Le procès de 17 collaborateurs du quotidien turc Cumhuriyet a repris ce vendredi 09/03/17 près d'Istanbul. Ils risquent jusqu'à 43 ans de prison pour des accusations d'aide à trois groupes classés "terroristes" par Ankara.
Mise à jour du 10/03/018 :
A l'issue de la journée d'audience, le tribunal de Silivri a ordonné la libération conditionelle de deux accusés : le rédacteur en chef Murat Sabuncu et le journaliste d'investigation Ahmet Sik. Ils demeurent sous contrôle judiciaire.
Le patron du quotidien Cumhuriyet, Akin Atalay, reste en détention.
Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation d'extrême gauche appelée DHKP-C, et le mouvement du prédicateur Fethullah Gulen.. Toutes les bêtes noires du gouvernement turc pourraient avoir des liens avec le quotidien d'opposition
Cumhurriyet, du moins à en croire la justice turque. Résultat : le patron du journal et son rédacteur en chef sont incarcérés depuis 495 jours et le procès s'éternise. La sixième audience a ouvert ce samedi dans une ambiance tendue à Silivri près d'Istanbul après un rassemblement des soutiens du journal devant le tribunal.
La journaliste Mine Kirikkanat était présente. La chroniqueuse de Cumhuriyet décrit un journalisme "sur le fil du rasoir".
Comment se présente ce procès dont la sixième audience vient de commencer ? Mine Kirikkanat : Je pense qu'on se rapproche de la fin et la Cour n'a pas démontré l'implication du journal dans ce que le gouvernement nomme terrorisme. Donc, si on suit une logique juridique, ils ne seront pas condamnés pour cela. Mais en Turquie est-ce qu'on respecte encore une logique juridique ? A partir des dernieres décisions des tribunaux, on voit bien que non.
Moi je pense que la Cour ne pourra pas condamner les journalistes pour lien avec une entreprise terroriste mais il y a une autre accusation : celle de la mauvaise gestion financière du quotidien. Ce serait plûtot un délit économique et moral et c'est sérieux. Si la justice réunit assez de preuves, les dirigeants peuvent être condamnés.
Néanmoins, je suis optimiste. Ce délit de mauvaise gestion est puni plus légèrement et pourrait être couvert par le temps passé en détention provisoire pour le patron et le rédacteur en chef. Mais par contre, ils seront bannis de la gestion du journal pendant 5 ans, c'est la loi. Encore une fois, tout cela, ce sont mes suppositions
Comment voyez-vous l'évolution des rapports entre le régime du Président Erdogan et la presse. Est ce qu'on peut discerner un début de détente après la libération de Deniz Yücel, le correspondant du journal allemand Die Welt ? M.K. : Pas du tout, il n'y a pas de signe d'apaisement. Deniz Yücel a été libéré, mais il était un otage totalement innocent. Le gouvernemment le retenait pour faire pression sur Merkel. Il y a eu des tractations. On ne connait pas le fond du dossier, mais on suppose très fortement que l'Allemagne ne voulait pas vendre des armes à la Turquie. Une fois la vente faite, Deniz Yücel a été libéré.
Malgré tout Cumhuriyet continue à paraitre...M.K. : Nos conditions de travail sont pareilles aux autres. On s'autocensure, on fait attention à ce qu'on dit, ce qu'on écrit. Ca continue mais nous avons de gros problèmes financiers. Ce mois-ci, le peu de salaire que le journal paye est arrivé avec un grand retard et on n'est pas sur d'être payé le mois prochain car les annonceurs sont devenus très rares. C'est une autre manière d'asphixier la presse.
Et personnellement avez-vous peur ?M.K. : Bien sûr. C'est pour cela que je m'autocensure. Un mot de travers et on m'arrête. En Turquie, on est sur le fil du rasoir.