Espagne : les socialistes au bord du gouffre, la droite près du pouvoir

Après la démission psychodramatique de son président Pedro Sanchez, le Parti socialiste espagnol (PSOE) doit décider ces jours-ci s’il laisse le champ libre à un gouvernement de son ennemi, le Premier ministre sortant de droite Mariano Rajoy. Une issue possible à la crise institutionnelle qui laisse le royaume depuis près d’un an sans gouvernement. Le malaise politique reste entier.
Image
PS
Manifestation contre une alliance "passive" des socialistes avec la droite devant le siège du PSOE le 1er octobre 2016.
(AP Photo/Francisco Seco)
Partager6 minutes de lecture
Basculement, victoire pour la droite, désastre historique socialiste pour la gauche, sortie de crise : les superlatifs ne manquent pas aux commentateurs pour qualifier la situation née de la démission lundi de Pedro Sanchez, président du PSOE (Parti socialiste espagnol). Fruit d'une tempête interne d'appareil, celle-ci peut en effet contribuer à contourner l'impasse institutionnelle qui perdure depuis près d'un an et faire gagner par K.O. une droite discréditée. Le malaise de l’Espagne ne s’en trouve pas soulagé, exprimé deux fois dans les urnes qui ont désavoué la classe politique et les traditionnels partages de pouvoir.

Rappel de la crise espagnole

En décembre 2015, les élections législatives espagnoles se traduisent par un succès apparent de la droite, en tête en nombre de sièges.Victoire à la Pyrrhus, en fait, de son conservateur Parti populaire (PP) qui ne retrouve pas sa majorité absolue. Quatre forces émergent des urnes,  de poids comparables : les deux partis de gouvernements traditionnels adverses, PSOE et PP mais aussi, confirmées à un niveau proche, deux intrus en pleine ascension, Podemos (gauche radicale issue des mouvements de rue des indignés) et Ciudadanos (mouvement citoyen anti-corruption de centre droit).

 
Pod
Une réunion de Podemos en juin 2016.
(AP Photo/Francisco Seco)
Un séisme après quarante ans de bipartisme consacrant l'alternance au pouvoir du PSOE et du PP. Mais aussi l'irruption d'un casse tête institutionnel : traduits en nombre de sièges au parlement, aucun parti ne peut gouverner seul, ni même avec le renfort d'une seule alliance, insuffisante pour dégager une majorité absolue. La droite, en d'autres termes ne peut former de gouvernement, même avec Ciudadanos, sans l'absolution de la la gauche, qui lui est refusée, et inversement. L'union même « contre nature » – préconisée par certains - des deux grands partis adverses (PSOE et PP) ne donnerait pas de majorité au Parlement. Elle poserait, en outre, un problème délicat au PSOE dont l'une des causes majeures de défaite est imputée à ses « trahisons ».

La ronde électorale

Cramponné au pouvoir mais réduit à l'expédition des affaires courantes, Mariano Rajoy voit échouer toutes ses tentatives de coalition. La gauche ne réussit guère mieux son assemblage. Elle pourrait éventuellement gouverner avec l'appoint de forces nationalistes catalanes mais, si Podemos accepte le principe d'une consultation sur l'autodétermination, le PSOE s'y refuse fermement, au nom de l'unité indissoluble du royaume.

Après six mois de vaines palabres, l'Espagne retourne en juin 2016 aux urnes, sans que cela change grand-chose. Rajoy et son PP y regagnent quelques sièges mais demeurent sans majorité ; le PSOE sauve sa prééminence à gauche sur Podemos sans progresser. Les nombres ont changé ; l'équation reste la même, insoluble. Asi pasan las dias… et l'été, sans gouvernement.
man
Manifestation à Madrid contre l'austérité en 2012.
(AP Photo/Andres Kudacki)

Le dilemme socialiste

C'est au sein du PSOE que le vent souffle le plus fort. Longtemps au pouvoir (sous Felipe Gonzalez puis, de 2004 à 2011 sous Jose Luis Zapatero) celui-ci s'est trouvé lourdement discrédité à gauche de ses choix libéraux et austéritaires, opérés sous couvert de crise économique. Chassé en 2011 par la victoire des conservateurs, il a perdu la confiance de son électorat populaire traditionnel. Malgré sa cure d'opposition, les derniers scrutins le voient ravalé à près de 20 %, deux fois moins que naguère, presque rattrapé par un Podemos né un an plus tôt. Une catastrophe historique.

Il s'y débat dans un dilemme insoluble. Poursuivre une compromission à droite - fut-ce par abstention -, c'est courir le risque d'une sanction bien pire à la prochaine échéance électorale (qui peut être proche) et faire le lit de Podemos. La refuser et camper à gauche sans majorité de rechange crédible, c'est risquer de se faire taxer d'irresponsabilité. C'est pourtant cette seconde ligne que tente de tenir son président désigné en juin 2014, Pedro Sanchez, contre une partie des siens.

Face aux impatiences croissantes, il annonce son intention de la faire valider par les militants le 23 octobre. Un appel au peuple à la manière du travailliste britannique Jeremy Corbyn, qui fait s’étrangler les caciques. Pire : Sanchez, brisant un tabou, pourrait comme solution proposer au congrès d’inclure les nationalistes dans une alliance pour le « changement ». Ses adversaires ne lui en laissent pas le temps.

Que s'est-il passé ce week end à la tête du PSOE ?

Outrée par ce soupçon de complaisance pour les indépendantistes et d’une façon générale exaspérée par cette « gauchisation » susceptible à ses yeux d'éloigner durablement le PSOE du pouvoir, une aile droite du Parti souhaite depuis un moment laisser Rajoy gouverner. Elle se trouve renforcée le 25 septembre par une défaite du PSOE à des élections locales qui, sans rien changer à la donne parlementaire, apparaissent comme un nouveau revers pour Pedro Sanchez.

 
PSA
Pedro Sanchez après sa démission, le 1er octobre 2016.
(AP Photo/Francisco Seco)
C’est la figure titulaire du socialisme espagnol post-franquiste Felipe Gonzales qui sonne la charge le 28 septembre en déclarant dans une tribune « se sentir trahi » par son successeur. Dix-sept membres de la direction nationale annoncent leur démission pour forcer son départ. Il s’y refuse mais deux jours plus tard, le Comité central du PSOE réuni à huis clos le met en minorité par 132 voix contre 107 (sur 300 membres), à l'issue d'une séance houleuse, officiellement sur la question de l'appel au congrès. Sanchez, enfin, se retire. Il est remplacé par une direction intérimaire en attendant l'organisation d'un congrès extraordinaire.

Fin de partie ?

D'ici-là, et dès le week-end des 8 et 9 octobre, la direction fédérale du Parti devra décider si elle maintient ou non son veto à Rajoy. La logique penche pour la reddition puisque c'est pour elle, en réalité, qu'est tombée la tête de Sanchez. Mais le malaise sera profond au sein du vieux PSOE et les partisans de la ligne rejetée n'ont pas dit leur dernier mot. Au sein même du comité fédéral, les anti-Sanchez n'ont emporté leur vote fatidique qu'avec une majorité relative (45 % des voix).

Un triomphe pour la droite ?

Sa mise à l’écart rapproche en tout cas singulièrement Rajoy de l'investiture et, dans toutes les hypothèses, marque un affaiblissement inespéré de son principal adversaire, dévasté par la division.

 
MR
Mariano Rajoy en août 2016.
(AP Photo/Francisco Seco)
Peu porté à la modestie et renforcé le 3 octobre par un sondage favorable, le Premier ministre sortant a même songé à exiger des socialistes mieux qu’un soutien passif : le vote de son budget. C’est réclamer, comme dans les corridas, les oreilles et la queue du taureau vaincu et il a démenti cette prétention. Il n'en reste pas moins qu'il se trouve cette fois en position de force. Une impasse parlementaire qui se prolongerait jusqu'au 31 octobre déclencherait mécaniquement de nouvelles élections. Et celles-ci, dans son état, ont toutes les chances d'être une tuerie pour le PSOE.

En dépit de sa posture victorieuse, la position de Rajoy, s ’il obtient enfin son investiture, ne sera pas des plus confortables. Acquise à la fois dans le sang et par lassitude, sa majorité sera fragile pour gouverner et imposer – comme l’exige Bruxelles – de nouvelles lois d’austérité. Malgré ses très relatives embellies électorales, son parti reste bien loin de sa domination passée (jusqu’à 45 % des voix dans la précédente législature). Dirigeant le PSOE par intérim, Javier Fernandez a averti que si son parti pouvait "consentir ou non" à l'investiture, il ne pouvait pas garantir la stabilité.

Son discrédit, surtout, reste si l’on peut dire intact. Cette semaine s’est ouvert à Madrid ce que la presse espagnole nomme « le procès de l’année ». Douze dirigeants du PP, très proche de Mariano Rajoy, y comparaissent pour participation à un vaste réseau de corruption. Au menu : pots de vin, fausses factures, comptes en Suisse... Il est de meilleurs auspices pour débuter une ère nouvelle.