Fil d'Ariane
“La pluie n’est pas tombée en France depuis le 21 janvier, doit une série de 31 jours consécutifs (20 février inclus)”, annonce Météo France ce 21 février 2023. C’est autant qu’entre le 17 mars et le 16 avril 2020. L’organisme public précise que c’est “du jamais vu pendant un hiver météorologique.” D'ores et déjà, cet épisode a éclipsé le précédent record pour des mois d'hiver (22 jours en 1989).
Françoise Vimeux est climatologue et directrice de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Elle explique que cet épisode de sécheresse est lié à la présence d’un puissant anticyclone. Cependant, une sécheresse en cache une autre et cela pourrait avoir des conséquences lors des saisons plus chaudes. Des solutions d’adaptation sont toutefois envisageables.
TV5MONDE : Comment s’explique cette sécheresse hivernale ?
Françoise Vimeux : On a une situation météorologique anticyclonique. C’est-à-dire qu’on a un anticyclone qui est positionné sur la France depuis plusieurs semaines. Cela empêche les masses d’air humides d’arriver depuis l’Atlantique. Elles passent plus au nord.
La question est surtout de savoir s’il va pleuvoir beaucoup et comment cela va compenser le déficit de pluie des dernières semaines, et du début de l’hiver. Françoise Vimeux, directrice de recherche à l'IRD
Un anticyclone, c’est des hautes pressions. Elles forment une sorte de barrage aux dépressions, chargées d’air humide, qui arrivent depuis l’Atlantique. Cela fait qu’il n’y a pas les pluies hivernales dont on a l’habitude.
Les situations anticycloniques sont en général assez stables et durent une semaine, voire dix jours. Cet anticyclone a un peu fluctué, mais sur les quatre dernières semaines il n’a pas laissé rentrer beaucoup d’air humide. Mais il va s’affaiblir. Les perturbations vont revenir.
Météo France annonce de la pluie dans les jours qui viennent. La question est surtout de savoir s’il va pleuvoir beaucoup et comment cela va compenser le déficit de pluie des dernières semaines, et du début de l’hiver.
TV5MONDE : Quelles conséquences cet épisode de sécheresse peut avoir ?
Françoise Vimeux : À court terme, il y a plusieurs conséquences. Les pluies hivernales permettent de recharger les nappes phréatiques. En effet, les températures sont basses, donc les phénomènes d’évaporation de l’eau contenue dans le sol et dans la végétation sont limités. Ensuite, la végétation est en dormance. Elle n’a donc pas beaucoup de demandes en eau. Enfin, comme les arbres n’ont pas de feuilles, il n’y a pas de pertes d’eau par transpiration.
Les nappes ne se rechargent plus une fois la végétation sortie de sa période hivernale. Françoise Vimeux, directrice de recherche à l'IRD
La pluie qui tombe en hiver ré-humidifie les sols, s’infiltre et recharge les nappes phréatiques. Dès que la végétation sort de sa dormance et commence à se développer, elle utilise l’eau qu’il y a dans les sols et celle qui tombe sous forme de pluie. C’est pour ça que les nappes ne se rechargent plus une fois la végétation sortie de sa période hivernale.
Actuellement, en France hexagonale, le trois quart des nappes phréatiques ont un niveau inférieur à celui attendu en cette saison. C’est surtout vrai dans le sud de la France, mais quelques régions du nord commencent aussi à souffrir. Par ailleurs, les niveaux des lacs sont très bas. Cela pose un problème pour les lacs d’usage, comme ceux retenus par un barrage pour produire de l’hydro-électricité.
Autre conséquence, des incendies se sont déclarés dans les Pyrénées-Orientales. Il y a également une douzaine de départements concernés par des restrictions d’utilisation de l’eau. Enfin, nous ne sommes pas en train de constituer la réserve d’eau utile, qui est généralement utilisée au cours de la saison par les plantes.
La sécheresse que la France a connue au cœur de l’été 2022 trouvait son origine dans le déficit de pluie de l’hiver 2021-2022. Françoise Vimeux, directrice de recherche à l'IRD
Il y a deux scénarios possibles pour les mois à venir. Ou bien il pleut beaucoup dans les prochaines semaines, avant que la végétation ne se développe. Cela permettrait de compenser un peu la situation. Ou bien il ne pleut pas suffisamment, voire pas du tout, et cela provoque une situation de sécheresse grave, similaire à 2022. Pour rappel, la sécheresse que la France a connue au cœur de l’été 2022 trouvait son origine dans le déficit de pluie de l’hiver 2021-2022.
Les conséquences de cette sécheresse sur la période estivale, on les connaît. La sécheresse provoque une augmentation des risques d’incendies, notamment dans le sud de la France, des pénuries en eau, qui impliquent une gestion de l’eau disponible et enfin, l’agriculture mise à mal par la sécheresse des sols.
TV5MONDE : Faut-il s’attendre à connaître de plus en plus d’épisodes de sécheresse ?
Françoise Vimeux : Une étude récente menée par l’institut Pierre-Simon Laplace s’intéresse aux causes de la sécheresse qui a touché la France et l’Europe de l’Ouest en 2022. Elle montre bien que la cause majeure de cette sécheresse, c’est le changement climatique.
Dans un climat qui se réchauffe, les événements de sécheresse extrême vont être plus fréquents, s’intensifier et être plus longs.Françoise Vimeux, directrice de recherche à l'IRD
Ce que l’on sait de manière globale, c’est que dans un climat qui se réchauffe, les événements de sécheresse extrême vont être plus fréquents, s’intensifier et être plus longs. Par exemple, dans un climat qui se réchaufferait de 3°C par rapport au début du 20e siècle, on pourrait avoir sous nos latitudes des sécheresses s’étalant sur plusieurs années.
Par ailleurs, les sécheresses sont aggravées par les situations de canicule. C’est ce qu’il s’est passé en 2022. Quand la température est très élevée, elle favorise l’évaporation du peu d’eau qu’il y a dans les sols et dans la végétation. Ça vient accentuer des états de sécheresse dûs à des déficits de pluie.
TV5MONDE : Y a-t-il des solutions face à ces sécheresses ?
Françoise Vimeux : Il y a une nécessité de s’adapter à ces situations qui pourraient se reproduire plus fréquemment, plus intensément et sur des durées plus longues. Il y a des pistes d’adaptations, il faut vraiment les prendre à bras le corps plutôt que de paraître surpris et de subir quand ça arrive.
Par exemple, pour l’agriculture, on sait qu’il faut vraiment réfléchir au type de culture qu’on réalise. Est-ce que la culture du maïs, qui demande beaucoup d’eau au moment où il y en a très peu, est une culture à poursuivre ? Il faut diversifier les cultures.
Ensuite, il y a les techniques d’agro-foresterie. Il s’agit par exemple de planter des arbres fruitiers au milieu des champs de céréales, car les arbres apportent de l’ombre, créent de l’humus, vont chercher de l’eau plus en profondeur avec leurs racines pour la ramener en surface. La bonne gestion des sols est aussi cruciale. Il faut avoir un sol en bonne santé qui retient l'eau, c'est-à-dire pas trop compacté, avec de la matière organique. Il faut donc limiter le labour et les sols nus.
Bien sûr, il faut aussi rationaliser l’irrigation. Il ne faut pas avoir de fuites sur les réseaux par exemple, pour ne pas gaspiller de l’eau. On peut aussi penser à d’autres solutions, comme une meilleure gestion des eaux usées pour qu’elles soient réutilisées pour l’agriculture.