L'Espagne retourne aux urnes le 26 juin, avec comme sujet principal, la situation économique du pays. Comment la reprise tant vantée en 2015 s'est-elle traduite, alors que la Commission de Bruxelles risque de mettre la péninsule ibérique à l'amende en juillet, pour cause de déficits publics trop importants ?
Les chiffres ne donnent pas toujours raison aux défenseurs des politiques de rigueur et de réformes du travail préconisées par la troïka (Commission européenne, Banque Centrale et FMI) : la croissance espagnole est bonne, et pourtant, le pays ne sort pas de l'ornière, loin s'en faut. Suffit-il de brandir des statistiques macro-économiques positives pour voir un pays comme l'Espagne revenir à son état d'avant la crise de 2008 ?
Croissance durable ?
La croissance du PIB (Produit intérieur brut) est toujours invoquée pour soigner le premier mal des pays européens touchés par la crise de 2008, celui du chômage et de la production. Si les entreprises peuvent se permettre d'embaucher à nouveau quand la croissance est meilleure, comme en Espagne, ce n'est pas toujours en faveur d'une économie créatrice d'emplois de qualité, durables et générateurs d'amélioration sociale. Avec une croissance de 3,1% en 2015, et de 3,4% en rythme annuel au premier trimestre 2016, l'Espagne peut s'enorgueillir d'avoir réussi là ou d'autres, comme la France avec ses 1,3% de croissance, ont pratiquement échoué. Le seul problème reste, que ces plus de 3% de croissance, s'ils ont fait un peu retomber le chômage en deux ans, de 26% à 21% — ce qui reste très élevé — ne sont pas causés par une reprise de l'activité globale, et n'indiquent pas une reprise pérenne.
Pétrole moins cher et facilités de crédits
Le commerce extérieur espagnol (exportations), facteur de la bonne santé du pays n'a pas redécollé, malgré les réformes de Mario Rajoy abaissant les cotisations sociales pour faire baisser le coût du travail, réformes adossées à des lois de flexibilisation du travail, facilitant les licenciements. Ces réformes, très proches de celles contestées dans la rue en France depuis des mois (la Loi travail), censées accélérer la compétitivité internationale des entreprises espagnoles, n'ont pas porté leurs fruits : le commerce extérieur est toujours largement déficitaire, et les emplois créés sont des emplois massivement temporaires. En réalité, la croissance espagnole est activée par plusieurs phénomènes autres que les réformes structurelles pratiquées depuis 2012 par le gouvernement Rajoy.
Les Espagnols ont regagné du pouvoir d'achat grâce à la chute du prix du pétrole, répercuté à la pompe, et en ont profité pour consommer plus. La croissance espagnole est donc avant tout causée par une hausse de la demande intérieure, doublée d'une relance des investissements des entreprises, grâce au crédit. L'assouplissement monétaire de la BCE (Banque centrale européenne) — en cours depuis près d'un an et demi — a permis d'offrir aux banques des taux d'intérêts au plus bas. L'appareil productif espagnol est vieillissant, et avec des prêts bancaires pour le moderniser, facilités par les taux au plus bas, là encore la demande intérieure augmente, et la croissance avec.
Dettes et déficits trop élevés
L'économie espagnole va donc un peu mieux, même si ses "fondamentaux" ne sont pas revenus à l'avant crise. Mais cette reprise, avant tout intérieure et certainement temporaire, a été aussi possible grâce à… un relâchement des mesures d'austérité budgétaire en 2015. Le chef du gouvernement, Mario Rajoy, s'il a en effet divisé par deux — depuis 2012 — le déficit public de son pays, a levé le pied l'année dernière sur la rigueur budgétaire, les élections de décembre n'étant certainement pas étrangères à cette décision. Ces dépenses publiques ont participé à la bonne la croissance du pays, mais accru le déficit public espagnol. Celui-ci est établi à 4,7% en 2016 au lieu d'un objectif de 4,2%. La dette publique a logiquement suivi et atteint le seuil fatidique de 100%. Déficits publics et dette doivent être respectivement inférieurs à 3% et 60% du PIB selon le Pacte de responsabilité et de croissance européen. La Commission pourrait donc "punir" l'Espagne, qui pourtant… "redémarre" un tant soit peu :
Dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, l’Espagne est susceptible de faire l’objet d’une mise en demeure et d’une sanction pouvant s’élever à 0,2 % de son PIB (soit près de 2,2 Md€) pour ne pas avoir respecté ses cibles de déficit public. La Commission européenne a finalement décidé de repousser cette décision au mois de juillet, le commissaire européen aux affaires économiques et financières - Pierre Moscovi - estimant que « ce n’est pas le moment » compte tenu des échéances électorales le 26 juin prochain.
Le blocage politique espagnol provient de l'impossibilité des partis Podemos (anti-austérité), Ciudadanos (centre-droit), et le Parti socialiste (PSOE) de s'accorder sur les mesures à prendre pour redresser le pays. Si ces trois formations sont d'accord pour abroger la réforme du travail de Mariano Rajoy, de nombreux points de discordes les empêchent en revanche de constituer une coalition gouvernementale, d'où les nouvelles élections législatives du 26 juin. La création d'un revenu universel proposée par Podemos est refusée par Ciudadanos, comme l'augmentation du SMIC actuellement à 640€…
Dans ce contexte, Mariano Rajoy, pourrait reprendre la main en jouant sur l'amélioration économique en cours, même si celle-ci n'est que partielle et conjoncturelle ? Les élections qui arrivent devraient valider cette thèse… ou non : rien n'indique dans les sondages qu'une formation politique puisse se hisser véritablement au dessus des autres le 26 juin. La crise n'est pas terminée en Espagne : qu'elle soit politique, ou économique.