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- Environnement : qu’est-ce que la sobriété ?
Face au dérèglement climatique, des scientifiques jusqu’au chef de l’État en appellent à la sobriété. L’heure est à la remise en question de nos comportements individuels mais aussi collectifs. Qu’est-ce que la sobriété signifie au fond ?
« Un plan de sobriété », « la sobriété heureuse », « la sobriété et la fin de l’abondance »… Elle est aujourd'hui au coeur du débat public et semble être le nouveau mot d’ordre pour les mois à venir.
Par définition, la sobriété est l’inverse de l’ivresse. Dans le langage courant, elle fait usuellement référence soit au contexte de la boisson (« Je suis sobre, je n’ai pas bu »), soit à celui de la retenue notamment esthétique (« la décoration de sa chambre est plutôt sobre »).
Historiquement, elle était même un mode de vie. « Une quête de sérénité, maîtrise des passions, tempérance et sobriété forment quelques-uns des préceptes de la sagesse antique de l’Occident. Cette longue tradition philosophique a permis aux Anciens de forger un art de vivre. » décrit alors le magazine Sciences humaines.
Récemment, elle s’inscrit toutefois dans un contexte beaucoup plus contemporain. Face à la raréfaction des ressources, qu’elle soit causée par la guerre en Ukraine ou le dérèglement climatique, elle se montre de plus en plus nécessaire.
Dans son dernier rapport, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) la définit comme : «un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter la demande d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en assurant le bien-être de tous les êtres humains dans les limites de la planète. »
« C'est un mode de vie qui permet d'avoir une vie épanouie et épanouissante en minimisant la quantité d'énergie, de matière première et d’eau. résume Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors. On est sur un enjeu de mode de vie à niveau individuel et collectif. L'apport de la sobriété est un enjeu du comportement […] C'est faire les choses autrement. »
On a toujours pensé que plus on avait, mieux c’était. Que l’on pouvait se réaliser en accumulant des biens, sauf qu’on se rendait pas compte qu’on détruisait la planète. interroge Dominique Bourg, philosophe spécialiste des questions environnementales. Dans notre modèle, on doit acheter de plus en plus de biens, consommer de plus en plus, voyager de plus de plus. La sobriété, c’est de changer de référentiel. »
La nécessité d’une sobriété résulte inévitablement à un constat écologique des plus alarmants. En mai dernier, la sixième des neufs limites planétaires était dépassée. Et rien que cet été, les inondations meurtrières au Pakistan, les sécheresses et canicules historiques en Chine, en Europe et dans la Corne de l’Afrique, les pluies diluviennes aux Etats-Unis ont matérialisé comme jamais la réalité du réchauffement climatique pour des milliards de personnes.
La sobriété doit-elle être appliquée de la même manière pour chaque habitant de la Terre ? L’empreinte carbone d’un Français est en moyenne de 4,4 tonnes de C02 par année. Si l’on prend en compte les émissions dues aux produits importées, celle-ci monte même à 10 tonnes. Un Américain produit 14,4 tonnes, un Indien produit 1,7 et un Africain 0,7.
Pour un monde neutre en CO2, il faudrait que les habitants des pays les plus polluants rabaissent leur empreinte à 2 tonnes de C02 par an. Par quels changements de vie doit-on passer pour atteindre cet objectif ? L’empreinte carbone peut être schématisée en cinq domaines : transports, alimentation, habitat, consommation et dépenses publiques. Comme le montre le graphique de Carbone 4, cabinet dédié aux enjeux de l'énergie et du climat, l'usage de la voiture, dans la catégorie "transports", constitue la plus grosse part dans l'empreinte carbone, à hauteur de plus de 2 tonnes de C02 par an.
L’impact écologique de ces catégories est donc lié une consommation d’énergie plus ou moins importante. Si l’on change nos habitudes dans ces catégories, on baisse notre consommation énergétique : c’est pour cela que la sobriété est habituellement appelé « sobriété énergétique ». Pour rappel, les émissions liées au secteur de l’énergie représentent en moyenne 75% des émissions globales.
« La sobriété énergétique, c'est si vous chauffez votre maison à 22 degrés, passer à 19. Cela vous permet d'être bien chez vous en hiver, tout en consommant moins », assure Thomas Pellerin-Carlin. « La sobriété c’est chercher l'optimum du confort, tout en préservant les écosystèmes. Cela implique moins d'objets, des objets sophistiqués mutualisés et durables. C’est au final tout une réorganisation de société. Mais ce n’est pas vivre plus mal », explique Dominique Bourg.
Car la sobriété implique des changements à l’échelle individuelle mais aussi collective. « Le changement individuel est à la fois indispensable et insuffisant, affirme le 2 septembre Esther Duflo sur France Inter. Le changement climatique est essentiellement causé par nos comportements, au sein des pays riches, et dans ces pays par le comportement des plus riches. […] Le changement sur le dérèglement climatique ne peut se faire que par des actions politiques et une meilleure répartition des revenus. »
Doit-on alors tous changer de mode de vie ? D’un pays à un autre, la question ne se pose pas de la même manière, voire pas du tout (pour les pays africains ou même l’Inde par exemple). Cependant, que ce soit d’un pays à un autre, l’empreinte carbone est d’autant plus liée à la richesse, souligne Thomas Pellerin-Carlin.
« L'empreinte carbone moyenne d'un Français est autour de 10 tonnes de Co2 par an. Celle de 50% des Français les moins riches, c’est-à-dire ceux qui sont en dessous du revenu médian, comme les professeurs des écoles, secrétaires, sont eux à 5 », explique l’expert. « Un millionnaire sud-africain va polluer plus qu'une personne de la classe moyenne en France. Il y a certes des inégalités d’émissions entre États mais aussi à l'intérieur des États. »
La sobriété ne fait pour autant pas consensus, du moins en France. Certains y opposent la liberté de propriété (des voitures de luxes par exemple), de se déplacer (en jet privé) ou encore même de manger ce que chacun souhaite. Pour autant, la sobriété permettrait « à très court terme, de limiter la quantité de coupures de courant ou le rationnement du gaz cet hiver », souligne Thomas Pellerin-Carlin, « et à moyen terme, d’éviter l'effondrement de nos civilisations sous le coup du dérèglement climatique. »