États-Unis : comment l'administration Trump veut sous-traiter l'immigration à des pays tiers

Le Costa Rica annonce accepter d’accueillir des migrants expulsés par les États-Unis, s'alignant sur la position du Panama et du Guatemala voisins. Donald Trump cherche à chasser du territoire américain les migrants en situation irrégulière.

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Migrants déportés

Des migrants vénézuéliens expulsés des États-Unis arrivent à l'aéroport international Simon Bolivar à Maiquetia, au Venezuela, le 10 février 2025.

AP Photo/Ariana Cubillos
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C’est le troisième pays d'Amérique centrale à accepter de servir de point de passage pour les ressortissants de diverses nationalités chassés des États-Unis, après le Panama et le Guatemala. "Le gouvernement du Costa Rica a accepté de collaborer avec les États-Unis pour le rapatriement dans leur pays de 200 migrants irréguliers", annonce le 17 février la présidence du pays d'Amérique centrale dans un communiqué. Il s'agit de personnes originaires "d'Asie centrale et d'Inde", de même source.

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Ce n’est pas la première fois qu’un pays  cherche à déléguer la gestion de ses demandeurs d’asile à un pays tiers. Cela s’est déjà fait en Europe, avec le Royaume-Uni et l’Italie, mais aussi en Océanie avec l’Australie. Est-ce le même procédé mis en place par les États-Unis ? Géraldine Renaudière, experte en droit de l’immigration et de la mobilité internationale, explique que le contexte américain est différent du contexte européen. 

Quels pays expulsent leurs migrants vers d’autres pays ?

  • L’Australie a été pionnière en la matière en expulsant des centaines de demandeurs d’asile vers l’île de Manaus, en Papouasie Nouvelle-Guinée. Le camp de rétention a été fermé en 2016.

  • Début 2024, l’Italie signe un accord avec l’Albanie afin d’externaliser une partie de son processus d’asile, en envoyant les immigrés irréguliers et les demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le sol italien vers des centres de rétention en Albanie, financés par l’Italie. Ce projet a rapidement été invalidé par des tribunaux italiens. 

  • Quelques années auparavant, le Royaume-Uni, alors dirigé par les Conservateurs, avait passé un accord similaire avec le Rwanda, qui a finalement été abandonné après l’arrivée du parti travailliste au pouvoir, en juillet 2024.   

Des rapports de force différents 

Ici, vous avez plus quelque chose qui va être imposé de la part des États-Unis vis-à-vis de l'Amérique latine, là où dans le cadre européen, on est plus sur des accords qui vont être plutôt négociés avec des partenaires”, résume Géraldine Renaudière. 

Elle précise que la politique américaine vis-à-vis des pays d’Amérique Latine est tendue, pas uniquement sur la question migratoire. De ce fait, les pays d’Amérique Latine ayant accepté de collaborer sur le rapatriement de migrants l’ont fait en raison de la pression américaine qui pesait sur eux.  

Les accords de réadmission sont encadrés par le droit international, même si les modalités peuvent varier d'un accord à l'autre.

Géraldine Renaudière, experte en droit de l’immigration et de la mobilité internationale

En revanche, du côté européen, les accords étaient négociés de manière consensuelle des deux côtés. Géraldine Renaudière poursuit en détaillant les différents types d’accord en matière de gestion migratoire. “Les accords de réadmission sont encadrés par le droit international, même si les modalités peuvent varier d'un accord à l'autre”, explique la juriste. Ce sont des conventions bilatérales (ou entre plusieurs États dans le cadre européen) qui visent à contraindre l'un d'entre eux d'accepter de recevoir des personnes qui peuvent être, ou non, ses ressortissants, et qui viennent d'être expulsées par l'autre État.

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Il existe également des partenariats différents, comme l’accord signé en 2016 entre l’Europe et la Turquie, ou plus récemment celui entre l’Italie et la Tunisie. “En vertu du droit européen, les États membres et l'UE ont une compétence partagée en matière d'immigration et de gestion des frontières, explique la juriste. Cette compétence peut sous certaines conditions être externalisée, dans le cadre de partenariat avec des pays de transit."

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Enfin, le cas de l’accord passé entre l’Italie et l’Albanie et celui entre le Royaume-Uni et le Rwanda relève de solutions un peu plus “extraordinaires” par rapport aux règles du droit international. “Il s’agit de déléguer la compétence du traitement des demandes d’asiles de certaines catégories de population à un pays autre que le pays d’origine des migrants ou par lequel ils transitent.” C’est un processus similaire qui existe entre les États-Unis et les pays d’Amérique Latine, à la différence que le rapport de force n’est pas le même. 

Les droits des demandeurs d’asile pas protégés de la même manière

Par ailleurs, la politique américaine en matière de droit des demandeurs d’asile est différente de la politique européenne. Le président Donald Trump avait fait de la lutte contre l’immigration clandestine un axe majeur de sa campagne électorale. Dès sa prise de fonction, il a rapidement signé des décrets afin de “fermer hermétiquement” les frontières du pays. 

À partir du moment, normalement, où vous êtes persécuté ou où vous subissez un risque de persécution pour tout un tas de raisons dans votre pays d'origine, vous avez des droits.

Géraldine Renaudière, experte en droit de l’immigration et de la mobilité internationale

Il existe toutefois des réglementations internationales en matière de prise en charge des migrants, comme la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ce texte apporte surtout une définition de ce qu’est un réfugié et ce que les États signataires doivent faire en leur faveur. “À partir du moment, normalement, où vous êtes persécuté ou où vous subissez un risque de persécution pour tout un tas de raisons dans votre pays d'origine, vous avez des droits”, détaille Géraldine Renaudière. En revanche, ce texte n’est pas une garantie du droit d’asile, mais garantit le droit de pouvoir demander l’asile.

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La juriste précise également que “chaque pays peut avoir sa définition de ce qu’est un pays sûr”, ce qui explique les différents critères selon les pays. Aussi, elle ajoute qu’en Europe, “ces réglementations internationales sont complétées par des textes qui sont plus explicites sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile”, avec par exemple le Pacte européen sur la migration et l’asile, adopté en 2024, qui vient réaffirmer le principe de solidarité entre États membres face aux "pressions migratoires".

Par ailleurs, les accords passés entre le Rwanda et le Royaume-Uni, mais aussi entre l’Italie et l’Albanie, ont été avortés en raison d’un renouveau politique pour le premier et de blocage juridique pour le second. Cela montre que l’Europe dispose d’un arsenal assez important pour protéger les demandeurs d’asile, ce qui n’est pas forcément le cas aux États-Unis. Par ailleurs, “l’administration Trump, sur pleins d’égards, semble à première vue prendre des décisions indépendamment de ces conventions internationales”, note Géraldine Renaudière.