Fil d'Ariane
"Plus de 80 % des plantes à fleurs dépendent directement de la pollinisation par les insectes. Dans l’agriculture, cela concerne la production de fruits et la production de graines. Au total, environ 35 % de ce que nous mangeons est lié à l’action de ces insectes, y compris des denrées coûteuses comme le cacao, le café et des épices !", précise la page du ministère de la Transition écologique et solidaire, intitulée "Les insectes pollinisateurs nous en mettent plein la vue".
Des syndromes d'effondrement des colonies d'abeilles sont survenus dans des régions pourtant complètement protégées des activités agricoles intensives par épandages de pesticides, comme les Alpes.Guy Kestler, membre fondateur de la Confédération paysanne et éleveur bio
Cette campagne gouvernementale de sensibilisation n'est pas innocente, puisque l'extinction des insectes volants en Europe commence à être médiatisée depuis peu. Une étude allemande a d'ailleurs donné l'alerte en 2017 : elle démontrait que plus de 75% des insectes volants — en moyenne — avaient disparu en Europe au cours des 30 dernières années. Les causes de ce déclin massif sont connues : l'agriculture intensive et ses pesticides, engrais chimiques et insecticides.
> Lire notre article : "Disparition des insectes : l'empoisonnement agro-chimique en question"
Guy Kestler, membre fondateur de la Confédération paysanne et berger en agriculture biologique dans le sud de la France, interrogé sur ce problème des plantes potagères non pollinisées, estime que "cette année est différente". Pour l'agriculteur, "dans les endroits avec des fortes chaleurs et de la sécheresse, les cycles ont été modifiés, et il peut manquer des insectes spécifiques à des moments importants pour la pollinisation des plantes." Mais pour les potagers de Daniel et Bertrand en Dordogne — qui n'ont pas subi de sécheresse, avec des températures élevées seulement quelques jours au moment des épisodes de canicule — Guy Kestler reconnaît que le problème des cycles perturbés et la sécheresse ne peuvent pas être en cause. L'éleveur explique par ailleurs que "des syndromes d'effondrements des colonies d'abeilles sont survenus dans des régions pourtant complètement protégées des activités agricoles intensives par épandages de pesticides, comme les Alpes. Sauf que, depuis 10 ans, les apiculteurs des Alpes subissent pourtant ce syndrome de plus en plus fortement. On a découvert depuis cette époque, que les éleveurs d'ovins et de bovins traitent leur bêtes avec des insecticides pour prévenir une fièvre causée par des mouches…"
Les insectes volants sont en très fort déclin en France. Cette disparition massive a affecté la biosphère dans son ensemble, dont les oiseaux, qui manquent par conséquent de nourriture… et déclinent eux aussi.
Les voyants sont au rouge, des espèces de papillons diurnes pollinisateurs ne sont pas seulement en fort déclin, mais en effondrement. Nous ne savons pas encore si cette année est seulement une année atypique avec ce déficit de pollinisation (…)Vincent Bretagnolles, biologiste au CNRS et spécialiste de la "chaîne pollinisation-insectes-oiseaux"
Ces changements ont des conséquences visibles dans le monde agricole et créent des contraintes, ce que Guy Kestler confirme : "la plupart des paysans qui cultivent sous serre y enferment des colonies d'insectes pour permettre la pollinisation. Et de plus en plus font la même chose en extérieur avec des filets spéciaux pour maintenir les colonies d'insectes sur les cultures." Le manque d'insectes pollinisateurs — dont les abeilles sauvages et domestiques font partie au premier chef — commence donc à modifier les cultures maraîchères, jusqu'à les rendre "infécondes".
Les causes du déclin des insectes pollinisateurs : ce qu'en dit le ministère de la transition écologique et solidaire
"Certaines activités humaines, en particulier l’utilisation excessive de pesticides et la dégradation des milieux naturels, sont responsables d’un déclin de l’abondance et de la diversité des insectes pollinisateurs. À ces causes s’ajoute le réchauffement climatique qui contribue à modifier les conditions de vie des espèces. Par exemple, une floraison plus précoce peut ôter de précieuses ressources alimentaires à des populations d’insectes pollinisateurs qui s’affaiblissent, voire disparaissent. C’est un engrenage puisque la majorité des plantes à fleurs dépendent des insectes pollinisateurs pour leur reproduction : ce qui affecte les pollinisateurs affecte les plantes à fleurs… et inversement. Nos productions agricoles en pâtissent également."
Vincent Bretagnolles, biologiste au CNRS et spécialiste de la "chaîne pollinisation-insectes-oiseaux", confirme le déclin des insectes pollinisateurs, dont celui de l'abeille domestique mais aussi de variétés spécifiques de papillons, avec des conséquences observables— et dramatiques, selon lui : "Les voyants sont au rouge, avec par exemple, des espèces de papillons diurnes pollinisateurs qui ne sont pas seulement en fort déclin, mais en effondrement. Nous ne savons pas encore si cette année est seulement une année atypique avec ce déficit de pollinisation, mais les études de tendance indiquent toutes que le problème s'accentue et nous ne savons pas jusqu'à quel point ce déficit va devenir la règle chaque année…"
Même dans les endroits sans agriculture intensive il y a des problèmes, parce que c'est aussi une pollution généralisée, de l'air et de l'eau. On y retrouve des pesticides après analyse.Jean Sabench, membre de la Commission pesticides de la Confédération paysanne
L'apiculteur à la retraite Jean Sabench, membre de la Commission pesticides de la Confédération paysanne, est très inquiet, lui aussi, de ce qu'il se passe en terme de déficit de pollinisation par les abeilles, comme l'observation de la disparition de nombreuses espèces d'autres insectes : " cette année des pieds de tomates de mon potager ont très peu de fruits, seulement deux ou trois en général, avec des fleurs qui ne donnent rien, pareil pour le potager de mon voisin. Les jardins ont très peu d'insectes, avec certaines espèces absentes. Pareil pour les oiseaux. Pour les abeilles j'ai eu jusqu'à 300 ou 400 ruches, et l'on arrivait à lutter contre des problèmes qui les affectaient. Aujourd'hui, j'ai arrêté et ce n'est plus possible d'empêcher les effondrements, mon voisin a eu 80% de mortalité sur ses ruches cette année."
> A lire sur notre site : Extinction des insectes : "On parle sérieusement de fin du monde"
Pour l'apiculteur, nous sommes aux portes d'un drame écologique qui déjà commencé et pourrait malgré tout être arrêté si les autorités prenaient la mesure du problème et acceptaient d'agir : "les néonicotinoïdes sont en cause, comme les semences enrobées. J'ai eu, une année, 48 ruches décimées. J'ai suivi les cadavres des abeilles jusqu'au champ de colza. Avec les traitements au Gaucho, j'ai eu à l'époque toutes les abeilles butineuses mortes en 24 heures. Mais, même dans les endroits sans agriculture intensive, il y a des problèmes, parce que c'est aussi une pollution généralisée, de l'air et de l'eau. On y retrouve des pesticides après analyse. Nous proposons des traitements naturels, des alternatives aux pesticides depuis des années au ministère de l'Agriculture mais nous ne sommes pas entendus."
> A lire sur notre site : "Néonicotinoïdes : pourquoi contester une dangerosité déjà prouvée ?"
Cet été 2019, le déficit d'insectes pollinisateurs semble pour la première fois une menace pour le maraîchage. Espérons qu'en 2020 les insectes seront suffisemment présents pour faire leur travail de pollinisation. Sinon, comme en Chine, il faudra à terme polliniser à la main, avec des pinceaux pour les courgettes ou des brosses à dents électriques pour les tomates : des techniques envisageables à l'échelle des particuliers, mais impossible à mettre en œuvre pour les professionnels…