En Ukraine, le passage aux frontières, une épreuve de plus pour fuir la guerre

Ils sont des milliers, étrangers et Ukrainiens, à tenter de fuir les combats en Ukraine. Le passage aux frontières des différents pays limitrophes prendrait entre 20 heures et 60 heures, dans des conditions difficiles, toujours éprouvantes. Récit de traversées 
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foule frontiere ukraine
Cent quinze mille Ukrainiens ont franchi la frontière polonaise depuis l'attaque russe qui a débuté jeudi. 
AP Photo/Sergei Grits
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« Je suis parti le 24 de Kiev à 16h50 et je suis arrivé le 25 à Tchernivtsi aux alentours de 9 heures. Le temps de prendre un taxi pour remonter jusqu’à la frontière roumaine, je suis arrivé vers 10h30. C’est là qu’a commencé le cauchemar. »

Evan est Français. Il est arrivé à Kiev mercredi 23 février pour visiter des amis, « en dépit », reconnait-il, des consignes des autorités françaises, « persuadé » qu’il n’y aurait pas « d’invasion russe ».

Les 17 premières heures, de 10h30 à 3h30 du matin le jour suivant, ça a été la catastrophe. Evan, Français ayant traversé la frontière roumano-ukrainienne

En une soirée, tout a basculé. « Je suis arrivé le 23 au soir. J’ai eu une nuit de paix là-bas. C’était très calme. Je me suis réveillé le 24 avec le bruit des sirènes qui ont retenti dans la ville », explique le jeune homme. 

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Sur conseil et avec l’aide de ses amis ukrainiens, Evan parvient jeudi dans l’après-midi à trouver un billet de train pour fuir la ville en état de siège. Après 17 heures de train, il arrive le 25 au matin dans la ville de Tchernivtsi, au centre de la Bucovine, une région limitrophe de la Roumanie située au sud de l’Ukraine. 

Le jeune homme se rend immédiatement au plus proche de la frontière roumano-ukrainienne en Uber. Il compte passer à pied. À 10h30, il fait face à une foule compacte d’environ  « 1.000 personnes », enfants, femmes et hommes. 

« Les 17 premières heures, de 10h30 à 3h30 du matin le jour suivant, ça a été la catastrophe. Toutes les personnes qui voulaient fuir et traverser la frontière à pied s’étaient massées. Il n’y avait pas de file, pas d’organisation, les gardes-frontières étaient très tendus », relate Evan. 


Nous étions serrés comme des sardines, prêts à bondir sur la grille, dès qu’elle s’ouvrait. Evan, Français ayant traversé la frontière roumano-ukrainienne

Les femmes et les enfants étaient prioritaires pour l’évacuation. 

« Les gardes-frontières ukrainiens ouvraient la grille au compte-goutte. Une fois toutes les cinq minutes, dix personnes maximum entraient, femmes ou enfants. Nous étions serrés comme des sardines, prêts à bondir sur la grille, dès qu’elle s’ouvrait. »

Debout, collé à ses voisins, Evan, ainsi que tous les autres hommes étrangers présents, attendra jusqu’à une heure du matin qu’il n’y ait plus ni femmes ni enfants à évacuer. 

« À partir de ce moment-là, ça a été assez compliqué parce que les gardes ukrainiens laissaient passer au compte-goutte mais cette fois-ci, avec encore plus de parcimonie qu’avec les femmes et les enfants. Ils nous ont fait passer un à un par la grille, nous criant de reculer à de nombreuses reprises. C’était très tendu, ils étaient assez brusques et nous bousculaient. Si nous ne passions pas un par un par la grille, ils nous « attrapaient par le colbac », et nous forçaient à attendre ». 

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On va fermer la grille pendant une heure, nous vous laissons réfléchir si vous souhaitez rejoindre les forces armées ukrainiennes.Un garde-frontière ukrainien à la frontière avec la Roumanie

Evan n’a dormi que deux heures en 48 heures et son évacuation n’est pas encore finie. Selon le jeune homme, les gardes-frontières ukrainiens tentent alors de recruter les hommes étrangers présents. 

« Ils nous ont dit : « On va fermer la grille pendant une heure, nous vous laissons réfléchir si vous souhaitez rejoindre les forces armées ukrainiennes ». »

Personne ne se joindra à leurs rangs, selon Evan. 

« Après une heure, nous avons finalement passé la grille. Nous avons fait la file trois heures supplémentaires pour qu’ils puissent tamponner notre passeport. Et nous sommes arrivés en Roumanie. »

Au total, Evan aura mis 20 heures à passer la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie. Un minimum, selon l’ambassade de France en Ukraine. Dans un communiqué diffusé le 26 février, elle prévient ses ressortissants que le passage des frontières prend entre 20 heures et 60 heures.

pleurs ukraine
Des réfugiés ukrainiens pleurent alors qu'ils se réunissent de l'autre côté de la frontière, en Pologne. 
AP Photo/Visar Kryeziu

Sur Facebook, dans les groupes de Français ou d’étrangers en Ukraine, les témoignages attestant de nombreuses heures d’attentes se multiplient. 37 heures pour l’une, 19 pour un autre. Un « record ». 

« Il suffit de regarder sur Google Maps, tu vois les embouteillages …  », remarque Vassili Le Moigne. Le conseiller des Français de l’étranger en République Tchèque a depuis une semaine mis en place un réseau de familles d’accueil pour les Français fuyant l’Ukraine, dans sept pays différents. Depuis Prague, il est en contact régulier avec ceux qui ont choisi de prendre la route au lieu de suivre les consignes des autorités françaises de rester à l'abri. 

Depuis jeudi, sur les trente familles suivies par Vassili, pas une n’a pu passer la frontière. Les voitures sont à l’arrêt total. Mais le chef d’entreprise  français a tout de même reçu une bonne nouvelle samedi. 

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« Une famille partie par le sud de l’Ukraine en voiture et passant par un point de frontière en Roumanie attend depuis 40 heures. Mais ils voient enfin le poste-frontière. Ils devraient passer dans la soirée ou dans la nuit. » La mine fatiguée de Vassili s’illumine. Ces quatre derniers jours, son portable est resté allumé 24h/24.


Apparemment, il y a des problèmes avec les systèmes informatiques à la frontière ukrainienne. Vassili Le Moigne, conseiller des Français de l'étranger en République Tchèque

« Enfin une bonne nouvelle, continue l’expatrié français. C’est très compliqué, à tous les points de frontière, il y a des engorgements incroyables, même si on peut passer à pied ». 

L’appel à la mobilisation générale des autorités ukrainiennes n’aide pas à fluidifier le passage. Tous les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans sont soumis à contrôle et refoulés. 

Une situation d’engorgement qui se répète en Pologne, en Slovaquie, en Hongrie et en Roumanie, selon Vassili Lemoigne. 

« Apparemment, il y a des problèmes avec les systèmes informatiques à la frontière ukrainienne. Ont-ils été hackés, je ne sais pas. Toujours est-il que ça complique les choses.»

Malgré de nombreuses rumeurs circulant sur les réseaux sociaux, le passage aux frontières est possible. 

« Tous les pays sont bienveillants et accueillent. Dans le cas de la France, il y a souvent des postes diplomatiques mis en place aux frontières pour accueillir les Français », détaille Vassili Le Moigne. 

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« On a même des gens qui se proposent et qui vont aux postes-frontières pour accueillir les Français qui arrivent, continue Vassili. On a tout coordonné avec les ambassades de toute la région et les conseillers des Français de l’étranger de la région travaillent ensemble.» 


Tous les pays sont bienveillants et accueillent.Vassili Le Moigne​, conseiller des Français de l'étranger en République Tchèque

Le réseau créé par le chef d’entreprise se coordonne avec des associations locales mais aussi avec la « French Tech » qui aide à trouver des logements, en Pologne mais aussi en Allemagne. 

Ce qui inquiète le plus Vassili Le Moigne, c’est l’accueil des Ukrainiens. La Pologne a déclaré avoir déjà accueilli 115.000 réfugiés depuis jeudi. En Roumanie, la Police des frontières constatait une hausse du nombre d'arrivées, avec quelque 5.300 personnes jeudi, contre 2.400 la veille. En tout, ce sont 25.000 réfugiés qui ont été recensés par Bucarest. 

En Hongrie, où les arrivées n’ont pas encore été massives, le Premier ministre souverainiste Victor Orban s'attend à la venue de 600.000 réfugiés. 

« Comment réceptionner les Ukrainiens, où les faire dormir ?  Il ne s’agira pas de leur trouver un logement d’un ou deux jours comme pour les Français se dirigeant vers la France. Eux n’ont plus de destination », conclut Vassili Le Moigne.