Fil d'Ariane
L'économie n'est pas le seul sujet de fâcherie avec le nouveau gouvernement grec, issu de la victoire du parti de gauche Syriza. La politique extérieure grecque pourrait bien provoquer des remous. Au ministère des Affaires étrangères, M. Tsipras a nommé Nikos Kotzias, ancien membre du Parti communiste grec, professeur de théorie politique et ex-conseiller diplomatique, connu pour son tropisme moscovite, voire ses liens avec "l'élite religieuse nationaliste russe, dont le sulfureux idéologue eurasien Alexandre Douguine" selon The Economist, et déjà tout feu tout flamme pour infléchir la politique européenne vis à vis de Moscou.
Alexis Tsipras lui même n'a rien contre un rapprochement avec Vladimir Poutine. A peine installé, le nouveau Premier ministre a reçu l'ambassadeur de Russie à Athènes. Alexis Tsipras ne cache pas une certaine admiration pour le maître du Kremlin, sa capacité à s'opposer à l'Union européenne et aux Etats-Unis, malgré des divergences non négligeables sur des questions de société, comme le mariage homosexuel et l'adoption par tous... Le président russe a été l'un des premiers à le féliciter : "Nous souhaitons plein succès à Mr Tsipras, dans ses fonctions qu'il prend dans des conditions difficiles" (sous entendu face aux exigences européennes).
Une combinaison de Marx et Lénine, mais sans Staline ni le mur de Berlin.
Alexandre Baounov
Alexandre Baounov, un diplomate russe passé au journalisme (d'opposition), ancre dans les fondements idéologiques marxistes de Syrisa, cette bienveillance à l'égard des dirigeants russes. Tandis qu'en Russie, on refuse de rejeter l'époque soviétique, et que subsiste un important secteur de capitalisme d'Etat, les nouveaux élus grecs s'ils rejettent le stalinisme, selon l'éditorialiste, ne seraient pas si éloignés des vues économiques du Kremlin. "Une combinaison de Marx et Lénine, mais sans Staline ni le mur de Berlin. Mieux que Chavez et Castro. (.../...) Tsipras lui-même a été membre des jeunes communistes grec, et il a prénommé l'un de ses fils Ernesto, en l'honneur de Che Guevara."
Dans un entretien qu'il a accordé au quotidien français l'Humanité, proche du Parti communiste, le nouveau ministre grec des Affaires étrangères affiche ses ambitions et ses critiques sur la crise ukrainienne, après avoir réitéré tout de même son attachement à l'Europe, et son appartenance à l'Otan :
"Aujourd’hui, la Grèce est un pays européen qui, comme chaque pays de l’Union, doit avoir le droit de dire son opinion et d’évoquer ses intérêts sur tous les sujets, y compris sur la politique à mener avec la Russie. Nous n’accepterons donc pas que la politique russe de l’Europe soit décidée en dehors des institutions de l’Union européenne. Mais existe-t-il par ailleurs une politique européenne russe de la part de l’Union européenne ? Je n’en suis pas sûr. Pas plus qu’il n’existe de politique russe de la part de l’Allemagne, qui, depuis Guillaume II jusqu’à aujourd’hui en passant par Bismarck et Hitler, est un pays qui a été soit en guerre, soit dans la méfiance avec la Russie. Ce que nous ne voulons pas, c’est que l’UE fonde sa politique sur l’intérêt de pays qui ont un rapport historique émotionnel avec la Russie. Mais nous ne fermerons pas les yeux non plus sur la déstabilisation qui se joue aux frontières de la Russie et de l’Ukraine. L’UE doit donc penser une stratégie nouvelle. La Grèce militera pour que les droits des Ukrainiens soient respectés et que la démocratie s’installe durablement dans leur pays. Je pense qu’il ne peut y avoir d’autre solution dans ce genre de situation que la mise en place d’une réforme démocratique du pays. Je défends pour ma part l’idée d’une Ukraine fédérale. Je ne comprends d’ailleurs pas les pays d’Europe de l’Ouest quand ils disent que le système fédéral n’est pas une bonne solution pour l’Ukraine à cause des Russes. Nous connaissons l’exemple de la République fédérale d’Allemagne, ou encore celui des régions autonomes en Espagne… donc, la solution, pour l’Union européenne, est de prendre cette voie politique-là et de respecter les peuples hors de l’Union. La solution des armes ne fonctionnera pas. La guerre n’est jamais une bonne solution."
Alexis Tsipras, pour sa part, a déjà pointé du doigt les néo nazis à l'oeuvre dans l'Ukraine pro-européenne et pourrait bien faire valoir le droit de véto de la Grèce à d'éventuelle nouvelles sanctions européennes contre le Kremlin. Ce qui scandalise la Süddeutsche Zeitung de Munich : "En seulement trois jours, il s'est avéré que le nouveau gouvernement grec conçoit l'UE comme une espèce de communauté de combat au corps à corps. Le dernier exemple en date est l'attitude de Tsipras dans le dossier des sanctions russes. [...] En détruisant l'image d'unité de l'UE, il livre même au Kremlin la preuve longtemps attendue d'une faiblesse de l'Europe."
Dès le printemps dernier, le chef de file de Syriza avait soutenu le référendum indépendantiste puis l'annexion de la Crimée par Moscou, en remerciant Vladimir Poutine "d'avoir protégé nos frères et soeurs orthodoxes de Crimée".
Sur un autre plan, celui de la crise économique et financière de la Grèce, la Russie a fait savoir, malgré la récession qu'elle connaît elle-même, qu'une aide pourrait être apportée à Athènes. Le ministre russe des Finances Anton Siliouïanov a ainsi admis "qu'une telle demande pourrait être examinée avec bienveillance, mais qu'elle n'avait pas encore été formulée par la Grèce".
Ce qui lie les deux pays passe aussi par le spirituel, le religieux. La Grèce est composée à 98% de chrétiens orthodoxes, et les Eglises russe et grecque sont proches. Alexis Tsipras, qui se proclame athée, s'est ainsi allié au soir même de sa victoire électorale, aux "Grecs indépendants" (ANEL), une formation classée à droite, souverainiste, xénophobe et très attachée à l'orthodoxie.
Mais si au lieu de voir ce rapprochement comme une menace sur son flanc Est, l'Union européenne en profitait au contraire pour apaiser une crise dangereuse et relancer les négociations pour trouver une sortie de conflit entre l'Ukraine, les séparatistes et la Russie, acceptable par tous ?