Entre corruption et jeux politiques, la Tchéquie attend un Parlement

Des élections législatives anticipées auront lieu en République tchèque à l'automne. La raison : une crise politique latente depuis la démission d'un Premier ministre pour une affaire de corruption. 
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Entre corruption et jeux politiques, la Tchéquie attend un Parlement
Le Parlement à l'issue du vote entraînant son autodissolution - capture d'écran de la diffusion en direct des débats sur le site du Parlement
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Depuis le 17 juin, la République tchèque n'avait plus de gouvernement. Depuis mardi 20 août au soir, elle n'a plus de Chambre des députés. Sur 147 votants, 140 parlementaires ont voté pour l'autodissolution de leur assemblée. Des élections législatives anticipées se tiendront, probablement les 25 et 26 octobre prochains. La crise politique a commencé avec la chute du gouvernement de centre-droit de Petr Nečas, à cause d'une lourde affaire de corruption.  
"La situation est très inhabituelle, relève Jacques Rupnik, directeur de recherche au CERI. Il est rare que les députés veuillent se dissoudre !" En République tchèque, ils sont pourtant les seuls à pouvoir prendre cette décision. Le président de la République n'en a pas le droit. Depuis le "divorce de velours" d'avec la Slovaquie en 1993, la chambre basse du Parlement n'avait jamais décidé de son autodissolution. En attendant les prochaines législatives, le "gouvernement de techniciens" mis en place par le président Miloš Zeman en juillet et auquel le Parlement avait refusé de voter sa confiance (voir encadré ci-joint), reste en place pour les affaires courantes. 
Entre corruption et jeux politiques, la Tchéquie attend un Parlement
Jana Nagyova -©AFP
Corruption latente
L'ex-Premier ministre Petr Nečas a démissionné après l'arrestation de sa directrice de cabinet et maîtresse Jana Nagyova. Elle est accusée d'avoir utilisé les services de contre-espionnage pour filer l'épouse de son amant, alors en instance de divorce. Elle est également soupçonnée d'avoir fait bénéficier trois parlementaires réfractaires à la politique de Petr Nečas de postes lucratifs dans des entreprises publiques, en l'échange de l'abandon de leur mandat.
"Je ne peux pas prédire des résultats des législatives à venir, exprime Ilios Yannakakis, politologue et historien. Elles sont incertaines et une très forte abstention est à craindre. La population est complètement déçue d'une classe politique qui n'est pas fiable, qui s'entrebouffe, qui n'a pas de cap. Aujourd'hui la République tchèque a glissé dans une forme de corruption de la classe politique, et de la société entière. Alors que c'était traditionnellement un pays d'ordre et de respect de la loi. C'est un des grands legs de l'empire austro-hongrois."
C'est dans ce contexte que le 13 juin, en pleine nuit, "400 policiers cagoulés opèrent en pleine capitale, jusque dans les bureaux du Premier ministre. Il faut se l'imaginer, dans un pays membre de l'Union européenne !", s'exclame le politologue Jacques Rupnik. Plusieurs personnes sont interpellées. Parmi elles, Jana Nagyova, des parlementaires, d'anciens ministres, un ancien chef du renseignement militaire. Deux "parrains", des lobbyistes qui avaient la main sur les appels d'offres publics à Prague, ont disparu dans la nature. Pour le quotidien tchèque Mlada Fronta DNES, il s'agit là de "la plus grosse arrestation de politiciens, de lobbyistes et de fonctionnaires de l'histoire tchèque."
Depuis son arrestation, Petr Nečas a annoncé son retrait de la vie politique. Il avait pourtant une réputation de "Monsieur Mains propres". Il avait même fait adopter fin 2010 un paquet de 84 lois anti-corruption. "Le phénomène de corruption est profondément ancré, considère Jacques Rupnik. Surtout l'incapacité du système judiciaire d'en venir à bout. Pendant longtemps, l'indépendance de la justice a relevé de la fiction." Ironie de l'histoire, ce sont peut-être les lois adoptées à l'initiative de l'ex-Premier ministre qui ont permis une telle opération, en laissant police et justice s'émanciper du pouvoir politique. Pour le chercheur, "on est dans une situation nouvelle, et grave. La corruption sera un thème majeur de la campagne."
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La chambre des députés, à Prague -©cc/wikimedia/Ervinpospisil
Coalitions
C'est justement pour passer plus rapidement la main aux électeurs que la majorité des parlementaires a choisi l'autodissolution, avant la date initiale des législatives, au printemps 2014. Les élus du parti civique démocrate (ODS) de l'ex-Premier ministre Petr Nečas n'ont pas pris part au vote. En revanche, ceux du Parti social-démocrate tchèque (CSSD), à qui les sondages donnent 30 à 35% des intentions de vote, ont largement participé. Pour Jacques Rupnik, c'est "le parti le mieux placé pour ces élections. Cela dit, seuls, ils ne peuvent pas avoir la majorité suffisante." En République tchèque, les élections législatives se font selon un système de proportionnelle. Pour remporter le scrutin, les mouvements politiques doivent s'associer et former des coalitions.
"Le président Miloš Zeman est un ancien leader du CSSD, mais il s'est brouillé avec eux car il n'a pas été investi comme candidat à la présidentielle, rappelle le chercheur du CERI. Il a créé son propre parti, le Parti des droits civiques – Zemanovci (SPOZ), qui devrait pouvoir obtenir environ 5% des votes. Une des possibilités, c'est donc une coalition sociale-démocrate. C'est-à-dire le CSSD, le SPOZ, et une troisième composante."
Toute la question réside dans l'identité du futur allié des sociaux-démocrates. Dans une interview accordée à l'agence de presse Reuters (lien en anglais), le chef de file du CSSD, Bohuslav Sobotka, indique la possibilité de négociations avec le Parti communiste de Bohème et de Morave (KSCM). Leur entrée au gouvernement en cas de victoire ne serait pourtant pas au programme, en raison de différends quant à l'engagement de la République tchèque au sein de l'OTAN.
Mais pour Ilios Yannakakis, en cas d'entrée des communistes au gouvernement, "il y aurait une réaction très violente de la part des autres députés. C'est impensable pour l'instant, avec tout ce qu'ils ont derrière eux comme casseroles et comme passé." Il préfère être prudent quant à la prédiction de coalitions. Pour lui, les sociaux-démocrates pourraient aussi s'allier avec des petits partis de droite ou du centre-droit. Jacques Rupnik envisage "un soutien tacite" des communistes à un gouvernement social-démocrate : le vote communiste pèse généralement dans les 10-12%, de quoi aider le CSSD et le SPOZ à former une majorité parlementaire, sans pour autant participer ouvertement à la politique gouvernementale.
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L'ex-Premier ministre Petr Necas en 2012 -©cc/wikimedia/David Sedlecký
Changements à droite
Pour les politologues, un autre parti peut créer la surprise : Tradition, Responsabilité, Prospérité 2009 (TOP09), un mouvement libéral dirigé par le prince Karel Schwartzenberg, perdant du second tour de la présidentielle de janvier. "L'ODS était l'ossature du gouvernement jusqu'à il y a un ou deux mois. Il est en perte de vitesse", analyse Jacques Rupnik. Michel Perottino, enseignant-chercheur à la faculté de sciences sociales de l'université Charles de Prague, estime que "TOP09 pourra tirer parti au maximum de la crise que traverse l'ODS et passer en tête de la droite tchèque, en se présentant comme la seule alternative crédible aux sociaux-démocrates et comme le dernier rempart contre le retour des communistes."
Le chercheur considère que le grand parti de la droite est en crise depuis dix ans. "Depuis le départ de Václav Klaus (ndlr : de la présidence du parti), cette crise était latente. Le départ de Petr Nečas a juste fait la démonstration de cette crise. Quand vous regardez quels sont les leaders actuels de l'ODS, il n'y a quasiment plus personne. Il y a une dizaine d'années, il y avait énormément de leaders, avec la capacité de renouveler leurs propositions et leurs représentants. Actuellement c'est quasiment fini. Ils sont dans un cycle de renouvellement qui pose problème dans la mesure où ils sont actuellement très concurrencés par le TOP09."
En somme, "plus tôt auront lieu les élections, mieux le CSSD s'en sortira, reprend Michel Perottino. Notamment en contrepoint du gouvernement Nečas. Plus ils attendent, moins l'effet sera important." Le parti de droite ODS aurait le temps de se refaire une image, et le CSSD d'être supplanté par la figure du président Miloš Zeman, très critiqué par les médias.
La date des législatives devrait être confirmée dans les prochains jours. La République tchèque aura donc peut-être un nouveau Parlement pour sa fête nationale et 95 ans de l'indépendance de la Tchécoslovaquie, le 28 octobre.

Répartition des forces politiques à la chambre des députés avant le 20 août 2013

Répartition des forces politiques à la chambre des députés avant le 20 août 2013
©cc/wikimedia/Silesianus

Petite chronologie de crise

26 janvier 2013 : élection de Miloš Zeman à la présidence de la République, pour la première fois au Suffrage universel direct. Social-démocrate, il ne s'entend pas avec la politique de son Premier ministre, Petr Nečas, de droite.
13 juin 2013 : opération policière d'envergure. Arrestation de la chef de cabinet de Petr Nečas, Jana Nagyova, et d'autres représentants politiques.
17 juin 2013 : démission de Petr Nečas.
Fin juin-début juillet 2013 : tractations entre le pouvoir exécutif et le Parlement pour la nomination d'un nouveau gouvernement. Le président de la République, social-démocrate, et la présidente de la chambre des députés, de droite, font chacun leurs propositions. Après un long jeu politique, c'est le choix de Miloš Zeman qui l'emporte.
10 juillet 2013 : nomination par Miloš Zeman d'un "gouvernement d'experts". Il est dirigé par Jiří Rusnok, un économiste de gauche proche du président. Certains évoquent un "gouvernement des amis de Zeman".
7 août 2013 : la chambre basse du Parlement, c'est-à-dire la chambre des députés, refuse de voter sa confiance au gouvernement de Jiří Rusnok.
13 août 2013 : le gouvernement présente sa démission. Il ne reste en place que pour gérer les affaires courantes.
16 août 2013 : le président Miloš Zeman annonce qu'en cas de dissolution de la chambre des députés, les élections législatives, prévues au printemps 2014, seraient avancées aux 25-26 octobre 2013.
20 août 2013 : la chambre basse du Parlement vote son autodissolution.