Fil d'Ariane
Le robot Perserverance de la Nasa s’est posé sur la planète Mars, après sept mois de voyages, ce mercredi 18 février vers 21h. Des scientifiques du monde entier tenteront de savoir si la vie a pu exister sur la planète rouge. L’exploration de Mars est un enjeu scientifique international dans lequel rivalités nationales et collaborations multiples sont de mise. François Forget, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS nous éclaire sur les différentes initiatives lancées ces dernières années.
La planète Mars et son exploration sont au centre d’au moins trois missions importantes en ce mois de février 2021. Loin d’être une coïncidence, elles correspondent tout simplement à une fenêtre d’action qui permet le lancement de ces expéditions.
Les missions vers Mars ne peuvent être lancées n’importe quand mais tous les 26 mois, comme nous l’explique François Forget, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS : “Il faut attendre une période où Mars ne passe pas trop loin de la Terre, et c’était le cas, mi-octobre. Les missions ont été lancées un peu avant fin juillet et arrivent toutes en fevrier”, explique-t-il.
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Des sondes sont donc envoyées environ tous les deux ans vers Mars. La mission Perseverance de la Nasa était loin d’être une première. “Quand les sondes de cette année sont arrivées, il y avait déjà six satellites orbiteurs autour de Mars, et un rover (robot), ainsi qu’une station géophysique à la surface, en fonctionnement. Cela fait donc huit engins, sans compter tous ceux tombés en panne depuis”, détaille François Forget.
Au même moment où est apparue la vie sur Terre, il y avait des lacs et des rivières sur Mars. Aujourd’hui, c’est un grand désert très sec. On se demande s’il est arrivé la même chose que sur la Terre !
François Forget, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS
Mais c’est surtout l’intérêt scientifique de la mission Perseverance qui impressionne le chercheur. Le but de la mission est affiché : trouver des traces de vie sur Mars, mais aussi étudier l’environnement de la planète pour comprendre son évolution. “C’est un projet très complexe. L’objectif principal est d’étudier le sol et d’y chercher d’éventuelles traces de vie. Mais le rover est aussi équipé d’une station météorologique très complète”, développe-t-il. “Au même moment où est apparue la vie sur Terre, il y avait des lacs et des rivières sur Mars. Aujourd’hui, c’est un grand désert très sec. On se demande s’il est arrivé la même chose que sur la Terre !”, s’exclame François Forget.
Mais la grande nouveauté vient des autres nations ayant lancé des sondes en février : "Nous avons actuellement trois missions dont deux qui viennent de nations qui jusqu'à présent n’avaient jamais lancé de missions vers Mars ou d’autres planètes”, ajoute-t-il. Le 10 février, c'est la mission chinoise Tianwen1 qui lançait son satellite en orbite.
Ce n’est pas la première fois que la Chine développe un programme spatial pour autant. Pour François Forget, il s’agit d’ailleurs d’un programme très ambitieux. “Les Chinois ont déjà lancé avec succès des missions vers la Lune, et en ont ramené des échantillons de roche. Ce sont des projets assez spectaculaires à réaliser, et ils le font en plus avec leur propre lanceur de fusée. C’est une vraie puissance spatiale”, déclare l’astrophysicien.
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Rien d’étonnant de les voir se lancer vers l’étape suivante, à savoir l’exploration de Mars. La Chine voit néanmoins les choses en grand avec la mission Tianwen1, puisqu’elle comporte plusieurs actions en une seule mission. “La mission est encore plus ambitieuse puisqu’ils ont dans un premier temps lancé un satellite en orbite . Ils prévoient dans quelques mois (en mai) un atterrisseur et ensuite un rover (robot à roulettes qui va se déplacer). Ils brûlent peut-être un peu les étapes en faisant en une seule mission ce que les Américains ont fait en plusieurs”, détaille François Forget.
Plus tôt, le 9 février, les Émirats Arabes Unis lançaient en orbite leur sonde Hope vers Mars, pour étudier l’atmosphère de la planète. Ce projet est la première mission interplanétaire lancée par un pays arabe et arrive pour célébrer le cinquantième anniversaire de la fédération des sept émirats. Deux ans et demi auparavant, Hazza Al Mansouri est entré dans l'Histoire en devenant le premier astronaute arabe à voyager dans l’espace à bord de la Station spatiale internationale (ISS), en septembre 2019.
Scientifiquement, le projet des Emirats Arabes Unis est très différent de celui de la Chine, mais il est intéressant dans la mesure où l’ambition affichée est de susciter des vocations dans la jeunesse émiratie, voire arabe. Ce n’est pas que de l'esbroufe, ils ont un vrai projet scientifique pertinent
François Forget, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS
“Cette mission est intéressante car c’est un pays qui n’est pas une puissance spatiale, mais qui aimerait bien le devenir”, explique François Forget. Entre partenariats avec des universités américaines pour former leurs ingénieurs et avec le Japon pour utiliser leur lanceur, les Émirats Arabes Unis font un pari astucieux selon l’astrophysicien : “C’est un beau projet où ils apprennent beaucoup de leurs partenaires. Scientifiquement, il est très différent de celui de la Chine, mais il est intéressant dans la mesure où l’ambition affichée est de susciter des vocations dans la jeunesse émiratie, voire arabe. Ce n’est pas que de l'esbroufe, ils ont un vrai projet scientifique pertinent”, explique-t-il.
Une des ambitions à long termes annoncées des Émirats Arabes Unis est une colonie martienne d'ici un siècle, selon leur programme Mars 2117. Pour s’y préparer, des architectes ont déjà commencé à imaginer une future ville martienne “Science City”, pour la créer dans le désert.
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Pour autant, selon François Forget, parler de colonisation de Mars relève de la science-fiction. “Cela fait cinquante ans qu’on dit qu’on va aller sur Mars dans 20 ans. Avant de coloniser, il faut réfléchir à y envoyer des expéditions, des astronautes qui feraient l’aller-retour, par exemple”, explique-t-il. Pour l'astrophysicien, il existe tout de même des projets en collaboration internationale pour y envoyer des êtres humains : “Les États-Unis, avec leurs partenaires de l’Agence spatiale européenne (ESA) ont malgré tout l’idée de travailler sur le développement d’une mission humaine, de type Apollo, c’est à dire, un long voyage vers Mars, pour explorer mais pas coloniser”, précise-t-il.
Cela dit, l’idée de colonisation de Mars est très présente chez certains industriels qui travaillent sur la construction de matériel à cet effet. C’est le cas d’Elon Musk, PDG de Space X. L’homme d’affaires sud-africain affiche ouvertement son envie de démarrer la colonisation de la planète rouge et y consacre ses activités. “C’est vrai qu’on en parle beaucoup. Elon Musk investit de nombreuses ressources de son entreprise pour développer des super fusées qui permettront au moins une expédition, et éventuellement plus tard de coloniser la planète, qui sait? Mais dans la réalité, il ne pourra pas le faire dans les années à venir. Néanmoins, il y a de la sincérité dans sa démarche et il a déjà passé des contrats à la Nasa comme d’autres constructeurs privés. Qu’il affiche cette motivation de coloniser Mars ne veut pas dire qu’il va le faire pour autant !”, s'amuse François Forget.
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Mais alors, où en est l’Europe dans cette aventure martienne ? La stratégie de l’Agence spatiale européenne est de multiplier les partenariats internationaux. “C’est souvent plus intéressant de faire ainsi”, nous explique François Forget. “Sur Perseverance, la France a fourni un élément important du rover, SuperCam. Il s’agit d’un ensemble d’instruments qui permettent de scanner, grâce à des lasers, et d’analyser les roches. C’est une grosse partie de la tête du robot et nous sommes très contents de ce partenariat”, affirme-t-il fièrement.
L’Europe a aussi ses propres projets d’exploration vers Mars. “Depuis 2003, nous avons une sonde autour de Mars, sur laquelle j’ai travaillé et qui s’appelle Mars Express. Elle a révolutionné nos connaissances de la planète”, explique le chercheur. “Nous avons aussi un autre engin, l’ExoMars Trace Gas Orbiter, arrivé en 2016, qui étudie l’atmosphère de la planète”, poursuit-il. La prochaine étape de ce programme ExoMars devait voir le jour en 2020, et a été repoussée en 2022, notamment à cause du Covid. Il s’agissait de l’envoi d’un rover appelé Rosalind Franklin et d’un atterrisseur, qui s’appelle Kazachok. “C’est un projet européen majeur avec une forte participation française et un partenariat avec la Russie, pour la fusée. On aurait en effet pu utiliser la fusée Ariane, française. Mais c’est beaucoup plus intéressant de partager le projet avec des partenaires. Ça permet de partager les coûts, de se consacrer à plus de projets”, conclut-il.
oin d’une éventuelle course à la conquête de l’espace ou de Mars, ces partenariats permettent à chaque pays, selon l’astrophysicien, d’y trouver son intérêt propre, et de se lancer dans l’exploration spatiale. “Par exemple, le Japon a déjà envoyé une mission vers Mars. Il faut savoir que leur première avait échoué en 1998. Un autre lancement est prévu en 2024. C’est un projet très sérieux auquel nous participons également. C’est le projet Mars Moons eXplorer (MMX), qui a pour objectif d’explorer les deux lunes de Mars”, détaille-t-il.
Mais le Japon n’est pas le seul à se lancer dans cette aventure. L’Inde a été le premier pays asiatique à avoir atteint Mars, en 2014 avec sa sonde Mars Orbiter Mission (MOM). “L’Inde a d'ailleurs pour projet de lancer bientôt un autre satellite et là aussi, nous espérons collaborer avec ce pays”, rappelle François Forget.
Même dans les missions robotiques, il y a parfois l’idée de démontrer qu’on est les meilleurs. Il y a là une question de prestige national, parfois de rivalité
François Forget, astrophysicien et directeur de recherche au CNRS
La plupart du temps, selon le chercheur, les intérêts scientifiques sont plus importants que les intérêts politiques, ce qui permet la multiplication de ces partenariats. “Au niveau scientifique, il y a souvent une entente, un intérêt commun à collaborer sur un maximum de projets, c’est gagnant-gagnant”, explique-t-il. Pourtant, les conflits entre nations sur Terre ont parfois des conséquences dans l’espace : “Bien sûr, il y a parfois des frictions, particulièrement entre les États-Unis et la Chine. Les chercheurs américains ne sont pas trop impliqués avec les chercheurs chinois mais, en ce qui concerne les Européens, ça ne nous empêche pas de discuter avec eux, voire de contribuer à leurs projets”, poursuit-il.
Cependant les velléités d’exploration humaine de la planète Mars dépassent le simple intérêt scientifique. “Il est évident que développer une station spatiale internationale, ou éventuellement envoyer des hommes sur Mars, ça ne se justifie pas par la science. Les coûts sont plus importants et l'intérêt scientifique est moindre, donc il y a d’autres motivations, plus politiques”, déclare François Forget. Loin de la guerre froide d’antan, c’est une autre idéologie qui prévaut selon lui. “Même dans les missions robotiques, il y a parfois l’idée de démontrer qu’on est les meilleurs. Il y a là une question de prestige national, parfois de rivalité”, conclut-il.