L'héritier mâle La légende veut que son père, Juan Carlos, se soit évanoui à sa naissance : enfin un hériter masculin, et donc un futur roi ! Le 30 janvier 1968, Félipe de Bourbon occupait le berceau royal après ses deux sœurs : les infantes Elena en 1963 et Cristina en 1965. La Constitution espagnole donnant la préférence aux héritiers mâles, l’enfant est donc logiquement élevé dans un unique objectif : devenir roi d’Espagne et assurer la succession de son père. C’est désormais chose faite, après l’annonce de l’abdication ce lundi. Mais le chemin pour retrouver le cœur de ses sujets ne sera pas de tout repos : le soutien populaire à la monarchie est terriblement anémié suite à une série de scandales, et le nouveau roi devra, surtout, assurer la continuité d'une monarchie parlementaire instaurée progressivement avec l'arrivée sur le trône en 1975 de Juan Carlos. En janvier dernier, dans un édito très vif, le journal
El Siglo de Europa (Madrid) avançait quelques pistes pour redorer le blason royal : "Il faut réinventer la Couronne. Il faut dégager le plus grand charisme possible. Il faut changer ostensiblement une institution qui échappe au verdict des urnes. De fait, Felipe devra être le roi des pauvres et des plus faibles, sans oublier bien sûr la classe moyenne. Il devra garder le contact avec les gens simples, mais aussi rester en prise avec les grands entrepreneurs et les plus riches". Le ton est donné. Et pour mener à bien l'écrasante tâche qui lui incombe désormais, Felipe de Bourbon a quelques atouts.
Premier discours à 9 ans Felipe de Bourbon jouit tout d'abord d'une vraie popularité en Espagne ; son image est celle d'un homme honnête et discret.... sans être celle d'un homme effacé. Le quotidien de Madrid observe : "Le prince des Asturies, premier héritier à avoir fait des études universitaires, a représenté l'Espagne à maintes reprises à l'étranger, notamment en Amérique latine ; il a voyagé, s'est intéressé aux problèmes de toutes les régions autonomes du pays (il y en a 17) ; il préside au nom du chef de l’État les cérémonies militaires et culturelles et, plus important encore, il est présent – ce qui paraît indispensable à son père – chaque fois qu'il s'agit de souligner la proximité de l'institution avec les citoyens". Et le jeune homme a quelque expérience en la matière. C'est à neuf ans, en 1977, que Felipe est nommé prince des Asturies, et le garçon, encore blondinet, prononce son premier discours devant le Parlement. Quatre ans plus tard, il prend sa première grande leçon, lors de la tentative de coup d’État du colonel Antonio Tejero, le 23 février 1981, qui sacralisera le roi comme bouclier de la démocratie espagnole. Son père, soucieux déjà de la relève, veut le jeune garçon à ses côtés le plus souvent possible. "Il voulait qu'il soit dans son bureau, avec lui, pour le voir agir", a expliqué la reine Sofia à la journaliste Pilar Urbano, des propos recueillis dans son livre "La Reina". De 1985 à 1988, Felipe fréquente les écoles militaires des trois armées. Il fait aussi des études de droit à l'université autonome de Madrid et passe un master de relations internationales à l'université de Georgetown, à Washington. Pilote d'hélicoptère, il parle couramment plusieurs langues, dont l’anglais et le français, mais aussi le catalan, et se révèle un sportif accompli : amateur de football, Felipe a participé aux jeux Olympiques de Barcelone en 1992 au sein de l'équipe espagnole de voile. Enfin, Felipe, longtemps, fut l'un des héritiers les plus convoités d'Espagne. Et il n'a pas toujours eu cette image d'homme apaisé, bon mari, depuis son union avec Letizia Ortiz, et bon père de famille avec ses deux filles Léonor (née en 2005) et Sofia (née en 2007)...
La mannequin, la journaliste et la lourde charge Cette image lisse pour papier glacé de magazines grand public fut plusieurs fois écornée. En mai 2001, la relation du prince Felipe avec une mannequin, la Norvégienne Eva Sannum, fait couler beaucoup d'encre et provoque même un sérieux malaise chez les monarchistes pur sucre : comment donc, une Norvégienne pourrait devenir un jour reine d'Espagne ? Inadmissible ! Et de rappeler qu'en cas de décès prématuré du prince Felipe, sa future épouse serait appelée à assurer la régence jusqu'à la majorité de son fils. Et de faire pleuvoir quelques aimables objections : seule une aristocrate ou une princesse "serait par essence plus apte à être reine qu'une mannequin, fille de parents divorcés". L'affaire s'emballe et retombe peu à peu jusqu'au rebondissement ultime, qui donne cette fois de vraies sueurs froides aux gardiens de la Couronne : la liaison de Felipe avec Letizia Ortiz, roturière, journaliste, fille, nièce et petite-fille de journaliste.... et divorcée. Une grande première dans l'histoire de la monarchie espagnole. A 31 ans, Letizia présente le journal de 21 heures, et cela fait d'elle l'un des visages les plus connus de la télévision publique espagnole. Le quotidien El Mundo se réjoui de cette nouvelle liaison d'un ton aigre-doux : "Elle est la première Espagnole à devenir reine après trois étrangères successives" ! En 2007, Le ton sera autrement plus acide dans l'hebdomadaire satirique El Jueves, où un dessin représentera l'héritier du trône d'Espagne et son épouse se livrant à des ébats sexuels. Et les commentaires qui habilleront l'article exprimeront une charge inédite contre la famille royale. Dans le numéro, le prince des Asturies est accusé de ne pas travailler : sa vie est à des années-lumière de celle des Espagnols, il n'a pas encore fait la preuve de sa valeur, il évolue dans un cercle de "fils de", etc. L’hebdomadaire sera retiré de la vente. Mais au sein de la maison royale, longtemps, la famille se posera la question : s’agit-il de l'expression de "mauvais plaisantins" ou ces propos traduisent-ils de vraies interrogations populaires ? Lors de son discours d'abdication, ce lundi matin, Juan Carlos a précisé : "La longue et profonde crise économique que nous subissons a laissé de profondes cicatrices dans le tissu social, mais elle nous montre également un chemin vers un avenir rempli d'espoir. (...) Mon fils Felipe incarne la stabilité, qui est la marque d'identité de l'institution monarchique. Le prince des Asturies a la maturité, la préparation et le sens des responsabilités nécessaires pour prendre, avec toutes les garanties, la tête de l’État et ouvrir une nouvelle étape remplie d'espérance..." Une feuille de route qui s'annonce bien périlleuse pour le nouveau roi. En Espagne, le taux de chômage atteint 25,9 % de la population active et le pays voit son nombre d'habitants diminuer depuis deux ans, un signe, lui, qui n'est pas "remplie d'espérance".