Etats-Unis #BlackLivesMatter : les morts de Ferguson

Quatre ans et demi après les émeutes de Ferguson, une enquête d'Associated Press relate les morts de six personnes liées plus ou moins directement aux manifestations qui avaient révélé au monde entier le mouvement Black Lives Matter. Suicides et homicides alors que dans le comté de Saint-Louis, le climat reste électrique.
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Ferguson un an après
Le 9 août 2014, Michael Brown était tué par le policier Darren Wilson. Un meurtre qui, depuis, ravive les tensions raciales aux Etats-Unis
(AP Photo/Jeff Roberson)
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Joshua Deandre avait 20 ans. Le 24 novembre 2014, il est retrouvé mort dans une voiture incendiée, une balle dans la tête. Quelques heures plus tôt, la justice a décidé de ne pas poursuivre le policier Darren Wilson, auteur du tir qui a coûté la vie à Michael Brown trois mois auparavant. Darren Seals meurt dans les mêmes conditions deux ans plus tard, en septembre 2016. Le corps criblé de balles de l'homme de 29 ans est retrouvé dans une voiture en feu.

Entre-temps, en février 2016, MarShawn McCarrel, 23 ans, se suicide à Columbus, devant le Capitole de l'Ohio. Nous sommes à quelques centaines de kilomètres de Ferguson, mais MarShawn McCarrel s'y trouvait lors des manifestations déclenchées par le mort de Michael Brown. Edward Crawford y avait également pris part. Il se suicide en mai 2017. Problèmes personnels, selon la police.

Danye Jones, lui, est le fils d'une activiste de Ferguson. En octobre 2018, il est retrouvé pendu à un arbre. Sa mère écrira sur Facebook "ils ont lynché mon bébé". Danye Jones avait 24 ans. La police conclut au suicide.

Dernier décès relevé par les journalistes d'Associated Press, celui de Bassem Nasri, 31 ans. Lors des émeutes de Ferguson, cet américain d'origine palestinienne s'était fait connaître pour ses vidéos en direct postées sur internet. Il meurt dans un bus en février 2019. Overdose de Fentanyl, un anti-douleur qui fait actuellement des ravages aux Etats-Unis.
Hommage Deandre Joshua Ferguson Missouri
Hommage à Deandre Joshua, mort le 24 février 2014 à Ferguson, quelques heures après l'acquittement de l'officier Darren Wilson. 
©AP Photo/Jeff Roberson

Un serpent dans une boîte

Dans son enquête, l'agence AP interroge des activistes et des observateurs des événements de Ferguson. Pour eux, il n'existe pas de lien évident entre ces morts et les manifestations de 2014, mais tous soulignent les lenteurs des enquêtes de police. «Ces manifestants et leur mort ne semblent pas constituer une priorité pour la police", affirme ainsi Odis Johnson, sociologue à l'université de Washington.

Les militants de Ferguson mettent aussi en avant le climat qui règne dans la région depuis les émeutes de 2014. Les manifestations ont, certes,  popularisé le mouvement Black Lives Matter, mais elles ont aussi effrayé une partie de la population, consternée par les images de manifestants jetant des pierres ou insultant des policiers.

Citée dans l'enquête, Cori Bush, l'une des meneuses de Ferguson, raconte que depuis quatre ans, elle et d'autres ont été victimes de harcèlement, d'intimidations mais aussi de menaces de morts voire de tentatives d'assassinats. AP rapporte ainsi le que révérend Daryl Gray a un jour trouvé dans sa voiture, caché dans une boîte, un python de près de 2 mètres ... "Tout le monde est très nerveux", estime le révérend Gray à propos de ses camarades activistes. Du côté de la police, on se refuse à établir un lien entre ces différents décès. Pas de lien avéré non plus avec les manifestations de 2014, d'autant que seuls deux des six décès sont considérés comme des homicides.
 

Comprendre

Les deux meurtres n'ont encore donné lieu à aucune arrestation. "Difficile de trouver un mobile si l'on n'a pas de suspect", déclare le porte-parole de la police du comté de Saint-Louis, où se trouve Ferguson.

Concernant les suicides, le sociologue Odis Johnson s'avance et met en avant le sentiment de désespoir chez un certain nombre d'activistes : "Pour beaucoup, explique-t-il à AP, l'application de la loi n'est pas un recours. Souvent, les forces de l'ordre ne sont pas de leur côté".

Point commun entre les six personnes décédées ces quatre dernières années ? Militants -de près ou de loin-, certes, mais surtout noirs et jeunes.
Les noirs du comté de Saint-Louis ont trois fois plus de probabilités que les blancs d'être pauvres, rapporte Associated Press. Cela signifie un accès difficile à une assurance maladie permettant de traiter correctement les souffrances physiques et psychologiques.

A cela s'ajoute une criminalité importante dans certaines parties du comté : les "riches et blancs" de l'ouest peuvent espérer vivre 80 ans alors que l'espérance de vie tombe à 56 ans dans la ville principalement noire de Kinloch. Non loin de Ferguson.