Le film a été tourné en 2007. Comment avez-vous travaillé ? J’ai tourné pendant presque deux mois et j’ai quasiment tout filmé toute seule. J’avais environ 70 heures de rushs au final. Ma caméra n’était pas petite, et j’étais accompagnée d’une seule personne, qui était à la fois mon directeur de production et mon garde du corps, même si je n’ai jamais eu de problèmes. Mais je ne tournais pas dans des endroits très sensibles. J’ai travaillé de manière très lente, je passais beaucoup de temps seule dans la rue à observer, mon accompagnateur me regardant de loin. Je ne me suis jamais cachée, je voulais même que la caméra soit toujours avec moi quand je rencontrais des gens. Je ne voulais surtout pas provoquer des situations, juste pour avoir du “contenu”, même si la présence d’une caméra amène quand même forcément une “performance” de la part des gens filmés. Ils sont très conscients de leur image, et s’en servent aussi pour dire et faire ce qu’ils veulent. J’ai été très influencée par les travaux de
Frederick Wiseman et
Jean Rouch, dans l’idée qu’il ne faut pas se distancier du fait de filmer. Il était important pour moi que le spectateur sente une présence derrière la caméra.
Dans le film, on assiste à une conversation entre un jeune homme et une jeune fille, qui parlent de partir du pays. Le départ, est-ce que c’est le rêve de tout jeune iranien aujourd’hui ? Il y a une tristesse et une envie de voir ailleurs ce qui se passe. Il y a un rêve de vivre mieux, plus libre. Certaines personnes n’en peuvent plus et veulent partir. Mais je pense que ce qu’ils veulent vraiment, c’est améliorer les conditions de vie en Iran. Les Iraniens sont très attachés à leur culture, à leur langue et à leur pays.
Vous vouliez montrer certains des paradoxes et des contradictions de la vie quotidienne des Iraniens… L’utilisation de la religion à des fins de propagande et d’identité nationale et culturelle face à la modernité et au capitalisme existant, pour moi ça c’est totalement paradoxal, ça n’a même pas de sens, ça ne peut pas tenir debout. On le voit très bien dans le film, par exemple lors de la Fête de la Révolution, où l’on brandit des banderoles anti-américaines alors que des vendeurs à la sauvette profitent du rassemblement pour écouler des jeans…. Le problème en Iran, c’est que d’une part l’Occident n’a jamais laissé le pays vivre sa modernité comme il l’entendait, car un pouvoir fort dans cette région du monde dérange, et que d’autre part le gouvernement iranien se méfie des symboles de la modernité. Mais c’est aussi ce mélange qui rend le pays fascinant. Nous avons vécu trois coups d’État – souvent manipulés par l’Occident. En 1906 le coup d’État est écrasé par les Anglais et les Russes, et en 1953 le gouvernement élu est décapité par un coup d’État financé par les Américains... Et pourtant nous sommes encore là, bien vivants.