militants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), un mouvement classé terroriste par Ankara. 

On aurait pu rester dans un statu quo, là ça ne va pas changer grand-chose en matière de tactique et militaire.Emmanuel Dupuy, directeur de l'institut prospective et sécurité en Europe

De ce fait, de longues discussions ont eu lieu mardi 28 juin, afin de trouver des compromis pour mener à l’adhésion des deux pays. “La Turquie a eu ce qu’elle voulait”, déclare dans un communiqué la présidence turque. La Suède et la Finlande ont signé un mémorandum, qui les oblige à “soutenir totalement la Turquie contre les menaces à sa sécurité nationale.” Selon Emmanuel Dupuy, “la Turquie est la grande gagnante” de cet accord. “Je ne suis pas certain que le jeu en valait la chandelle, explique t-il. On aurait pu rester dans un statu quo, là ça ne va pas changer grand-chose en matière de tactique et militaire.

Pour Yannick Quéau, “la Turquie a joué le jeu de l’Alliance atlantique, mais pas sans exiger des contreparties.” Celles-ci concernent “notamment les transferts d’’armements des pays nordiques vers la Turquie et sur la catégorisation des groupes armés kurdes comme étant terroristes”, énumère le directeur du GRIP. D’ailleurs, Ankara n’a pas tardé à demander son dû. À peine l’accord annoncé, le ministre de la Justice turque Bekir Bozdag  annonce que la Turquie réclame à la Finlande et la Suède l’extradition de 33 personnes, issues des mouvements PKK et Fetö. 

Une annonce pour faire trembler la Russie ?

De nombreux pays ont salué l’invitation de l’Otan à la Suède et la Finlande. La Russie, quant à elle, juge “déstabilisateur” cet élargissement. “Cela ne renforce ni la sécurité de ceux qui élargissent, ni celle de ceux qui adhèrent, ni celle encore de ceux qui considèrent l'alliance comme une menace", juge le vice-ministre russe Sergueï Riabkov.

carte OTAN MER BALTIQUE
En bleu sont représentés les pays membres de l'OTAN.
TVMONDE

Désormais, la Russie se retrouve flanquée par des pays membres de l’Alliance. “Tous les pays qui bordent la mer Baltique sont aujourd’hui unis dans la même alliance, qui est orientée contre la Russie”, décrit Yannick Quéau. Il considère également qu’il y a “un différentiel de puissance militaire et matérielle”, qui joue en défaveur de la Russie, “même en enlevant les États-Unis et le Canada de l’équation.” Emmanuel Dupuy donne une autre perspective : “Toutes les frontières occidentales de la Russie font face à des pays de l’OTAN, à l’exception de l’Ukraine et de la Biélorussie.” 

Fantasmer sur une agression et la remise en cause de la solidité de l’Alliance atlantique par les Russes, ce serait proprement suicidaire de la part de Vladimir Poutine.Yannick Quéau, directeur du GRIP

Il ne faut pas s’étonner que la Russie ne soit pas si critique par rapport à cette adhésion”, poursuit Emmanuel Dupuy. Pour lui, cela s’explique par le temps que prendra la procédure d'adhésion de la Suède et de la Finlande. “Pour accéder à l’OTAN, il faut accomplir ce que l’on appelle le Membership action plan”, qui comporte huit chapitres. Cela représente moins de volume que celui pour intégrer l'Union européenne (qui comporte 35 chapitres). Or, le processus peut être long, et peut prendre “quelques années”, selon lui. Par ailleurs, “la Russie n’a jamais remis en cause la solidité du pacte atlantique à l’heure actuelle”, rappelle le directeur du GRIP Yannick Quéau. “Fantasmer sur une agression et la remise en cause de la solidité de l’Alliance atlantique par les Russes, ce serait proprement suicidaire de la part de Vladimir Poutine.”