Fil d'Ariane
Le Venezuela a connu d’innombrables périodes troubles ces dernières années. Mais cette semaine, les tensions sont à leur paroxysme et le pays s'enfonce chaque jour un peu plus dans la crise. Mardi soir, Nicolás Maduro organise une conférence de presse dans le Palais présidentiel.
Il y dénonce violemment les tentatives d’ingérence de ses voisins et des Etats-Unis, un argument qui lui est cher. Il dénonce également les manœuvres de l’opposition et accuse nommément des médias étrangers (The New York Times et El País, ses ennemis jurés) de mener une campagne de dénigrement visant à préparer une intervention internationale qui s’appuierait sur le « désordre déclenché par l’opposition » pour se justifier.
Pour réaffirmer son autorité à la tête du pays, la veille, il décrète l’Etat d’exception. Le Parlement, dominé par l’opposition, rejette la mesure aussitôt. Le président Maduro maintient tout de même ce dispositif conférant au gouvernement de larges pouvoirs en matière de sécurité et de distribution de biens. Les militaires, autres forces de sécurité, et même des groupes civils, disposent de pouvoirs spéciaux afin de maintenir l’ordre et de défendre le pays « d’une agression extérieure ».
Ce mercredi, l’opposition est dans la rue malgré les interdictions pour « faire plier » le Conseil National Electoral (CNE) qui a refusé d’accepter les millions de signatures recueillies auprès de la population. Collectées en un temps record par l’opposition, ces signatures sont indispensables pour lancer un processus de destitution qui culminerait avec un référendum permettant aux Vénézuéliens de se prononcer sur le maintien ou non au pouvoir de Nicolas Maduro. Le CNE estime que les documents fournis sont frauduleux. Mais les récents sondages indiquent que ces signatures sont peut-être le reflet d’un véritable mécontentement. 70% de la population est pour un changement de gouvernement.
Introduit pour une période de 60 jours renouvelable, l’état d’exception prolonge l’état d’urgence économique en vigueur dès la mi-janvier. Un aveu d’échec face à l’ampleur des dégâts. Ultra-dépendante du pétrole, l’économie vénézuélienne ne s’en sort plus depuis que les prix du baril du pétrole sont en pleine dépression. Celui-ci vaut quasiment deux tiers de moins qu’il y a deux ans. Disposer des plus importantes réserves du pétrole au monde est devenu presque inutile. Surtout quand le Venezuela affiche l’inflation la plus importante au monde : + de 300%. Jadis prospère, Caracas n’a pas anticipé que sa manne financière allait se tarir. Au bout du tunnel : l’impossibilité d’honorer une dette exponentielle.
C’est dans ce contexte que les Vénézuéliens font face à une crise alimentaire inouïe. « Hier, j’ai fait la queue de 6 heures du matin jusqu’à 15 heures et la seule chose que j’ai pu acheter, c’est un kilo de pâtes. Nous avons faim. Si on veut rentrer avec un sac de sucre, de la farine, du café, on ne peut pas, il n’y en a pas. Et personne ne prend ses responsabilités », raconte un habitant de Caracas aux correspondants de RFI.
Dans de nombreuses localités comme Maracaibo (nord-ouest), la police a dû faire face à des émeutes de la faim. Des magasins ont été pris d’assaut. On fait état de poulets volés et même la bière vient aujourd’hui à manquer. « Nous allons crever de faim», résume une habitante de la capitale toujours à RFI.
Le gouvernement a toujours parlé de guerre économique pour justifier la pénurie. Il accuse les grandes entreprises de l’agroalimentaire de bloquer la production et d’affamer la population exprès. Ces entreprises, de leur côté, argumentent que le taux de change (lien) bloque toute importation et que de toutes façons les matières premières sont indisponibles.
Au-delà de cette éternelle querelle, l’inflation ne permet pas de manger à sa faim : « Avec un salaire moyen une personne peut acheter trois poulets par mois. Mais il ne peut payer ni le loyer, ni l’essence, ni l’eau. Rien d’autre. La classe moyenne, elle, est dans un état de paupérisation absolue. La situation de la classe populaire s’est empirée. Les gens mangent une fois par jour », explique l’anthropologue Paula Vasquez qui est aussi chercheuse au CNRS.
Le secteur de la santé ne se porte pas mieux. Les malades chroniques ont dû faire une croix sur leur traitement au péril de leur vie. Analgésiques, antibiotiques et hypertensifs manquent à l’appel. Une coalition d’ONG, Codevida, estime à 80% le taux de pénurie pour les médicaments les plus basiques.
Là encore, le gouvernement parle de guerre économique. Il y a quelques mois, le Parlement dominé par l’opposition décrétait une crise humanitaire sanitaire.
Des ONG internationales ont répondu présentes. Mais leur action n’est pas toujours facilitée. Le gouvernement vient d’interdire à Caritas Espagne de distribuer des médicaments.
Au mois d’avril, une importante sécheresse fait baisser les niveaux d’eau des barrages électriques. Le gouvernement opte pour un rationnement qui vient noircir le tableau décrit plus haut : ceux qui arrivent à se procurer des aliments ne peuvent pas les conserver, le chiffre d’affaires des petites entreprises s'en trouve sérieusement grignoté, car celles-ci ne peuvent travailler que quelques jours par semaine et les problèmes d’insécurité s’aggravent. Les rues laissés dans la pénombre et les systèmes de sécurité désactivés laissent le champ libre à la délinquance. Caracas est la ville la plus dangereuse au monde.
« La construction de centrales électriques diesel, censée compenser la dégradation du réseau hydroélectrique, n'a pas eu lieu : les centaines de millions de dollars qui lui ont été consacrées ont simplement disparu dans la nature», explique Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Lille 1.
« Les prix du pétrole ne semblent pas vouloir augmenter, de véritables réformes ne sont pas en route : la crise sociale va sans cesse empirer. Ce qui sera une menace croissante pour le gouvernement à l’heure où les manifestations commenceront à s’intensifier dans le pays. Jusqu’ici, elles-ci ont été trop modestes, isolées et désorganisées pour vraiment toucher l’Etat. Mais ceci pourrait changer », écrivent les chercheurs de Stratfor, un organisme américain de veille géopolitique.
Interviewé par El Español, le sociologue Rafel Uzcátegui compare la période actuelle à une série télé : « Nous avons vu 16 saisons et maintenant, on est en train de regarder les derniers chapitres. C’est une crise terminale qui sera, malheureusement, dramatique. La classe politique doit se mettre d’accord pour faire la transition vers une nouvelle saison ou pour laisser la place à une toute nouvelle série. Ce sont les derniers épisodes du projet bolivarien ».
Uzcátegui craint surtout la violence qui pourrait se déchaîner, car « nous avons en circulation plus de deux millions d’armes illégales dans la rue. Un moment de tension incontrôlable pourrait avoir des effets dévastateurs. Ca pourrait être pire que le Caracazo de 1989 ». A cette occasion, au bord du désespoir, les populations les plus pauvres des hauteurs de Caracas étaient descendues pour piller les magasins. Résultat : une centaine de morts, des dizaines de blessées et de nombreuses pertes financières.
«Le mécontentement est énorme, ajoute cet habitant de la capitale vénézuélienne au micro de RFI. C’est une bombe à retardement. Nous ne savons pas si nous pourrons tenir longtemps. On espère qu’on n’aura rien à déplorer. Il y en a encore qui croient en la Constitution. J’espère que nous aurons droit à ce référendum 'révocatoire' pour pouvoir en finir avec cette instabilité. Nous voulons pouvoir décider si le président reste ou part. »
Pour deux officiels américains qui se sont exprimés devant un groupe restreint de journalistes, Maduro ne pourra pas aller jusqu’au bout de son mandat, prévu pour 2018. D’après eux, une partie de l’élite politique le poussera vers la sortie. Ils n’écartent pas un coup militaire.
Mais cette hypothèse semble peu probable. L’armée vénézuélienne ne donne pas de signe de défection, alors que l’opposition l’invite à se ranger de son côté. « Même si le nombre de supporters de haut vol se réduit, le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino Lopez n’a pas suggéré le départ du président. Tant que Padrino Lopez, ainsi qu’une partie de l’élite politique et militaire du pays seront à ses côtés, il a toutes ses chances de rester au pouvoir jusqu’en 2018 », prédit Stratfor.
Quoi qu’il en soit, Maduro semble envisager l'avenir avec enthousiasme. « Le temps est venu d’une nouvelle révolution pour préserver l’indépendance et les droits du peuple », a-t-il déclaré.