Fil d'Ariane
Photo fournie par l'armée française de trois mercenaires russes au nord du Mali. La SMP russe Wagner n'est pas la seule à opérer. En Russie, on dénombre entre 30 et 40 sociétés militaires privées.
Ils sont entre 30 et 40. Les groupes militaires dits privés sont en essor en Russie, mais ils ne sont pas un phénomène nouveau. Pour la plupart officiellement interdits par la Constitution russe, ils sont tolérés voir même créés, directement ou indirectement, par l’État russe. Récit
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le plus connu d’entre eux, Wagner, occupe les gros titres.
De fait, le groupe paramilitaire, fort de ses implications dans les conflits syriens, dans certains pays d’Afrique ou encore dans le Donbass, est monté en puissance avec la guerre en Ukraine. Équipements avancés, artillerie, armée de plusieurs milliers d’hommes… La société militaire a pris une nouvelle ampleur et a montré un nouveau visage, aux traits encore plus puissants qu’auparavant.
La mutinerie déclenchée par le chef de Wagner, Evgueni Prigojine, les 23 et 24 juin, illustre la force de frappe du groupe. Des milliers de mercenaires montent vers Moscou. Le mouvement s’avorte mais parvient à faire pâlir le Kremlin, sur qui tous les yeux sont rivés.
« La révolte de Prigojine a montré que des insurrections sont possibles et qu’un renversement du pouvoir est possible. Toutes ces sociétés de sécurité ou ces armées de mercenaires naissantes vont prendre de l’essor », explique Galia Ackerman, historienne, spécialiste de la Russie.
Une bonne partie du monde découvre avec la guerre en Ukraine l’existence et l’importance des milices privées en Russie. Mais elles ne sont pourtant pas nouvelles.
(Re)voir : Russie : la mutinerie de Wagner peut-elle profiter aux Ukrainiens ?
C’est à partir de la fin de la période soviétique (1922 à 1991) qu’apparaissent les premières structures de sécurité. Face au capitalisme naissant et au banditisme concomitant, les grandes sociétés doivent protéger leurs biens. Elles se dotent d’agents de sécurité et d’un dispositif sécuritaire important. Ces structures changent de forme petit à petit.
En 2014, Wagner, le premier groupe militaire dit privé, est créé par l’État russe, sur idée du renseignement militaires de l’armée. Le FSB place à sa tête Evgueni Prigojine.
« Il y avait des opérations délicates que l’armée ne voulait pas connaître : soutien des dictatures, meurtres des adversaires de ces dictatures… C’est là que la décision a été prise et que Prigojine a été désigné », continue Galia Ackerman.
Depuis, d’autres groupes militaires privés ou secrets ont été créés, tous soutenus de près ou de loin par l’État russe. Tous piochent leur main d’œuvre dans un réservoir d’anciens combattants, de « soldats de fortune », apparu à partir des années 1990.
« Ces volontaires avaient combattu dans les « points chauds », ces espaces post-soviétiques où il y avait des révoltes, pour différentes raisons », continue Galia Ackerman. En Transnistrie (1992), en Abkhazie (1992-1993), en Tchétchénie (1999-2000), aux côtés de l’armée régulière, des volontaires « affluent ». « Assoiffés d’action, ils se croyaient grands patriotes. Ils ont aussi combattu aux coté de Slobodan Milošević (fondateur de la Serbie) en Moldavie. »
Thierry Vircoulon, chercheur à l’IFRI, auteur d’un rapport sur Wagner pour le « Global Initiative against Transnational Organised Crime », abonde.
« Tous ces groupes paramilitaires sont aussi le reflet de toutes les guerres qu’a mené la Russie. Tous ces conflits ont généré des anciens combattants. Le mercenariat est leur seul bassin d’emploi. Ce sont les différentes générations de vétérans qui alimentent ces groupes paramilitaires.»
Ces troupes ont été « revigorées » par le conflit dans le Donbass, où il n’y avait formellement pas d’armée russe mais des volontaires, explique Galia Ackerman. Evgueni Prigojine sera d’ailleurs décoré pour sa « bravoure » dans la guerre du Donbass, en 2014.
« Aujourd’hui, des dizaines de milliers de personnes ont déjà combattu ou ont envie de combattre, pour une somme élevée. Ces gens-là se recrutent et passent d’une structure à l’autre, au plus offrant. Les anciens de l’Afghanistan, qui étaient très jeunes à l’époque, sont ceux maintenant qui combattent pour Wagner. Nous devinons d’ailleurs des profils plutôt âgés dans leurs rangs.»
À ce jour, le recrutement pour intégrer la milice de Wagner continue en Russie. Tout comme pour les autres groupes paramilitaires ou de sécurité existants dans le pays.
(Re)lire : Où se trouvent les principales activités de Wagner en Afrique ?
Gazprom, le géant du gaz et du pétrole, première entreprise russe, a été autorisé par Moscou le 4 février, à avoir sa propre compagnie militaire pour se défendre, selon les informations révélées par les renseignements ukrainiens. En Russie, la création d’une « organisation » militaire est légale pour les entreprises pétrolières.
Celle qui emploie un demi million de personnes a commencé par recruter parmi ses employés en août 2022, selon les témoignages recueillis dans une enquête du Financial Times, notamment auprès de ses agents de sécurité. Toujours selon la même enquête, certains auraient été contraints à rejoindre les rangs des mercenaires, contre un salaire meilleur que celui d’un régulier dans l’armée russe.
Aujourd’hui, des membres des unités « Potok » ou « Fakel », les mots russes pour « vapeur » et « flambeau », sont présents sur le front ukrainien. Le groupe militaire privé de Gazprom serait celui qui (loin) derrière Wagner, dispose actuellement du plus d’hommes. Son armée de mercenaires est estimée à quelques milliers d’individus. Ces unités travaillent sous différents commandement sur le terrain et seraient en conflit avec Wagner.
Le média d’information indépendant « InformNapalm » recense lui 11 SMP russes opérant actuellement sur des terrains de guerre dans le monde.
Parmi elles Wagner mais aussi E.N.O.T., l’ATK Group et le groupe paramilitaire des « Patriot ». Il aurait été créé, indirectement, par Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense russe et serait lui aussi composé de quelques milliers de membres.
« Patriot a été créé justement pour concurrencer Wagner, pas directement par Choïgou, mais par le gouverneur de la Crimée. (…) Il leur faut créer des compétiteurs et il y en a d’autres. Ils ont senti que le groupe Wagner devenait trop puissant. D’où l’ultimatum du 1er juillet, ayant pour but de mettre le groupe Wagner sous la tutelle de la défense», explique Thierry Vircoulon, auteur d’un rapport sur Wagner.
Crédits : InformNapalm
À l’image de la dissension entre Sergueï Choïgou et Evegueni Prigojine, Patriot et Wagner sont désormais deux rivaux sur le terrain, bien que rivaliser avec Wagner ne soit encore à la portée d’aucune SMP actuellement.
« Wagner est devenu une multinationale du crime. Les autres sont des PME du crime, illustre Thierry Vircoulon. Wagner a des opérations à la fois en Ukraine mais aussi en Syrie et en Afrique, elle s’est 'multinationalisée' et elle a gagné une dimension considérable : 25 000 hommes, c’est une petite armée.»
(Re)lire : Russie : Evguéni Prigojine, comment le "cuisinier de Poutine" est devenu un défi à son autorité
Les autres SMP sont de différents types et n’induisent d’ailleurs pas forcément une implication dans un conflit armé. Certaines demeurent, pour l’instant, des sociétés de sécurité privées.
Pour l’historienne Galia Ackerman, l’ambition de Gazprom serait surtout de se préparer à défendre sa propriété, dans l’éventualité d’un nouveau « Temps des troubles ». Une période très agitée en Russie, qui commence à la mort du dernier descendant des Riourikides en 1598, le tsar Fiodor. Elle s’achèvera par l'établissement d'une nouvelle dynastie, celle des Romanov.
« En cas de mutineries ou de tentatives de sécession dans les régions pétrolières, Gazprom devra défendre sa propriété et ses infrastructures. Il ne s’agit pas de renverser Poutine, mais du manque de confiance en la capacité de l’État à faire régner la loi. Chacun s’équipe comme il peut. On entre malheureusement dans cette configuration.»