Entretien avec Corinne Lepage, avocate

Image
Entretien avec Corinne Lepage, avocate
Partager6 minutes de lecture

“lI est urgent de créer une Cour pénale internationale pour l'environnement“

Ancienne ministre française de l'Environnement, présidente du parti écologiste Cap 21 et avocate, Corinne Lepage a défendu les parties civiles contre Total, dans le procès de l'Érika

“lI est urgent de créer une Cour pénale internationale pour l'environnement“
Dans quelle mesure le groupe BP (British Petroleum) qui exploite la plateforme « Deepwater Horizon » (située dans le golfe du Mexique) est-il responsable de cette catastrophe ? Le groupe BP est entièrement responsable des dégâts causés par cette marée noire, du fait que cette plateforme est sa propriété. C’est BP qui exploite cette plateforme pétrolière, et sauf à prouver la faute d’un tiers, c’est ce groupe qui devra assumer les conséquences de cette pollution, à la fois en terme de nettoyage et de réparation des dommages. Qu’entendez-vous par réparation des dommages dans ce cas précis ? Il s’agit d’abord de tous les préjudices économiques liés aux activités des pêcheurs qui sont touchés par cette marée noire et qui ne pourront plus pêcher. Il est aussi question des dommages liés au secteur touristique. Et il y a tout le préjudice écologique qu’il faudra bien sûr réparer.   Comment peut-on réparer ce préjudice écologique ?   Il est question comme dans « l’affaire Érika », d’obtenir l’indemnisation du préjudice écologique pour les collectivités. La notion de préjudice écologique existe depuis longtemps aux États-Unis. Elle avait été admise dans l’affaire de l’Exxon Valdez (le pétrolier américain Exxon Valdez avait heurté un récif en mars 1989 en Alaska, déversant plus de 38 000 tonnes de pétrole sur 1300 km de côte - ndlr). La Cour d’appel des États-Unis avait malheureusement réduit le montant des dépenses engrangées lors de cette catastrophe.
Entretien avec Corinne Lepage, avocate
Du pétrole à la surface des eaux du golfe du Mexique près de la plateforme pétrolière qui a explosé, le 22 avril 2010 - Photo AFP
Quelles sanctions concrètes peuvent prendre les autorités américaines contre BP ? Je pense tout d’abord qu’il y aura une procédure a minima civile, peut être pénale, pour comprendre ce qui s’est réellement passé, et expliquer pourquoi cette plateforme a rencontré des difficultés. Doit-on s’attendre à une longue bataille judiciaire comme dans le cas de « l’affaire Érika » ? Une longue bataille judiciaire n’est pas impossible, je ne peux pas l’affirmer à l’avance. Il y a déjà un certain nombre de plaintes qui ont été déposées. Mais je ne sais pas si l’administration Obama engagera une procédure pénale. Il a toutefois sommé BP de payer pour les dommages causés par la marée noire… Il a seulement parlé de responsabilité civile pour le moment, c'est-à-dire du paiement des dommages, il n’a pas été question d’autres choses. Quelles seront les principales parties en présence en cas de procès ? Il y aura très certainement les États touchés par la marée noire, pour l’instant seule la Louisiane l’est, mais il pourrait y en avoir d’autres. Les communautés territoriales participeront peut-être à ce procès, les associations de défense de l’environnement y seront sans doute et puis tous les professionnels dont les activités ont été entravées dans cette catastrophe.. Combien d’années peut durer une procédure de dédommagement des victimes ? Dans le cadre d’une procédure américaine classique, cela peut mettre des années parce qu’il existe une procédure dite de découverte dans laquelle tous les documents exigés doivent être fournis. L’audition des personnes concernées peut également prendre plusieurs années.
Entretien avec Corinne Lepage, avocate
Des équipes essayent de contenir les fuites de pétrole dans le Golfe du Mexique - Photo AFP - 3 mai 2010
La législation internationale en matière de pollution des eaux par les marées noires ne semble-t-elle pas protéger les compagnies ? Il faut savoir qu’il ne s’agit pas ici de la convention sur la responsabilité civile du fait de la pollution des mers par hydrocarbures, puisqu’elle ne s’applique que pour les bateaux, or dans ce cas précis, il s’agit de l’explosion d’une plateforme pétrolière. Dans tous les cas, les États-Unis n’ont pas signé cette convention. Ou sinon ce sont les conventions sur les droits de la mer qui s’appliquent, telle la convention de Montego Bay (Jamaïque) (Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée en 1982 - ndlr) dont on ne peut pas dire qu’elle soit d’une sévérité excessive à l’égard des pétroliers.. Que faut-il faire pour être plus sévère envers les compagnies à l’origine des catastrophes de cet ordre ? Il faudrait des textes internationaux beaucoup plus contraignants. Il faut instaurer des mesures de sécurité en amont. Il faut insister sur le fait qu’un pays ne devrait pas accepter la construction des plateformes de cette nature s’il n’a pas les moyens de lutter efficacement contre la pollution. Je mène un combat pour la création d’une Cour pénale internationale dans le domaine de l’environnement, cela devient de plus en plus urgent.
Propos Recueillis par Christelle Magnout 4 mai 2010

Les grandes marées noires dans le monde depuis quarante ans

- 18 mars 1967- GB/FRANCE - Le Torrey Canyon, un navire libérien, s'échoue à proximité des îles Scilly (Grande-Bretagne) et déverse dans la mer près de 120.000 tonnes de brut, atteignant le littoral breton (Côte d'Armor). - 16 mars 1978 - FRANCE - Le naufrage du supertanker libérien Amoco Cadiz, provoque la fuite de 230.000 tonnes de brut sur environ 400 km de côtes françaises au large du Finistère (nord-ouest). - 3 juin 1979 - GOLFE DU MEXIQUE - Le déversement d'un million de tonnes de pétrole, dans le golfe du Mexique, après l'explosion du puits de pétrole Ixtoc Uno, provoque l'une des plus gigantesques marées noires. Plus de neuf mois de travail sont nécessaires pour juguler la fuite. - 24 mars 1989 - USA - Le pétrolier américain Exxon Valdez heurte un récif dans la baie du Prince William (Alaska), déversant quelque 38.800 tonnes de pétrole lors de la pire marée noire de l'histoire des Etats-Unis. 1.300 km de côtes sont polluées. Selon une étude de l'université de l'Alaska, seul un quart de la faune sous-marine a survécu. - Janvier 1991 - GOLFE - Un million de tonnes de pétrole brut échappé des réservoirs des tankers en rade, de terminaux et de puits off-shore sabotés, sont déversés dans le Golfe à la suite du déclenchement de la guerre contre l'occupation du Koweït par l'Irak. 560 km de côtes sont pollués. - 3 déc 1992 - ESPAGNE - Sous l'effet du mauvais temps, le pétrolier grec Aegean Sea se brise en deux sur un rocher à l'entrée du port de La Corogne, entraînant la fuite de 70.000 tonnes de pétrole qui polluent près de 200 km de côtes en Galice. - Août-Oct 1994 - RUSSIE - Entre 14.000 et 60.000 tonnes de pétrole (selon Moscou), s'échappant d'un oléoduc, se répandent dans la toundra et les rivières, polluant plusieurs dizaines de Km2 dans le Grand Nord. Washington et l'organisation écologiste Greenpeace avancent le chiffre de 280.000 tonnes de pétrole, ce qui en ferait une des pires catastrophes pétrolières de l'histoire. - 16 fév 1996 - ROYAUME-UNI - Le naufrage du pétrolier libérien Sea Empress sur les côtes du sud du Pays de Galles fait s'échapper 147.000 tonnes de brut. - 12 décembre 1999 - FRANCE - Le pétrolier maltais Erika se brise en deux avant de couler au large des côtes bretonnes (nord-ouest). 20.000 tonnes de fioul s'échappent, polluant 400 km de littoral et mazoutant plus de 150.000 oiseaux. - 19 nov 2002 - ESPAGNE - Le pétrolier libérien Prestige coule au large de la Galice. Plus de 50.000 tonnes d'hydrocarbures s'échappent, polluant sur des milliers de kilomètres les côtes atlantiques espagnoles et dans une moindre mesure les côtes françaises et portugaises. - 14 juil 2006 - LIBAN - Lors de la guerre entre le Hezbollah libanais et Israël, les réservoirs de la centrale électrique de Jiyé (près de Beyrouth) sont touchés par les bombardements et laissent s'écouler en mer 15.000 tonnes de pétrole. 150 kilomètres de côtes sont souillés. - 7 nov 2007 - ETATS-UNIS - Un porte-conteneurs sud-coréen heurte une pile du "Bay Bridge", dans la baie de San Francisco, provoquant la fuite de 220.000 litres de fioul. Source : AFP