Fil d'Ariane
Guillaume Pitron est devenu un spécialiste des métaux — ou terres — dits rares, indispensables aux technologies modernes, dont les technonologies "vertes".
Pour faire du propre, il faut faire du saleGuillaume Pitron, journaliste spécialiste des matières premières
Le journaliste a passé six années à enquêter partout dans le monde et particulièrement en Chine. Interrogé sur TV5MONDE en février dernier, l'auteur de l'ouvrage "La face cachée de la transition énergétique et numérique" déclarait que les métaux rares étaient devenus le socle du nouveau monde en train de se créer, après le charbon et le pétrole :
Les métaux rares sont présents de partout dans la croûte terrestre mais en quantité infinitésimale et possèdent des propriétés catalytiques, électroniques, optiques, uniques : des sortes de "supers pouvoirs" qui les rendent indispensables dans toutes les technologies modernes. Sans ces métaux rares, le quotidien actuel n'est plus envisageable, tout comme les technologies vertes, vendues comme "renouvelables" et "propres". L'indium, par exemple, permet de rendre les écrans tactiles, que tout le monde utilise aujourd'hui. S'il n'y avait plus de terres rares, le recul technologique serait immense: nous reviendrons en gros aux années 70.
Le journaliste Guillaume Pitron explique que plus de 80% des métaux rares sont extraits en Chine (jusqu'à 95% pour certains), mais que ce monopole unique en son genre n'est pas dû à un manque de ressources ailleurs dans le monde. La France a d'ailleurs commencé à extraire de son sous-sol des métaux rares dans les années 80 mais a stoppé cette production assez vite : le coût financier et environnemental était trop élevé. La Chine dès le début des années 90 a donc pris en charge cette exploitation minière et n'a pas cessé depuis. Au point qu'aujourd'hui, la dépendance mondiale envers la Chine pour ces matériaux — indispensables à la modernité — est quasi totale.
Pekin est le grand perdant écologique, mais le grand gagnant économique avec les métaux raresGuillaume Pitron, auteur de "La guerre des métaux rares"
Pour parvenir à récupérer des quantités très faibles de ces minéraux il faut extraire des quantités de terre et de roche colossales. L'exemple du lutécium donné par Guillaume Pitron ce vendredi 27 avril 2018 sur France Culture, permet de mieux comprendre la problématique : pour obtenir 1 Kilo de lutécium, il faut extraire 1200 tonnes de roche ! De la même manière, pour les dernières générations d'éoliennes off-shore il faut au moins… 600 kilos de néodym, un minerai aux propriétés magnétiques décuplées : énergie verte ?
Le plus souvent la technique pour récupérer les métaux rares consiste à décaper le sol et ses végétaux afin d'atteindre les minerais. Une fois l'excavation effectuée, il faut broyer en fine poudre les roches et séparer les éléments. Le plus souvent cette opération est faite avec des acides puissants ou autres substances chimiques qui s'infiltrent dans les sols jusqu’aux cours d'eau et polluent les nappes phréatiques. Vient ensuite l'opération de raffinage qui produit des poussière métalliques chargées de radioactivité. Les taux de cancers des habitants vivant près des mines à ciel ouvert d'excavation de terres rares sont excessivement élevés. La Chine paye au prix fort cette manne économique, ce qui fait dire à Guillaume Pitron que "Pekin est le grand perdant écologique, mais le grand gagnant économique avec les métaux rares". On pourrait ajouter sanitaire, en sacrifiant une partie de sa population. Comme en RDC dans les mines de Cobalt pour produire des téléphones mobiles et des batteries de véhicules électriques.
Les accords de la Cop21 incitent à développer les "énergies vertes" et des véhicules "propres" afin de lutter contre le réchauffement climatique anthropique par les émissions de gaz à effets de serre. Cette orientation, si elle peut sembler parfaitement sensée au premier abord — puisque les panneaux photovoltaiques ou les éoliennes et véhicules électriques n'émettent pas de C02 lorsqu'ils sont en fonctionnement — fait totalement l'impasse sur le coût environnemental de leur production. Que ce soit en terme de pollution des sols, de l'eau et des rejets des gaz à effet de serre des engins excavateurs, la production des énergies dites "vertes", avec ses mines de terres rares, est pire que celle du pétrole.
Si nous n'allons pas vers une consommation sobre, nous continuerons indéfiniment de déplacer le problèmeGuillaume Pitron, journaliste au Monde Diplomatique et à Géo
Une composante centrale d'ordre géopolitique et économique vient en plus alourdir la facture : la Chine vend de moins en moins de métaux rares au reste du monde et peut décider à tout moment de ralentir encore ses exportations ou les couper, jusqu'à asphixier les pays en pleine transition énergétique… et numérique. Ou les rendre dépendants de la production technologique chisnoise ? La dépendance des pays importateurs envers les métaux rares avec la Chine est en réalité cent fois plus importante que celle au pétrole avec l'OPEP, et ces métaux s'épuisent : comment espérer basculer le monde vers le tout numérique et les énergies dites "renouvelables" dans ces conditions ? Le journaliste ne croit pas que cela soit possible, puisque pour lui, la limite commence déjà à être atteinte. La seule solution, puisque le retour en arrière — sans ces métaux et les technologies qui s'appuient dessus — semble difficilement envisageable, est un changement dans le modèle économique, ce que le journaliste résume par la sentence suivante : "Si nous n'allons pas vers une consommation sobre, nous continuerons indéfiniment de déplacer le problème".
Et le problème risque d'être rapidement insoluble…