Alors qu'un nouvel incident a failli déclencher une attaque militaire des États-Unis à l'encontre de l'Iran ce jeudi 20 juin 2019, la tension entre les deux pays est au plus haut. Après la destruction d'un drone américain par l'armée iranienne, Donald Trump a affirmé avoir envoyé des avions de chasse frapper des cibles militaires, mais décidé au dernier moment de leur faire faire demi-tour. Analyse de la situation avec Thomas Flichy de la Neuville, spécialiste du monde iranien.
TV5MONDE : Qui avait un intérêt à attaquer les pétroliers du détroit d’Ormuz ?
Thomas Flichy de la Neuville : Les Américains n'ont plus besoin du pétrole du Golfe persique grâce à leur pétrole et leur gaz de schiste. Par conséquent, des incidents dans le Golfe d'Ormuz sont moins dommageables pour eux. Ce n'était le cas il y a 10 ans. Quant à l'Iran, étant sous embargo, avec peu d'exportations, c'est de la même manière moins gênant qu'avant pour lui, tout comme les États-Unis. En revanche, des incidents dans Ormuz perturbent les approvisionnements en pétrole de la Chine. Dans le jeu régional, il est difficile de déterminer qui a un intérêt à ces attaques, puisque tout dépend de comment ces attaques vont être utilisées médiatiquement a posteriori. Puisqu'en réalité, attaquer seulement des pétroliers est sans effet, c'est un non-événement. Ce qu'il faut regarder, c'est de quel côté souffle le vent médiatique, et quelle instrumentalisation est faite ensuite de ces attaques.
Le régime iranien nie toute implication dans ces attaques, mais d’autres forces politiques en Iran auraient-elles quelque chose à gagner en incitant à une escalade militaire ?T.F.N : Il y a évidemment les Gardiens de la révolution islamique, qui sont à la fois l'élite de l'armée, et du monde des affaires, et qui font du commerce clandestin, avec au moins 80% des importations iraniennes arrivant par des ports en zone franche entre leurs mains. Les Gardiens de la révolution veulent assurer leur survie. Il ne leur faut donc ni une trop grande ouverture aux Occidentaux — ce qui les ferait disparaître comme intermédiaires — ni une fermeture totale puisque ce sont eux qui font la liaison. Pour ce qui est d'autres forces politiques opposées au régime, elles n'ont pas les moyens d'organiser ces attaques, donc la question ne se pose pas.
Que veulent aujourd’hui les autorités iraniennes et américaines, chacune de leur côté ? T.F.N : Pour les Iraniens, depuis la révolution de 1979, ils veulent une politique d'équilibre. Ils se sont ouverts à la Chine, sont en passe d'une ouverture avec l'Inde, et ce dont ils rêvent, c'est un équilibre, en ouvrant aussi à l'Ouest, à la fois aux Européens, aux Etats-Unis, pour si possible les mettre en concurrence.
Pour les Américains, c'est plus complexe parce qu'il y a des forces antagonistes. Trump a intérêt à faire de la communication, et à ne rien faire du tout à l'extérieur, pour éviter de commettre des impairs afin d'assurer sa réélection en relançant l'économie américaine. Sa volonté personnelle — c'est ce qu'il a dit en tout cas — est de retirer les forces américaines au Moyen-Orient parce qu'il a vu que ça avait débouché sur des échecs partout. Mais son environnement proche fait tout pour qu'il fasse l'opposé. Parmi eux, il y a les néo-conservateurs qui sont pro-guerre.
Qui a intérêt à faire tomber le régime en place en Iran ? Et pour le remplacer par quoi ? T.F.N : Il y a deux hypothèses, une cynique et une autre réaliste. L'hypothèse cynique c'est celle de remplacer le régime par le chaos, les Américains ne savent faire que ça. Ils l'ont fait en Libye, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. Donc, en cas de conflit ils remplaceraient le régime iranien par rien, parce qu'ils n'ont pas pensé à une alternative politique et qu'ils en sont incapables.
Pour l'alternative réaliste, avec les forces politiques intérieures d'opposition iraniennes, ce seraient des forces libérales qui conserveraient la religion chiite et l'identité culturelle, avec la haute technologie. C'est ça que souhaite l'opposition libérale en Iran.
Et Il y a évidemment Israël, qui est désigné comme l'ennemi absolu par l'Iran. Israël veut donc faire disparaître le régime des mollahs mais n'a pour autant aucun problème avec la Perse. Avec un régime iranien libéral, les Israéliens seraient les premiers à investir dans le pays si cela survenait. La communauté juive installée en Iran est la plus ancienne et la plus riche du Moyen-Orient. Mais aujourd'hui, en se mettant du côté israélien, le principe est de désigner "le virus de la révolution islamique", et de l'autre, en Iran, la hantise d'être abattus.
l’Iran est à genoux économiquement à cause des sanctions américaines : que peut-il faire aujourd’hui ?T.F.N : L'Iran compense en s'ouvrant à l'Orient : Chine, Russie, Turquie. Ça, c'est ce qu'il fait. Et dans ce qu'il ne fait pas, mais devrait faire, c'est réformer son économie, rationaliser, réformer en profondeur la société.
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