Espagne : à Barcelone, une mosquée dans l'arène

Selon de multiples informations de la presse espagnole, les célèbres arènes de Barcelone dites de la "Monumental" sont en passe d'être rachetées par l’Émirat du Qatar. Celui-ci transformerait ce haut lieu désaffecté de la tauromachie catalane en la plus grande mosquée d'Europe.
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Espagne : à Barcelone, une mosquée dans l'arène
La façade des arènes de la Monumental (photo Niklas Gustavsson/Flickr)
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Olé ou akbar ...

L'un des symboles de la culture profane hispano-catalane transformé en mosquée géante : la nouvelle, a priori, ressemble à une rumeur douteuse. Elle est pourtant fondée sinon confirmée, et la presse espagnole – de El Païs à 20 minutos en passant par El Mundo ou Publico - s'en fait l'écho depuis une dizaine de jours. Les arènes dites de la Monumental de Barcelone, deuxième ville du Royaume et capitale d'une Catalogne de plus en plus tentée par l'indépendance seraient en passe d'être vendues par leur actuel propriétaire, la famille Balaña, à l'émir régnant du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani.

Ambition prêtée à ce dernier : faire du temple déchu de la tauromachie la plus grande mosquée d'Europe et la troisième du monde derrière celles de la Mecque et de Médine. 10.000 mètres carrés, assez pour contenir 40.000 fidèles. Elle abriterait également une école coranique pour 300 étudiants, une salle de conférence, un musée d'arts et histoire islamiques, un centre d'étude consacré à Al Andalus (partie de la péninsule ibérique naguère sous domination musulmane), une bibliothèque, une salle de mariages, un restaurant et des commerces. Selon le journal conservateur El Mundo, elle serait en outre dominée par un minaret « purement ornemental » de … 300 mètres de haut, c'est à dire la taille approximative de la Tour Eiffel. En signe de tolérance, les promoteurs du projet disent envisager aussi l'implantation d'une église catholique pouvant accueillir 150 à 200 fidèles sur un terrain « adjacent » à la mosquée, selon El Païs.
 

Logique

Espagne : à Barcelone, une mosquée dans l'arène
Carte postale peu après la construction des arènes

Vrai ou imaginaire, le projet n'est en tout cas dépourvu ni de logique, ni de motifs. La Catalogne a interdit il y a trois ans la pratique de la corrida et le dernier taureau y a été mis à mort en septembre 2011 (voir encadré ci-contre), précisément dans ces arènes mythiques de Barcelone.

Construites en 1913 dans le style mudéjar et néo-byzantin agrémenté d'une façade "noucentiste" (mouvement architectural et culturel catalan du début du XXème siècle), agrandies pour recevoir plus de 20000 spectateurs, les arènes de la Monumental sont classées « bien culturel d'intérêt national » (catalan) mais demeurent propriété privée, donc vendable sur le marché. Avec la fin imposée de la tauromachie locale, elles étaient devenues lieu de spectacles dans l'attente, apparemment, d'une nouvelle vocation plus pérenne.

La communauté musulmane de catalogne, de son côté, compte près de 500 000 fidèles selon certaines estimations. Elle ne disposait, à l'inverse de Madrid ou Valence, que de salles de prières privées insuffisantes (34 à Barcelone). L'un de ses portes-paroles, Mowafak Kanfach, initiateur du projet et créateur d'une Maison du livre arabe de Barcelone, réclamait depuis longtemps un lieu de culte digne de ce nom. Il avait déjà soutenu sans succès un projet d'implantation de mosquée sur d'autres arènes (de la plaça Espanya), mais celui-ci avait finalement été abandonné et le site transformé en centre commercial.
 

2,2 milliards

Espagne : à Barcelone, une mosquée dans l'arène
© AFP L'émir du Qatar, le cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani

L’Émirat du Qatar, quant à lui, a déjà marqué son affection pour la région par l'intermédiaire d'une fondation Qatar-Barcelone. Il est aussi – et surtout – le sponsor de son équipe de football, le Barça, dans lequel il a investi 165 millions d'euros. Cette fois, le coût total du projet – rachat du site et réaménagement - avoisine, selon la presse espagnole, les 2,2 milliards d'euros. Il pourrait générer près de 4000 emplois durant cinq ans.

Dans l'hypothèse où la vente se réaliserait, ce qu'a nié l'actuel propriétaire, un détail, pourtant, resterait à règler : le permis de construire. Or, tandis que le Parti Populaire (conservateur) s'inquiète d'une initiative soutenue par des « personnes et des pays dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres », le maire actuel de Barcelone, Xavier Trias (CIU, coalition catalane de centre-droit) a déclaré à  El Periodico  n'avoir « reçu aucun projet de construction dans les anciennes arènes ». Cela se complique.

[maj. 9/7/2014 14 h]
 

Dernier combat

26.09.2011Elodie Cuzin, AFP septembre 2011 (extraits)
Dernier combat
Dernier combat aux arènes “Monumental“ de Barcelone, le 26 septembre 2011© Photo (AFP LLUIS GENE)
Acclamés par 18 000 aficionados, trois toreros espagnols de renom ont tué dimanche [26 septembre 2011] les huit derniers taureaux lâchés dans les arènes de La Monumental à Barcelone, pleines à craquer pour l'ultime corrida de l'histoire de la Catalogne.

Sous les cris de «Liberté!», les matadors Juan Mora, José Tomas et Serafin Marin ont tourné la page d'un siècle de combats sur le sable de La Monumental, les arènes de la capitale catalane ouvertes en 1914, avant l'interdiction de la corrida en Catalogne à partir du 1er janvier 2012.

Symboliquement, dans cette région très nationaliste du nord-est de l'Espagne, c'est le jeune torero catalan Serafin Marin, 28 ans, enfant de Barcelone, qui a donné le coup de grâce au dernier taureau de cette soirée, le huitième.

«Liberté! liberté!», criait la foule des aficionados, pour qui cette dernière corrida était presque un jour de deuil. «Fermer les arènes, c'est comme jeter un tableau de Picasso à la poubelle», lançait un homme de 68 ans, Cristobal, en gagnant sa place dans les arènes. «Liberté d'expression, Liberté de création», clamait l'une des banderoles accrochées aux gradins, avec des drapeaux catalans et espagnols. «Cela me fait mal, je suis triste. On m'a enlevé tout mon passé et une partie de mon avenir. On m'a interdit d'exercer ma profession», confiait Serafin Marin à l'AFP avant cette corrida.

Dès 2004, Barcelone s'était déclarée ville anti-tauromachie. Mais les aficionados dénoncent, derrière la défense des animaux, des motifs plus politiques et accusent certains indépendantistes catalans d'avoir voulu porter un coup à une tradition associée à l'Espagne.