Un peu plus d'une semaine après la plus grande manifestation nationaliste qu'ait connue la Catalogne depuis les années 70, son Président Artur Mas rencontre ce jeudi 20 septembre le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy. Le premier brandit la menace d'indépendance si Madrid refuse de reconsidérer en sa faveur la répartition des recettes fiscales. Le second estime qu'il y a d'autres urgences. Les deux ont de solides arguments.
Crise et nationalismes
Ce fut, pour le moins, une belle manifestation. Un million et demi de participants selon les organisateurs (« un quart de la population catalane ») et la police de la Généralité ; 600 000 personnes selon Madrid. Un succès historique, de toute façon, qui conforte dans leur certitudes les plus radicaux et enhardit les tièdes. Ce 11 septembre, dans les rues de Barcelone, les slogans de la foule laissent d'ailleurs peu de place au compromis: « independancia ! Adeu Espana ! (adieu l'Espagne ! en Catalan) ou encore « Catalunya, nou estat d'Europa » (Catalogne, nouvel État d'Europe )». « Il y a une fatigue mutuelle entre la Catalogne et l'Espagne, résume le surlendemain Artur Mas, Président de la généralité de Catalogne. (…) Pendant des décennies, notre objectif a été de transformer l’État pour que nous puissions le considérer comme le nôtre. Si ceci n'est pas possible, la Catalogne a besoin d'un État. »
Plus qu'une nouvelle éruption identitaire, c'est pourtant une question triviale qui, stimulée par la crise, rapproche du divorce l'entité traditionnellement la plus turbulente d'Espagne : la répartition de la manne fiscale. Les Catalans s'estiment en effet, non sans raisons, lésés par le modèle fiscal espagnol en tant que contributeurs nets. Comme dans nombre d’États-nations (dont la France) les régions riches (comme l'Ile-de-France mais aussi … Madrid ou les Baléares) donnent d'avantage au budget central que ce qu'elles reçoivent. Selon la Generalitat, la Catalogne qui demeure la locomotive industrielle et touristique de l'Espagne (21 % du PIB) « perd » ainsi chaque année 16 milliards d'euros (8% de son PIB), différentiel non rétrocédé par Madrid en raison du système de répartition.
« Tout est possible »
Comme en Lombardie ou dans les Flandres belges cette redistribution présentée comme une spoliation alimente un nationalisme par ailleurs très ancré dans l'histoire et l'identité catalane. Si payer pour les autres pouvait être supporté au temps du « miracle espagnol » (dont la Catalogne était en grande partie la vitrine) la crise, a contrario, aiguise les frustrations. Selon un Centre d'étude d'opinions, 75 % des 7,5 millions de Catalans considèrent qu'il s'agit d'une injustice. Et Artur Mas d'exiger, mesure phare de sa législature, la mise en place d'un « pacte fiscal », c'est à dire la capacité de lever les impôts sur son territoire et d'en disposer comme bon lui semble. Étape vers l'indépendance ou alternative ? Artur Mas profite en tout cas du mouvement (51 % des Catalans voteraient pour l'indépendance en cas de référendum contre 36 % dix ans plus tôt, selon un sondage publié par le quotidien La Vanguardia) pour la brandir, évoquant le « désir de liberté [des Catalans] et d'être un peuple normal parmi les pays et nations du monde ». « L'objectif, précise t-il, est de doter la Catalogne de structures d’État. Ce n'est pas facile mais tout est possible ». Et d'ajouter pour être bien compris : « si le pacte fiscal ne voit pas le jour, nous devrons prendre le chemin de l'indépendance ».
Orgueil et dette
La situation de la Catalogne semble pourtant moins flamboyante que ne le laisse entendre le verbe haut de son président et même les cris de ses manifestants. Avec une ardoise de 41 milliards d'euros - reléguée par Standard & Poor's dans la catégorie « spéculative » - , elle constitue désormais la région la plus endettée du royaume, sans paraître suivre pour autant la rigueur prônée ailleurs ni même donner beaucoup de signes de réduction de son train de vie. De loin la plus dépensière des communautés autonomes en termes d'organismes publics subventionnés, elle entretient notamment sept chaînes de télévision et de multiples représentations internationales. Elle maintient, pour l'an prochain l'organisation de la troisième prestigieuse mais coûteuse Barcelona World Race (compétition de voile). A Port Vell, vieux port de Barcelone longtemps désaffecté, on poursuit l'extension d'une marina de luxe avec cent-cinquante nouveaux anneaux pour yachts géants. Sans doute la plupart de ces dépenses somptuaires reposent-elles largement sur des investissements privés mais l'histoire récente a amplement souligné leurs implications, spécialement en cas de pertes, sur les finances publiques.
Acculé par une échéance de 4,8 milliards d'euros à régler au quatrième trimestre, le gouvernement catalan a sollicité d'urgence une aide de 5 milliards de l’État central. Une somme a priori accordée par le Fonds de Liquidité Autonomique - destiné à renflouer les régions en mal de trésorerie - mais sous la condition d'une surveillance accrue de Madrid. Réponse de Mas : « jamais je ne laisserai entrer les hommes de Madrid dans le palais de la Generalitat. C'est une question d’orgueil national ».
Interrogé lundi à la télévision, le Premier ministre Mariano Rajoy a pour sa part préféré qualifier de « vacarme » ["algarabia"] la recrudescence de la revendication catalane et l'exigence du nouveau pacte fiscal: « ce n'est pas le moment de l'embrouille ["lio"]», a t-il commenté, soulignant des urgences plus pressantes telles l'éventualité d'une demande d'aide espagnole à Bruxelles ou la réussite de nouveaux emprunts. Il est tout de même difficile de l'éviter.
“Le pire, c'est de s'obstiner dans l'erreur“
20.09.2012AFP
Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy a appelé mercredi à l'unité nationale et à la "responsabilité" les dirigeants politiques de Catalogne, à la veille d'une réunion avec le président de la région Artur Mas qui réclame son indépendance budgétaire face à la crise.
"Le pire, c'est de s'obstiner dans l'erreur", a affirmé Mariano Rajoy devant les députés, à l'adresse des nationalistes du CiU qui dirigent la Catalogne, alors qu'Artur Mas a annoncé la signature d'une convention créant "un embryon" de ministère du Budget pour la région.
Fort d'une manifestation indépendantiste soutenue par les autorités régionales qui a réuni des centaines de milliers de personnes à Barcelone le 11 septembre, le président de Catalogne veut défendre son "pacte budgétaire" qui vise notamment à octroyer à la région la possibilité de lever elle-même l'impôt.
"Ce n'est pas le moment de générer plus de problèmes ni une instabilité politique", a martelé Mariano Rajoy qui tente de rassurer ses partenaires européens sur le redressement des comptes du pays.
"Nous, les représentants politiques, avons un plus de responsabilité", a affirmé M. Rajoy.
"Et si nous nous trompons ou nous allons trop loin, et si les choses nous échappent, nous ne devons pas nous laisser emporter par les évènements", a-t-il poursuivi, faisant allusion aux pressions des indépendantistes estimant que tout irait mieux sans lien avec l'Etat central.
Car, a ajouté le chef du gouvernement, la Catalogne "a beaucoup de problèmes, comme d'autres régions d'Espagne". Et "ce qu'elle ne peut pas faire, c'est rejeter la faute de tout ce qui se passe sur les autres ni générer de l'instabilité en prenant des décisions erronées", a-t-il estimé.
Mardi, une lettre ouverte du roi d'Espagne Juan Carlos affirmant que face à la situation difficile du pays, "le pire que nous puissions faire est de diviser les forces, d'accentuer les dissensions", a été interprétée comme un rappel à l'ordre de la Catalogne.