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Espagne : Pedro Sanchez, nouveau chef du gouvernement, socialiste revenu de loin

Au pouvoir depuis 2011, le conservateur Mariano Rajoy a été renversé par le socialiste Pedro Sanchez qui devient chef du gouvernement, après sa motion de censure qui s'est révélée gagnante. Retour sur le parcours du "beau gosse", revenu d'entre les morts de la politique espagnole.

On le croyait mort. Politiquement, s’entend. Et son parti aussi. Si l'on cherche un parallèle en Europe, sa trajectoire fait penser à celle d'un Corbyn, leader travailliste britannique "gauchiste" vomi par l'establishment et ressuscité par la base… ou peut-être d'un Benoît Hamon qui aurait réussi.

Pour comprendre l’ampleur de la remontada du nouveau chef du gouvernement espagnol, il faut revenir à sa chute en 2015, qui a beaucoup fait rire, en son temps, les vaincus d'aujourd'hui.

Nouvelle donne

L'Espagne est alors dirigée depuis 2011 par le très conservateur-libéral Parti Populaire (PP), sous la férule de Mariano Rajoy.

Discrédité dans son électorat par sa gestion très austéritaire de la crise sous le gouvernement de Jose Luis Zapatero, le vieux PSOE (parti socialiste) n’est plus, en face, que l’ombre de ce qu’il fut.

Conduit depuis un an par un fringant (on le surnomme "guapo", le "beau mec") mais peu charismatique chef, Pedro Sanchez, 42 ans, il est assailli à sa gauche, par le nouveau Podemos – né un peu plus tôt du mouvement de rue des « indignés ».

C.V...Né le 29 février 1972 à Madrid, Sanchez a grandi dans une famille aisée, auprès d'un père entrepreneur et d'une mère fonctionnaire.

Il a étudié l'économie dans la capitale espagnole avant de décrocher un master d'économie politique de l'Université libre de Bruxelles.

Conseiller municipal à Madrid de 2004 à 2009, il devient député en 2009 à la suite de la démission du titulaire du siège, avant de connaître une ascension fulgurante.

Propulsé en 2014 à la tête d'un PSOE affaibli à la faveur des premières primaires de l'histoire du parti.

En décembre 2015, des élections législatives placent en tête le Parti Populaire. Victoire très relative. Faute de majorité, il ne peut former un gouvernement. Cramponné au pouvoir mais réduit à l'expédition des affaires courantes, Mariano Rajoy voit échouer toutes ses tentatives de coalition.

La gauche ne réussit guère mieux ses tentatives  d'assemblage. Elle pourrait éventuellement trouver une majorité avec l'appoint de nationalistes catalans mais, si Podemos accepte le principe d'une consultation sur l'autodétermination, le PSOE s'y refuse au nom de l'unité indissoluble du royaume.

Ronde

Après six mois de vaines palabres, l'Espagne retourne en juin 2016 aux urnes, sans que cela change grand-chose. Rajoy et son PP y regagnent quelques sièges mais demeurent sans majorité ; le PSOE sauve sa prééminence à gauche sur Podemos sans progresser. Les nombres ont changé ; l'équation reste la même, insoluble. Asi pasan las dias… et les mois, sans gouvernement.

Seule l’abstention des socialistes pourrait ouvrir aux conservateurs la voie du pouvoir. A leur tête, sur une ligne désormais plus à gauche, Pedro Sanchez s’y oppose fermement, malgré la pression de son aile droite.

Golpe, et revanche

Les caciques du parti en tête- dont les historiques Felipe Gonzales et Jose Luis Zapatero - et soutenue par une campagne de presse, celle-ci passe à l'offensive.

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Pedro Sanchez après son éviction de la direction du PSOE, le 30 septembre 2016
(AP Photo/Francisco Seco)

Au terme d’un comité central très shakespearien, elle arrache  en septembre 2016 la démission de Sanchez. Une direction provisoire du PSOE favorable à la reddition est nommée, dirigée par l'Andalouse Susana Diaz. Rajoy obtient enfin son investiture par abstention socialiste.

Sanchez et ses partisans, pourtant, ne s'avouent pas vaincus. Ils font appel à la base du PSOE qui, contre tous les pronostics et souhaits de la classe politique et des médias, soutient le dirigeant déchu.

En mai 2017, un scrutin des militants donne la victoire à Pedro Sanchez, et lui rend la direction du parti. « Le virus du populisme a gagné une nouvelle bataille », se plaint un président socialiste de région.  Le pouvoir de Rajoy, en tout cas, s'en trouve fragilisé, avec une majorité parlementaire plus précaire que jamais.

Pourissements

Usé par son premier mandat, affaibli par ses contre-performances électorales et par la longue crise politique, le chef du gouvernement de droite l'est aussi par une série d'affaires politico-judiciaires dans lesquelles se trouve déjà englué son parti. Quinze ans au moins de corruptions et malversations à grande échelle, impliquant le PP à son plus haut niveau, et Rajoy lui-même.

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Mariano Rajoy, déposant devant la Haute Cour le 26 juillet 2017
(AP Photo/Francisco Seco)

Son gouvernement, dans le même temps, se trouve confronté au défi catalan.  Si les grands partis espagnols - sauf Podemos plus nuancé - s'accordent à condamner l'initiative indépendantiste, la crise n'en atteint pas moins le pouvoir accusé tantôt de trop de brutalité, tantôt de pas assez, ou de maladresses.

Aux élections régionales anticipées de décembre 2017, le Parti populaire s'effondre en Catalogne au profit du centre-droit Ciudadanos. L'irrédentisme catalan est contenu mais nullement apaisé.

Facture

L'affaire d'Etat judiciaire, elle, trouve cette semaine une (première) conclusion retentissante : vingt-neuf personnes condamnées pour corruption, détournements de fonds publics ou encore blanchiment d'argent. 351 années de prison distribuées aux prévenus, parmi lesquels d'anciens responsables du PP. 33 ans pour son ancien trésorier Luis Barcenas. Fin de manche pour Rajoy.

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Mariano Rajoy lors du débat parlementaire le 31 mai 2018
(AP Photo/Francisco Seco)

Humiliation ultime : c'est ce Pedro Sanchez qu'il avait tant méprisé deux ans plus tôt qui lui porte le coup de grâce. "Votre isolement, Monsieur Rajoy, constitue l'épitaphe d'une période politique, la vôtre, qui est déjà finie", a-t-il lancé jeudi au parlement.

C'est aussi lui qui le remplace. Le PSOE  ayant déposé la motion de censure fatale à laquelle s'est finalement ralliée une majorité, son chef, selon la constitution espagnole, forme en cas de succès le nouveau gouvernement.

Fragilités

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Les Cortes, l'assemblée élue en 2016
(Wikipedia)

Les commentateurs, qui se sont jusqu'à présent presque toujours trompés, ne lui prédisent pas une grande longévité.

Le PSOE ne dispose que de  84 députés sur 350. Il est condamné  à s'appuyer sur un rassemblement hétéroclite : Podemos (80 députés) mais aussi, plus instables, des partis nationalistes basques et catalans qui marchanderont dûment leur soutien.

Par ailleurs, ni les socialistes, ni leurs alliés ne souhaitent d'élections législatives anticipées (l'échéance normale est fin 2020) qui, selon les sondages, seraient aujourd'hui très favorables au parti de droite en pleine ascension, Ciudadanos.

Aussi les analystes prêtent-ils à l'équipe de Sanchez l'intention de mettre rapidement en oeuvre des réformes sociales  pour aborder le prochain scrutin en position favorable.

Destin ?

Peu disposés à rien lui passer, ses ennemis ont, en tout cas, déjà trouvé un nom à la nouvelle coalition : la "majorité Frankenstein". Faite d'un assemblage de cadavres et venue des ténèbres, pour vite y retourner.

Mais au Portugal voisin, une coalition non moins hétéroclite avait été, en 2015, affublée d'un sobriquet tout aussi ironique: la "gericonça" (traduction approximative : "le machin"). Près de trois ans plus tard, son gouvernement est toujours au pouvoir. Il y accomplit l'une des plus originales réussites européennes.