Fil d'Ariane
Le lanceur de la fusée chinoise Tianhe opère sa rentrée vers la Terre sans que l'on connaisse sa future zone d'impact. Un événement qui suscite des interrogations voire des inquiétudes. Pourtant les rentrées d’objets spatiaux sont des faits communs. Un phénomène qui ne fera que s’intensifier avec le temps. Entretien avec Christophe Bonnal, chercheur au CNES, président des commissions “Débris spatiaux” de l'Académie internationale d'astronautique (IAA).
TV5MONDE : Le lanceur de la fusée Tianhe doit atteindre la Terre ce week-end. Les autorités chinoises estiment le risque de débris « extrêmement faible ». Vous confirmez ?
Christophe Bonnal, chercheur au CNES, président des commissions “Débris spatiaux” de l'Académie internationale d'astronautique (IAA) : Tout est dans l’expression. Le risque est extrêmement faible, cela veut dire qu’il est non nul. Pour être tout à fait précis, le lanceur de la fusée est un gros étage, qui mesure 30 mètres de long et 5 mètres 40 de diamètre. Il pèse 22 tonnes. Mais il ne faut pas s’arrêter uniquement à ces chiffres-là. L’étage est fabriqué en aluminium, il fond très bien pendant la rentrée atmosphérique, c’est-à-dire pendant la phase de traversée finale de l’atmosphère. Les 100 derniers kilomètres, l’étage va être soumis à un échauffement très élevé de 1300 degrés Celsius, et il va fondre. Sauf ce qui ne fond pas, c’est-à-dire certains éléments du moteur ou des éléments réfractaires comme le titane. Il restera donc à peu près 10% de la masse du composant de la fusée. On va donc passer de 22 tonnes à 1 ou 2 tonnes, qui vont toucher la surface du globe. La Terre se compose à 70% d’eau, de 10 à 12% de savanes et de déserts et de 3% de zones densément peuplées. Le risque pour l’Homme est donc faible en effet, mais il n’est pas nul, il existe bel et bien.
Il y a eu à peu près 25 000 rentrées atmosphériques depuis Spoutnik 1 en 1957
Christophe Bonnal, chercheur au CNES et auteur de "Pollution spatiale : l'état d'urgence"
TV5MONDE : Ce n’est pas la première fois que la Chine perd le contrôle d’un objet spatial… Ce genre d’accident est-il courant ?
Christophe Bonnal : C’en est un parmi tant d’autres. On estime qu’un objet ou un satellite entier entre dans l’atmosphère terrestre au moins une fois par semaine. Ce sont souvent des gros objets. Si l’on regarde le Falcon 9 [ndlr : lanceur de fusée partiellement réutilisable développé par la société américaine SpaceX], son étage supérieur fait 5 à 6 tonnes et retombe de la même façon, aléatoire, une mission sur deux. Ainsi, il a déjà endommagé le toit d’une maison au Brésil, démoli un enclos à vaches en Indonésie… Mais nous avons la même chose du côté d’Ariane. Récemment, l’étage supérieur Centaur est retombé sur 1000 kilomètres en Espagne. C’est classique. On estime qu’il y a eu à peu près 25 000 rentrées atmosphériques depuis Spoutnik 1 en 1957 [ndlr : Spoutnik 1 est le premier satellite artificiel de la Terre, lancé par la Russie le 4 octobre 1957]. Sur ces 25 000 rentrées, il y a eu 10 000 gros objets et il n’y a jamais eu de victime.
Regarder : Un morceau de la fusée chinoise Tianhe en route vers la Terre :
TV5MONDE : Les satellites et débris de satellites dans l’espace constituent-ils un danger ?
Christophe Bonnal : Oui, ils sont un réel danger. On dénombre trois phénomènes redoutés liés aux débris. Le premier est lié aux collisions dans l’espace. Même les objets très petits peuvent faire des dégâts terribles, à cause de l’énergie cinétique [ndlr : l'énergie cinétique est l'énergie que possède un corps du fait de son mouvement] et de la vitesse orbitale [ndlr : 30 000 kilomètres à l’heure]. Une petite bille de 1 millimètre, par exemple, prend la même énergie qu’une boule de bowling lancé à 100 kilomètres à l’heure. Une bille de 1 centimètre équivaut à une voiture lancée à 130 kilomètres à l’heure. Ces objets sont au nombre de 1 million dans l'espace. Ils peuvent tout à fait faire exploser un satellite. Quand les collisions concernent des gros objets, comme cela a eu lieu en 2009, la collision va générer 3 000 nouveaux débris, qui eux-mêmes vont risquer d’entrer en collision avec d’autres objets. C’est ce que l’on appelle le syndrome de Kessler. Heureusement, nous avons quelques mesures contre les collisions de satellites actifs avec de gros objets détectables de 10 centimètres ou plus. Il est possible de faire des manoeuvres d’évitement. C’est ce que font les ingénieurs du CNES à Toulouse, en montant puis descendant de 100 mètres les satellites.
Le second risque est de faire des victimes au sol. Le troisième risque est celui de la gêne vis-à-vis des astronomes. Pendant qu’ils observent et étudient des étoiles, des trains de satellites ou de débris peuvent venir polluer le champ de vision du télescope. C’est un sujet majeur sur lequel nous travaillons beaucoup au sein de la Fédération Internationale d’Astronautique, afin d’édicter des règles pour le futur sur ce que doit être le coefficient de réflectivité maximal (ndlr : la réflectivité est la proportion d'énergie électromagnétique réfléchie à la surface d'un matériau) des nouveaux satellites. Écologiquement, satellites et débris ne posent pas de problème, la pollution est négligeable. Au total, il y a 8800 tonnes d’artificiel dans l’espace, c’est l’équivalent de la Tour Eiffel. Pour les collisions débris contre débris, nous travaillons actuellement à ce que l’on puisse dévier la trajectoire de l’un des deux objets.
(Re)voir : 1600 astronomes lancent une pétition contre la pollution lumineuse des satellites
Aujourd’hui, nous parvenons à changer la trajectoire des satellites mais c’est déjà compliqué. Demain, ce le sera encore plus.
Christophe Bonnal, chercheur au CNES et auteur de "Pollution spatiale : l'état d'urgence"
TV5MONDE : Que pourrait produire la multiplication des objets dans l’espace, à terme ?
Christophe Bonnal : Il y a hier. Et il y a demain. Tant que la situation ressemble à hier, il n’y a pas encore trop d’objets. Demain, le gros risque est l’explosion du nombre de nouveaux satellites dans l’espace, avec tout ce que l’on appelle le « New Space », l’ « Espace 4.0 », les « méga-constellations », dans les décennies à venir. Et cela change vraiment la donne. Aujourd’hui, nous parvenons à changer la trajectoire des satellites mais c’est déjà compliqué. Nous avons des millions de fausses alertes. Demain, ce sera encore plus compliqué. Ce ne sera pas un risque physique, l’espace est infiniment grand. Par contre, nous aurons plus de mal à calculer correctement des trajectoires.