Fil d'Ariane
Mathieu Mouillet voyage depuis 20 ans. Tout commence en 2001.
Pour le plaisir, il entame un tour du monde. Il a ensuite cherché à en faire un métier nous explique-t-il "je cherche le moyen qui me permette de faire les voyages dont j’ai envie moi et pas ceux qu’on veut me faire faire, où je suis obligé de revenir avec quelque chose à vendre." Mais si le tourisme est une industrie où il y a beaucoup d’argent, "il n’y en a pas forcément pour celui qui voyage et qui ramène le contenu" rajoute-t-il avec humour.
C'est cette expérience qu'il a pu vivre en travaillant pour une entreprise spécialisée dans le voyage. Celle-ci selon ses mots "a eu du mal à trouver son modèle économique".
J’ai rédigé et illustré une dizaine de guides pour un site qui voulait devenir le Facebook du voyage. L’expérience fut belle et l’échec regrettable.
Mathieu Mouillet, écrivain voyageur
Il vit alors une sorte "d'intermittence", alternant activités rentables en tant que consultant en entreprise (il est issu d'une école de commerce) et vie plus précaire lors de voyages au long cours.
Mais la vie à Paris commençe à lui devenir insupportable. "J’ai vécu un peu ce qu’on vécut les gens pendant le premier confinement : une sensation d’étouffement. Je n’étais pas à la bonne place. La nature me manquait cruellement. J’avais besoin de ralentir le rythme et de voir des gens qui allaient bien. J’avais l’impression que je baignais dans une sinistrose ambiante ! Moi qui suis quelqu’un de très optimiste et enthousiaste, je sentais que je perdais ça au fur et à mesure de mes années à Paris. Je me suis dit : fuyons !"
Un jour je me suis demandé ce que je devenais.
Mathieu Mouillet, écrivain voyageur
C'est ainsi qu'il se lance sur les routes, il y a un peu plus de trois ans.
Son expérience va durer 18 mois. Il en tire des milliers de photos, des notes de blog jusqu'au moment où il décide d'en faire un livre, qu'il auto-édite : La diagonale du vide - un voyage exotique en France.
Mais justement d'où vient ce terme de diagonale du vide ?
Cherchant des itinéraires sortant des routes touristiques de France, il tombe sur une carte de la DATAR (ndlr Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, créé en 1963 et absorbée en 2014 par l’ANCT, l’Agence nationale de la cohésion des territoires).
"C’était une carte d’aménagement du territoire avec des zones marquées en jaune et rouge. Ces dernières étaient celles les plus densément peuplées. Les zones plus claires, jaunes ou blanches étaient celles moins habitées. Ces zones « blanches » traversent la France du nord-est au sud-ouest sur ce que les géographes ont appelé la « Diagonale du vide » qui entre-temps a été rebaptisée « diagonale des faibles densités » car le vide est considéré comme un terme péjoratif. J’ai gardé le terme de « diagonale du vide » car je le trouve poétique."
Ce terme « vide » est plutôt vu négativement par ses interlocuteurs. "Quand sur ma route j’ai croisé des personnes à qui je disais que j’étais parti à la découverte de la « diagonale du vide » en général ils n’étaient pas trop fiers de ce terme. Je leur expliquais alors que tout dépendait de quoi on était vide. Ils se sont dit qu’effectivement ils avaient des choses que les autres n’avaient pas."
Mathieu Mouillet se documente sur cette "diagonale du vide". Il contacte les comités de tourisme dans chaque département traversé. Il part à la recherche de femmes et d'hommes qui peuvent parler de leur région "avec des étoiles dans les yeux". Il est commence son périple de Givet (ça ne s'invente pas !), dans les Ardennes, proche de la frontière entre la France et la Belgique. Il a ensuite traversé la Meuse et ensuite la Haute Marne. Son parcours, dont on peut retrouver la carte ici, n'a pas été tout à fait linéaire. A un moment donné, voulant absolument voir la montagne l'hiver, il part dans les Pyrénées. Et repartira ensuite vers le centre de la France.
"La carte a permis de préciser l’itinéraire mais ensuite ça s’est fait un peu à la va comme je te pousse", confie t-il, et surtout au gré des rencontres "quand le courant passait bien, on m'envoyait vers d'autres personnes qui m'envoyaient à leur tour vers d'autres personnes."
L'itinéraire a été un mélange de préparation et de spontanéité.
Mathieu Mouillet, écrivain voyageur
"Je ne voulais surtout pas d’un truc avec des panneaux fléchés partout et savoir à quoi m’attendre à chaque km, parce que j’avais du temps. Je voulais que le hasard s’invite, mettre un peu la pagaille dans tout ça et ça a pas mal marché !"
Mathieu Mouillet se pose la question sur ce qui va émerger de cette nouvelle révolution dans le tourisme. Peut-on parler d'un nouveau modèle de voyage d'après Covid ? "Actuellement tout le monde se gargarise avec le « slow tourisme », parle de « tourisme éthique », de « micro-aventures » et de « pas besoin d’aller loin » … Mais que va-t-il se passer quand les portes vont se réouvrir ?"
Je suis curieux de voir si on tirera les leçons des débats de l’avant-Covid, comme la honte de prendre l’avion.
Mathieu Mouillet, écrivain voyageur
Il se demande si ces nouveaux comportements vont s’ancrer ou seront juste des "placebos" en attendant que les portes se rouvrent et de recommencer exactement comme avant.
(RE)voir : Le Covid-19 a-t-il porté un coup fatal au tourisme mondial ?
Comment ses habitants vivent le fait d'habiter au dessus de déchets nucléaires ? "Certains, par exemple, ont développé des modèles économiques autour de la culture d’ortie. Une partie de l’argent qui les finance vient directement de l’entreprise qui gère le site d’enfouissement de déchets nucléaires. J’avais un peu l’impression qu’il s’agissait de « greenwashing », qu’en soutenant des projets innovants cette société s’achète une conscience. J’ai essayé de les interroger sur la question mais ils ont été très réticents à me répondre. Il n’y avait pas moyen d’en parler."
Au fur et à mesure qu'il avance, il fait des rencontres étonnantes, comme celle de Florence qui fait du vin de fleurs et de son mari Pierre Pelletier qui lui lance : "Tu trouveras le vrai but de ton voyage en route, mais j'aimerai bien te faire gagner du temps." (La Diagonale du vide p. 52).
Ce sont les rencontres qui me guident. Je côtoie des gens qui ont écouté leur petite voix intérieure, osé lui faire confiance. Ils me montrent le chemin.
Mathieu Mouillet La Diagonale du vide
Mathieu Mouillet évolue, se rapprochant de plus en plus de ce qu'il était venu chercher : sa voix intérieure. Mais pour cela, il faut du temps. Et bien des kilomètres...
Il se lance des défis comme la traversée des Pyrénées en hiver et alors que tout le monde le lui déconseille. Pourquoi ? "Parce que je sais qu’il ne faut pas forcément croire à ce que disent les locaux. Aucun d’eux n’avait jamais fait le GR10 en hiver."
Les sentiers de Grande randonnée, dits GR, ont été créés à partir de 1947 à l'initiative de la Fédération Française de Randonnée pédestre. C'est un amateur de marche, Jean Loiseau qui, s'inspirant du célèbre sentier des Appalaches aux États-Unis, premier exemple de sentier balisé, met au point la signalisation en blanc et rouge.
Faire le sentier des Pyrénées, en hiver est un véritable challenge car c'est un des plus hauts de France, culminant à plus de 2000 mètres. Mathieu Mouillet nous confie que c'était la partie "aventure" de son périple. Mais il n'est pas inconscient.
"J’ai beaucoup voyagé et je me suis préparé comme pour partir en Alaska. Je ne suis pas un casse-cou. J’aime les randonnées engagées parce qu’au bout il y a une récompense et que ce sont des expériences enrichissantes. Mais aller au bout de soi-même, gravir le 7000 mètres, être invincible, ce n’est vraiment pas mon truc ! C’est pour ça que je me suis bien gardé de dire le nombre de kilomètres que j’avais parcourus."
A chaque fois qu’on donne des chiffres, les gens ne retiennent que ça. Ils ont l’impression que vous avez vaincu l’Everest ou fait un truc de héros ! Alors que c’est juste le fait de mettre un pied devant l’autre pendant un an et demi qui fait qu’au bout d’un moment on a parcouru quelques milliers de kilomètres.
Mathieu Mouillet, écrivain voyageur
Cela n'a été possible que parce qu'il a pris le temps. Nous nous étonnions que dans son livre à part un terrible mal de dos qui le foudroye après sa traversée de la Lozère, il ne mentionne jamais avoir mal aux pieds. S'il n'a jamais eu d'ampoules - contrairement à d'autres randonneurs, notamment ceux qui se lancent sur le chemin de Compostelle - c'est parce qu'il parcourait au grand maximum une quinzaine de kilomètres par jour. Et qu'il s'arrêtait souvent, et parfois même plusieurs jours, chez les gens qu'il rencontrait.
"Ce que je défends, c’est que la lenteur ouvre des portes, et des portes insoupçonnées qu’on ne pensait même pas qu’elles existaient. Par exemple, dans la Meuse, quelqu’un m’a offert un passage dans son bateau. Ça s’est passé tout simplement au coin d’un bar. J’étais entré avec l’ami qui m’accompagnait sur cette partie du parcours, et nous avons rencontré ce Luxembourgeois qui était tout seul sur son bateau et qui nous a dit « sympa votre projet, je vais dans la même direction » et hop ! il nous emmène. Nous aurions voulu le programmer, nous n'aurions pas réussi !" se souvient l'écrivain voyageur.
Le voyage ne finit pas plus quand on arrive, qu'il ne commence quand on part.
Mathieu Mouillet La Diagonale du vide
Désormais, il ne nous reste plus qu'une chose à faire selon Mathieu Mouillet. Partir, pas forcément loin de chez soi mais en allant à la rencontre de l'autre.