Le bilan, toujours provisoire, des inondations qui ont ravagé cette semaine le sud-est de l'Espagne s'établit désormais à 158 morts, selon les services de secours. Plus 1.200 militaires sont déployés sur le terrain, aux côtés de pompiers, policiers et secouristes pour localiser d'éventuels rescapés et déblayer les zones sinistrées.
Ce 31 octobre, dans les rues de Valence, Espagne.
Le Premier ministre Pedro Sánchez, qui a déclaré trois jours de deuil national, est arrivé dans la matinée à Valence, où il a rendu visite au Centre de coordination des secours (Cecopi).
Voir Espagne : plus de 150 morts dans les inondations
Comme l'avait fait le roi Felipe VI peu de temps auparavant à Madrid, Pedro Sánchez a souligné avec force que l'épisode de mauvais temps à l'origine de ces inondations "continue" et a appelé tous les gens vivant dans les régions concernées à faire preuve de la plus extrême vigilance.
"La priorité actuellement est de retrouver les victimes" encore ensevelies sous les décombres "et les disparus", a-t-il déclaré. "Le plus important est que les citoyens soient conscients que (l'épisode de mauvais temps) n'est pas terminé", a-t-il dit, appelant les habitants de la province de Valence et à celle de Castellón, située juste au nord, à "rester chez eux, à ne pas sortir" et à se conformer aux messages des services d'urgence.
Sur 158 victimes, 155 ont été enregistrées dans la seule région de Valence, la plus durement frappée, deux autres décès ayant eu lieu dans la région voisine de Castille-La Manche et un en Andalousie. Le communiqué ne précise pas le nombre de personnes qui sont encore portées disparues.
Des policiers de Valence se réconfortent après avoir appris la mort d'un de leurs collègues dans les inondations, ce 31 octobre.
Ce chiffre, le plus élevé depuis des inondations qui avaient fait 300 morts en octobre 1973, "va augmenter", parce qu'il y a encore "de nombreux disparus", avait prévenu le 30 octobre au soir le ministre de la Politique territoriale, Ángel Víctor Torres. "
Aujourd'hui, la priorité est la recherche des disparus", insiste la ministre de la Défense, Margarita Robles. "Nous savons qu'il y a des endroits (...) où il peut y avoir des gens dans les garages, dans les sous-sols, des gens qui sont allés chercher leurs véhicules", a-t-elle dit.
Des dizaines de voitures empilées dans une rue de Valence, le 31 octobre 2024.
Selon les autorités, des milliers de personnes sont toujours privées d'électricité dans la région. De nombreuses routes restent par ailleurs coupées, alors que d'innombrables carcasses de voitures jonchent les routes, couvertes de boue et de débris.
"Je n'aurais jamais pensé vivre ça", a confié à l'AFP Eliu Sanchez, habitant de Sedavi, commune de 10.000 habitants dans la banlieue de Valence qui a été dévastée par des torrents d'eau et de boue, racontant une nuit de cauchemar. "Nous avons vu un jeune homme dans un terrain vague réfugié sur le toit de sa voiture", raconte cet électricien de 32 ans. "Il a essayé de sauter" sur un autre véhicule, mais le courant "l'a emporté", lâche-t-il.
Selon les autorités, la localité la plus touchée est Paiporta, dans la banlieue sud de Valence, où une quarantaine de personnes ont trouvé la mort, dont une mère et son bébé de trois mois emportés par le courant.
Le président de la région de Valence, Carlos Mazón, qui a annoncé une aide d'urgence de 250 millions d'euros, a indiqué que les services d'urgence avaient effectué dans la journée "200 opérations de sauvetage terrestres et 70 aériennes" avec des hélicoptères. Il a, par ailleurs, précisé que les secours étaient parvenus à se rendre dans l'ensemble des zones affectées, alors que plusieurs villages étaient restés coupés du reste du pays une bonne partie de la journée de mercredi.
Les trains à grande vitesse entre Madrid et Valence, suspendus depuis le 30 octobre, le resteront au moins pour "deux à trois semaines", selon le ministère des Transports, Óscar Puente.
La Cathédrale d'El Pilar, à Saragosse, dans le nord de l'Espagne, les pieds dans l'eau après que l'Ebre soit sortie de son lit après des pluies torrentielles en décembre 2021.
D'après l'agence météorologique espagnole (Aemet), il est tombé dans certaines localités l'équivalent "d'une année de précipitations", en quelques heures seulement. A Chiva, à l'ouest de Valence, l'agence a ainsi relevé pas moins de 491 litres de pluie par mètre carré (49,1 cm).
Ce déluge - lié à un phénomène de "goutte froide", une dépression isolée en altitude assez fréquente à cette époque de l'année - a été tel qu'il a fait sortir de leur lit plusieurs rivières et entraîné la formation subite d'énormes torrents de boue.
Un cocktail "dramatique", selon Jorge Olcina, professeur de climatologie à l'université d'Alicante, qui lie cet événement au "réchauffement climatique". Quand elles atteignent une telle ampleur, les gouttes froides peuvent avoir des effets "très similaires" à ceux d'un "ouragan", insiste ce chercheur.
Le réservoir de Sau, près de Barcelone, complètement asséché ce 22 janvier 2024.
La violence des inondations s'explique aussi par la présence de sols secs dans les zones affectées, l'Espagne ayant connu ces deux dernières années des sécheresses intenses. Cela a favorisé un phénomène de ruissellement, la terre se montrant incapable d'absorber toute cette eau. Par ailleurs, la région de Valence, la plus touchée par les inondations, se caractérise par de nombreuses zones artificialisées, où les espaces naturels ont cédé la place au béton, totalement imperméable. Il y a eu "une urbanisation incontrôlée et mal adaptée aux caractéristiques naturelles du territoire" ces dernières années, qui aujourd'hui "amplifie" les risques, souligne Pablo Aznar, chercheur à l'Observatoire socioéconomique des inondations et de la sécheresse (OBSIS).
Les précipitations sont tombées sur des zones fortement peuplées et ont donc affecté mécaniquement un grand nombre de personnes. L'aire métropolitaine de Valence (sud-est), où ont eu lieu la très grande majorité des décès, compte ainsi 1,87 million d'habitants. Il s'agit de la troisième plus grande ville d'Espagne. La densité urbaine "est un facteur très important" pour expliquer l'impact de ces inondations, souligne Pablo Aznar, pour qui la préparation des villes aux catastrophes climatiques constitue un "défi" pour les autorités.
Des voitures empilées par la force de l'eau à Paiporta, près de Valence, le 30 octobre 2024.
Un facteur aggravant a joué sur le bilan terrible de ces intempéries : l'heure à laquelle elles ont eu lieu. Le gros de la pluie est, en effet, tombé en fin de journée, à un moment où beaucoup d'habitants se trouvaient sur la route.
Selon les autorités, de nombreuses victimes sont ainsi mortes dans leur voiture, surprises par la montée des eaux alors qu'elles rentraient chez elles, ou dans la rue, après avoir tenté de grimper aux arbres ou bien aux lampadaires.
Une situation qui aurait pu être évitée si ces personnes avaient été mises en garde en temps et en heure pour leur permettre de rentrer plus tôt chez elles, selon Hannah Cloke, professeure d'hydrologie à l'université de Reading (Royaume-Uni).
Exemple de message d'alerte lors des inondations à Madrid, le 3 septembre 2023.
L'Aemet avait émis dès le 29 octobre matin une "alerte rouge" pour la région de Valence, appelant à une "grande prudence" face à un danger "extrême". Mais le service de Protection civile n'a envoyé qu'après 20H00 son message d'alerte téléphonique invitant les habitants à ne pas sortir de chez eux.
Le manque de prudence de certains habitants est aussi mis en cause : plusieurs ont ainsi admis être sortis malgré l'alerte, expliquant n'avoir pas pris conscience de la gravité de la situation, en évoquant des alertes trop fréquentes. "Il y a eu des ratés dans la communication", mais il y a sans doute une "responsabilité partagée", estime Pablo Aznar, qui pointe un problème dans la "culture du risque" espagnole. "La mentalité collective n'est pas encore suffisamment adaptée aux nouveaux phénomènes extrêmes", insiste-t-il.
Une analyse partagée par Jorge Olcina, de l'université d'Alicante : "nous allons devoir faire beaucoup plus pour améliorer l'éducation au risque dans les écoles, mais aussi pour l'ensemble de la population, afin qu'elle sache comment agir en cas de risque immédiat".