Fil d'Ariane
Les attentats de Paris renvoient les Espagnols à ceux de Madrid, qui avaient fait 191 morts le 11 mars 2004, et font écho à l’actualité des migrants.
Vendredi 13, à plus de 1 000 km de la capitale française. Le concert des sonneries de téléphones annonce l’horreur qu’est en train de vivre Paris. Pilar Manjón participe à ce moment-là à une réunion sur le thème du djihadisme à Madrid. « La nouvelle renvoie immédiatement au passé ! Mes pensées vont de suite aux victimes. En tant que victimes, nous les comprenons mieux que quiconque. » Pilar Manjón est la mère de Daniel Paz Manjón, l’une des 191 personnes assassinées lors du 11-M, les attentats terroristes qui ont frappé Madrid le 11 mars 2004.
« La souffrance ne s’en va jamais », soupire-t-elle, profondément émue. Onze années ont passé et les blessures ne sont pas guéries. Le jour des attentats de Paris, Pilar a reçu des dizaines de messages de soutien et de condoléances : « Les bonnes personnes ont fait immédiatement le lien ». Car ce que Paris et la France traversent aujourd’hui, Madrid et l’Espagne l’ont vécu il y a à peine plus d’une décennie. Ces deux séries d’attentats terroristes sont, à l’heure actuelle, les plus meurtrières en Europe.
Si loin physiquement, si proche et solidaire au fond d’elle. Pilar, actuellement présidente de l’association 11-M Afectados del terrorismo (« Victimes du terrorisme »), assure ne jamais avoir cédé à la peur : « Ils m’ont enlevé l’être le plus cher, mon fils de 20 ans. La sensation d’une victime est celle de n’avoir plus rien à perdre ». Contactée par TV5 Monde, elle s’est adressée aux proches des victimes de Paris : « Face à la barbarie : ni haine, ni colère. Juste du mépris… et le goût de la vie, malgré la douleur. Nous adressons notre solidarité la plus totale à Paris et à tout le peuple français. Nous souffrons à vos côtés. »
Madrid, Paris. Dans les deux cas : un climat de peurs et de tensions, une phase de deuil national. Mais des situations bien différentes. « Face à ce drame, le peuple français a fait preuve d’unité dès les premiers instants, salue Antonio Baquero, journaliste à El Periódico, spécialiste du terrorisme. En Espagne, cela n’avait pas été le cas. La perception des événements a longtemps divisé la population. » Pour cause, le gouvernement d’alors, mené par José María Aznar (Parti populaire, droite), a d’abord cherché à imputer l’attentat à l’ETA, l’organisation indépendantiste basque. Un mensonge d’Etat qui a longtemps pesé sur le débat public.
Cela pourrait-il expliquer que les parallèles entre le 11-M et les attentats de Paris ne sont pas légion dans la presse espagnole ? Selon Antonio Baquero, la distinction entre les deux drames est plutôt due à la nature des réactions étatiques : « François Hollande a répondu immédiatement par un durcissement du combat contre le terrorisme. Une grande partie de la presse espagnole a comparé le ton de son discours à celui de Bush après le 11 septembre. En Espagne, le gouvernement socialiste de Zapatero (entré au pouvoir suite aux élections du 17 mars 2004, seulement trois jours après les attentats de Madrid, ndlr) a fait l’inverse, en retirant les troupes d’Irak, puis en cherchant à se réconcilier avec des pays comme le Maroc ».
Les victimes, elles, exigent de la pudeur et du sang froid de la part des représentants politiques. « Politiques français, s’il vous plaît, n’utilisez pas les victimes, comme cela s’est passé ici, aujourd’hui ils ont besoin d’affection, de soutien et d’une étreinte qui réconforte cette douleur », avait notamment tweeté Pilar Manjón, dès le lendemain des attentats de Paris. Aujourd’hui encore, elle reçoit des menaces et intimidations de la part d’une petite minorité d’Espagnols, sceptiques quant à la version officielle des faits et adeptes de thèses conspirationnistes.
« Aucune actualité étrangère n’avait eu un tel impact depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York. », poursuit Antonio Baquero. « Ici, les gens ne parlent que de ça. C’est normal, déjà car la France est un pays très proche. Mais aussi car la crainte qu’il puisse y avoir de nouveaux attentats habite les Espagnols. » L’Espagne est, depuis les attentats de Charlie Hebdo, en janvier dernier, au niveau 4 d’alerte terroriste, qui correspond à un « risque élevé » (lire ici et là). « Tout l’Etat espagnol est sous la menace, puisque les djihadistes prétendent reconquérir et réimplanter l’islam dans les territoires qui ont été musulmans dans le passé, comme ‘’Al Andalus’’ », précise le journaliste. La Catalogne, dont l’affrontement avec Madrid est passé, durant quelques jours, au deuxième plan de la hiérarchie médiatique, serait l’un des points les plus chauds de tout le Sud de l’Europe (lire ici et là).
A tout juste un mois des élections générales, durant desquelles les Espagnols choisiront leur gouvernement, le retour des thématiques sécuritaires peut-il favoriser la droite au pouvoir ? Réponse le 20 décembre prochain.