Plus d'un million de personnes ont manifesté ce dimanche 19 février à Madrid et dans 57 villes d'Espagne contre le programme d'austérité et la réforme du travail mis en place par le nouveau gouvernement de droite. Le gouvernement socialiste de Jozé Luis Zapatero avait déjà commencé à appliquer une politique de rigueur très poussée en 2010, et c'est aujourd'hui son successeur de droite qui l'accentue encore. Comment l'austérité se traduit-elle au quotidien en Espagne en ce début d'année 2012 ?
(mise à jour et photo : 19 février 2012)
S'il est très favorable au Parti Populaire, le vote de novembre dernier ne se fait pas pas pour autant dans la liesse. Les citoyens espagnols ne semblent plus croire à une issue économique favorable du pays dans un futur proche. L'élection législative a été simplement un moyen de faire savoir au premier ministre socialiste qu'il était usé et considéré comme responsable de la ruine des caisses de l'Etat ainsi que de l'explosion du chômage. Les indignés de la Puerta del Sol sont aussi passés par là, rejoints par de nombreux mouvements syndicaux qui dénoncent le poids de la rigueur entièrement porté par la population et qui assomme littéralement les classes populaires et la classe moyenne. Les témoignages sur les difficultés quotidiennes, terriblement accentuées par les différentes mesures de rigueur gouvernementales ou régionales sont très parlants : les espagnols vivent de plus en plus difficilement. Avec un salaire minimum de 641,40 euros toujours bloqué à 641,40 euros en 2012, le prix du ticket de métro à Barcelone est passé de 1,45 euros en 2011 à 2 euros en 2012, soit 38% d'augmentation. En comparaison, le métro parisien coûte 1,70 euros pour un salaire minimum de 1300 euros, le métro de New-York est à 1,83 euros pour 1500 euros de salaire minimum. Un jeune français vivant à Barcelone explique que "la situation est de plus en plus difficile, beaucoup de subventions et budgets de l'éducation, de la santé sont coupés : par exemple des garderies ferment, comme des centres d'urgence. Dans le même temps les subventions au Barca (le club de football de Barcelone, NDLR) ou aux grands médias sont conservées : les "retailladas" (coupures de budgets, NDLR) ne les concernent pas et la population commence à se plaindre de cette différence de traitement".
De mauvaises habitudes ? Aux Baléares, il faut désormais débourser 10 euros pour faire renouveler sa carte d'accès aux soins (l'équivalent de la carte vitale française) et la région de la Galice pense faire de même pour les cartes abimées ou perdues. Et l'on réfléchit à de nouvelles taxes alors que dans le même temps une grande partie de la population peine à boucler ses fins de mois. Mais l'Espagne s'est peut-être habituée à vivre largement au dessus de ses moyens depuis plus de 10 ans. C'est ce que pense Chantal, une jeune catalane de 29 ans qui vit à Paris depuis 2006 mais retourne très souvent à Barcelone et ses environs : "Il y a beaucoup de choses que les gens n'acceptent pas bien dans les nouvelles mesures, mais ils se sont habitués à avoir beaucoup d'avantages, comme ne pas payer le médecin dans les centres de soins publiques : maintenant il faut payer un euro. Dans la petite ville de 6000 habitants d'où est originaire ma famille, ils ont fermé le centre d'urgences, mais il y a un hôpital à 20 km. Pareil pour la gratuité totale des médicaments : les handicapés et les retraités y ont droit, mais ça pourrait changer." L'endettement des ménages est passé de 60% du revenu disponible brut en 1995 à 140% en 2007, ce que Chantal résume ainsi : "A partir des années Aznar (1996-2004), les gens avaient la sensation d'être riches, ils empruntaient aux banques pour partir tous les étés à Cancun, s'achetaient des très grosses voitures. Je me rappelle de jeunes de mon âge, la vingtaine, vers l'an 2000, qui se payaient une maison avec un crédit pour 40 ou 50 ans. C'était la période où les prix immobiliers commençaient à grimper, alors les gens achetaient en pensant qu'après ils pourraient revendre bien plus cher". Il y a comme un plongeon brutal dans la réalité qui s'opère aujourd'hui en Espagne, alors que José Luis Zapatero a promis monts et merveilles et laissé le pays dépenser bien plus qu'il ne pouvait se le permettre. Les tarifs des universités augmentent, les immeubles vides sont légions et les promoteurs se lamentent. La ruée vers le crédit facile, l'investissement immobilier sans limite ne sont plus d'actualité. La jeune femme conclut, un peu amère : "les gens ont vécu au dessus de leurs moyens toutes ces années. Les petits entrepreneurs s'achetaient des voiliers au lieu de réinvestir, on gagnait plus dans la construction en ayant arrêté l'école à 16 ans qu'en obtenant des diplômes universitaires. Ce noël, les vendeurs chassaient le client dans les galeries marchandes et proposaient des réductions de 30% si vous n'étiez pas tout de suite intéressée. Mais là, les gens n'achètent plus, ils reportent à plus tard. Il faut dire que les placards sont pleins avec tout ce qui a été acheté facilement toutes ces années. Mais en même temps on voit maintenant des immeubles où des gens vivent qui n'ont plus d'électricité".
Reportage sur la crise économique et l'effondrement de la bulle spéculative immobilière espagnole
D'une rigueur à l'autre...
Le socialiste Zapatero aura bataillé un an et demi pour tenter de réduire le déficit avant de s'incliner dans les urnes face au conservateur Rajoy en novembre 2011. Les presque 5 millions de chômeurs, les résultats très mitigés des mesures pour diminuer la dette ont précipité les électeurs vers le Parti Populaire de droite après 7 ans de gouvernement socialiste. La rigueur de Zapatero avait imposé en 2010 une baisse de 5% du salaire des fonctionnaires, le gel des retraites ou encore le recul de l'âge de la retraite de 65 à 67 ans. Les régions (autonomes en Espagne), ont quant à elle taillé dans les budgets de l'éducation et de la santé, l'année suivante, en 2011. Mais le successeur du socialiste n'a pas promis autre chose qu'une nouvelle austérité : coupe budgétaire de 8,9 milliards d'euros (touchant les différents départements ministériels), gel du salaire minimum, réduction de 20% des subventions accordées aux organisations patronales, aux partis politiques et aux syndicats et augmentation des impôts (étalée sur les deux prochaines années). L'objectif déclaré est d'amener le déficit de 8% du PIB en 2011 à 3% le plus rapidement possible.