Fil d'Ariane
Véhicules blindés, masques à gaz, fusils d’assaut, Garde nationale… Les images des policiers lors des émeutes à Ferguson (Missouri), l’été dernier, ont fait le tour du monde. Les manifestants, réprimés par les forces de l'ordre, étaient descendus dans les rues pour dénoncer la mort de Michaël Brown, un jeune noir de 18 ans, abattu par un policier blanc, le 9 août 2014.
Ces images ont d’ailleurs suscité de nombreuses réactions. « On est comme dans une guerre, c’est de la folie », confiait à Libération, Denny, un habitant de Ferguson, en août dernier. Sur les réseaux sociaux également, plusieurs vétérans avaient réagi : « Je ne sais pas comment c’était en Irak ou en Afghanistan, mais en Bosnie, lors des patrouilles, nous avions des armes moins puissantes que celles des policiers de Ferguson », écrivait sur Twitter Dan Bramos, un ancien membre de la Navy.
Un paradoxe aux Etats-Unis où « on a une police militaire : tous les surplus militaires depuis la guerre d’Irak ou d’Afghanistan ont abouti dans les polices locales », a expliqué sur Europe 1 Nicole Bacharan, politologue et spécialiste des Etats-Unis.
Aux Etats-Unis, le programme 1033 permet au Pentagone de ne pas détruire mais de recycler le matériel de combat en le transférant aux forces de police qui en font la demande. Des milliers de forces de police aux Etats-Unis bénéficient donc de ce programme.
Soucieux d’apaiser les tensions entre la police et les minorités et d’instaurer une confiance entre les deux camps, Barack Obama vient d’annoncer une limitation et un encadrement plus stricte de l’utilisation des équipements militaires par les forces de police. « Nous avons vu combien des équipements militaires pouvaient donner l’impression aux gens d’être en présence d’une force d’occupation plutôt que d’une force qui fait partie de leur communauté et qui est là pour les protéger », a déclaré le président américain. Et d’ajouter :« Cela peut éloigner et intimider les habitants et envoyer le mauvais message ».
Pour prendre ces mesures, il s’est appuyé sur les conclusions d’un groupe de travail mis en place en janvier pour tenter d’améliorer les relations entre police et minorités. Véhicules blindés à chenilles, armes à feu de très gros calibre ou uniformes de camouflage font partie de la liste de matériel que la police ne pourra désormais plus acquérir auprès d’agences fédérales. « Ces équipements n’ont jamais eu leur place dans nos quartiers (…) », souligne l’organisation américaine des droits civiques ACLU. « Avec cette interdiction, le président a pris des mesures cruciales pour rebâtir la confiance entre la police et les gens qu’elle s’est engagée à protéger ».
De la communication importante
L’annonce de Barack Obama sonne comme un coup de communication. « De la communication importante », précise Vincent Michelot, directeur de Sciences Po Lyon et spécialiste des Etats-Unis. « Evidemment en politique, tout participe de la communication. Mais quand il y a un vrai fond, je trouve cela honnête », souligne Nicole Bacharan.
Mais qu’est-ce que cette mesure peut réellement changer ? Car le fond du problème n’est pas les armes avec lesquelles les policiers tuent les gens, mais plutôt le fait qu’ils tirent sur les gens. « En effet, sur le fond, les policiers auront toujours de quoi tirer », confirme Nicole Bacharan. Mais selon elle, la militarisation des policiers a « quelque chose d’effrayant, de violent, de choquant et d’anti-démocratique. Cela participe à la destruction de la confiance que la population peut avoir dans sa police. Au moindre problème, les gens se retrouvent face à l’armée ». Si la démilitarisation des policiers ne pourra pas empêcher certaines bavures, elle peut tout de même diminuer les tensions existantes.
Il n’y a jamais eu de rapport de confiance entre police et minorité
Cela ne signifie pas pour autant qu’une réelle confiance va s’instaurer. « Il n’y a jamais eu de rapport de confiance entre la police et les minorités », rappelle Vincent Michelot. Et « ce n’est pas pour tout de suite », note Nicole Bacharan. Dans certaines villes comme Ferguson, le racisme de la police envers la population noire a été clairement prouvé. En mars dernier, un rapport publié par le ministère américain de la Justice dénonce les pratiques racistes de la police de la ville (voir notre article : Etats-Unis : un rapport accablant sur la police de Ferguson, et après).
Début mai, une enquête fédérale a également été ouverte pour mettre en lumière les modes de fonctionnement de la police de Baltimore. Le 19 avril dernier, Freddie Gray, un jeune homme noir de 25 ans est mort des suites de ses blessures, après avoir été arreté par la police de la ville. Cette enquête doit déterminer si les policiers de Baltimore ont fait un « usage excessif de la force, y compris mortelle, de fouilles, saisies et arrestations illégales et de pratiques discriminatoires », a déclaré Loretta Lynch, secrétaire à la justice des Etats-Unis.
De nombreuses enquêtes sont donc ouvertes pour tenter de mettre fin aux agissements racistes de certaines polices d’Etat. Pour Nicole Bacharan, il faut également « faire de gros efforts » sur la question de la formation et l’entraînement des policiers. Un des grands sujets concerne la réaction considérée comme légitime des policiers face à un danger. « Aujourd’hui, la consigne c’est : si vous vous sentez en danger, tirez. Sans prendre en compte la vie de l’autre personne en face », regrette la politologue et spécialiste des Etats-Unis.
Depuis deux ans, à Camden, le nombre de policiers sur le terrain a augmenté, celui de postes administratifs a été réduit. Les policiers font un effort pour mieux connaître les quartiers dans lesquels ils travaillent. Cela passe par l’organisation de matchs de basket ou la participation à des ateliers de lecture. Ils ont été encouragés à sortir de leurs véhicules, à échanger avec la population, tout simplement. Selon les chiffres donnés par Barack Obama, la ville connait une baisse de 24% des délits avec violence. « Et le plus important est peut être que les forces de police et les habitants construisent de la confiance, a déclaré le président américain. Si c’est possible à Camden, c’est possible partout ailleurs ».