Espagne : le Premier ministre Sanchez mis en difficulté par sa décision sur le Sahara occidental

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez va devoir expliquer la semaine prochaine devant les députés sa décision de soutenir la proposition d’autonomie du Maroc du territoire du Sahara occidental.
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Pedro Sanchez
le premier ministre espagnol Pedro Sanchez, le 18 mars 2022 à Berlin.
© Filip Singer/Pool via AP
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L'Espagne a opéré le 18 mars un changement de position radical sur son ex-colonie en se prononçant pour la première fois publiquement en faveur de la proposition d'autonomie du Maroc, alors qu'elle avait toujours prôné la neutralité.

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Ce geste doit mettre fin à une crise diplomatique majeure causée par l'accueil en Espagne en avril du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, pour y être soigné du Covid.

Cette brouille avait entraîné l'arrivée mi-mai de plus de 10.000 migrants dans l'enclave espagnole de Ceuta, à la faveur d'un relâchement des contrôles côté marocain. Rappelée alors par Rabat, l'ambassadrice marocaine en Espagne a fait son retour le 20 mars.

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Le conflit du Sahara occidental, considéré comme un "territoire non autonome" par l'ONU, oppose depuis des décennies le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.

Attaqué par Podemos

Rabat, qui contrôle près de 80% de ce territoire, propose un plan d'autonomie sous sa souveraineté tandis que le Polisario réclame un référendum d'autodétermination.

Ce virage diplomatique de Pedro Sanchez a été attaqué de toutes parts en Espagne et en particulier par la gauche radicale de Podemos, alliée des socialistes au sein de la coalition au pouvoir et favorable à l'autodétermination des Sahraouis.

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Devant la presse, la porte-parole du gouvernement Isabel Rodriguez a de nouveau défendu l'accord avec Rabat qui permet "de mettre fin à une crise politique entre les deux pays". "Nous travaillions depuis des mois" sur cet accord qui est "une bonne nouvelle pour notre pays", a-t-elle affirmé.

Intervenant au Sénat, le ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares a assuré pour sa part que "la position de l'Espagne était similaire à celle de la France et de l'Allemagne".

"Il y a deux possibilités" dans ce dossier, a-t-il dit. "Parler, parler ou contribuer à résoudre un conflit qui dure depuis 46 ans, et c'est ce que veut faire le gouvernement espagnol", s'est-il défendu.

Une cause nationale au Maroc

En contrepartie de son virage sur le Sahara, cause nationale au Maroc, Madrid assure pouvoir compter sur une "coopération totale" de Rabat dans "la gestion des flux migratoires", motif central de cet accord.

"L'Espagne sait par expérience que quand les relations avec le Maroc sont bonnes, les arrivées de migrants diminuent drastiquement", souligne Eduard Soler, expert de l'Afrique du Nord au Centre des Affaires internationales de Barcelone.

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Mais "les garanties que l'Espagne a pu avoir sur le contrôle des flux migratoires ne peuvent pas être tenus pour acquises", met en garde Irene Fernandez Molina, professeure de relations internationales à l'université britannique d'Exeter.

Le gouvernement espagnol estime aussi que l'accord avec Rabat permettra de garantir son "intégrité territoriale". Une référence implicite aux enclaves de Ceuta et Melilla, revendiquées par le Maroc qui pourrait donc mettre un temps en sourdine ses prétentions.

Reste que le timing et la méthode de l'annonce de la position espagnole par Rabat, contraire aux usages diplomatiques, posent question. 

"Cela donne l'impression que le palais royal (marocain) a probablement anticipé" une communication sans en avertir l'Espagne "avec certaines intentions", note Isaias Barreñada, professeur de relations internationales à l'Université Complutense de Madrid.

Dépendance du gaz d'Algérie

Ce changement de position de Madrid a rendu furieux Alger qui a rappelé le 19 mars son ambassadeur à Madrid.


L'accord avec Rabat "n'affecte en rien la relation avec d'autres pays, l'Algérie est aussi pour nous un partenaire solide, stratégique et prioritaire et un fournisseur d'énergie fiable", a assuré Isabel Rodriguez.

L'Algerie est un des principaux fournisseurs de gaz de l'Espagne, ce qui met Madrid à la merci de représailles, en pleine flambée des prix de l'énergie accentuée par la guerre en Ukraine.

Professeur à l'école de commerce Esade, Enric Bartlett Castellà juge néanmoins "peu probable" qu'Alger réduise ou coupe son robinet, "vu le niveau actuel des prix" et car "le respect des contrats signés est une garantie importante" de la crédibilité d'un fournisseur.

Mais, l'Algérie pourrait en revanche revoir à moyen terme son partenariat avec Madrid et réserver ses surplus de production à d'autres pays, met-il en garde. Ce qui obligerait l'Espagne à chercher d'autres fournisseurs, plus lointains et donc plus onéreux.

"L'Algérie est un allié très important pour l'Espagne, qui apporte de la stabilité dans sa fourniture en gaz et va continuer à le faire dans le futur", a voulu rassurer le 21 mars la ministre espagnole de l'Économie, Nadia Calviño.

L'Espagne a toutefois réduit récemment sa dépendance au gaz algérien via des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) à cause de la mise à l'arrêt par Alger d'un gazoduc passant par le Maroc, sur fond de crise entre les deux pays du Maghreb.

"Auparavant, près de 50% du gaz espagnol venait d'Algérie. Mais en janvier, Washington est devenu le premier fournisseur de l'Espagne, avec 30% de ses importations, contre 28% pour Alger", souligne Gonzalo Escribano, chercheur à l'institut Elcano de Madrid.