Etats-Unis : la BNP solde ses déboires

L’accord entre la première banque française et les autorités américaines devrait être officialisé après la clôture de Wall Street. L’amende de près de 9 milliards de dollars est la plus haute jamais infligée à une banque étrangère
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Etats-Unis : la BNP solde ses déboires
La banque française BNP Parisbas prête à payer 9 milliards de dollars d'amende pour avoir contourné un embargo américain
(AFP)
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9 milliards le non-procès BNP Paribas s’apprête à solder à un prix record lundi ses déboires américains, en écopant d’une amende pharaonique de près de 9 milliards de dollars qui lui évitera un procès aux États-Unis mais risque de peser sur les relations transatlantiques. Après plusieurs mois d’âpres négociations, l’accord à l’amiable entre la première banque française et les autorités américaines doit être officialisé lundi vers 20h00 GMT (21h00, heure suisse) après la clôture de Wall Street. Chacune des autorités impliquées (le Département de la justice, le régulateur bancaire de New York, Benjamin Lawsky) fera son annonce, a indiqué dimanche à l’AFP une source proche du dossier. La pénalité financière attendue sera la plus lourde jamais infligée par les Etats-Unis à une banque étrangère. BNP Paribas s’est retrouvée dans le collimateur du Département de la justice (DoJ) et de M. Lawsky pour des transactions en dollars vers des pays soumis à des sanctions économiques américaines, notamment le Soudan, l’Iran et Cuba entre 2002 et 2009. BNP a accepté de plaider coupable et de payer 8,9 milliards de dollars (7,9 milliards de francs) d’amende, selon des sources concordantes. Ce montant est huit fois supérieur à celui provisionné par le groupe, qui disposait de 94,4 milliards d’euros de fonds propres à fin 2013. Suspension progressive des opérations en dollars et délai du 31 décembre 2014 Au moins 2 milliards de dollars seront versés aux services de M. Lawsky, qui va en outre imposer à BNP, du 1er janvier au 31 décembre 2015, une suspension de ses opérations de «compensation» (règlement) en dollars, nécessaire pour ses activités à l’international, selon les sources. La mise en place de cette interdiction sera progressive, BNP ayant des opérations en cours. La banque va en effet avoir un délai jusqu’au 31 décembre 2014 pour trouver une solution de remplacement, à savoir une banque qui accepte de régler pour elle les paiements en dollars, ont précisé les sources. Cette sanction concernerait les activités très lucratives de négoce de pétrole et de gaz, au cœur de l’affaire.
Etats-Unis : la BNP solde ses déboires
La bourse de Wall Street à New-York
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L'aveu de la culpabilité Un conseil d’administration extraordinaire de BNP Paribas a approuvé dans le week-end ces sanctions. Cette instance a tenu deux réunions, l’une samedi et l’autre dimanche, a dit à l’AFP une source. " Nous serons sanctionnés lourdement. Parce que des dysfonctionnements sont intervenus et que des erreurs ont été commises ", avait prévenu le directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, dans une note aux salariés du groupe diffusée vendredi. Menace d’impact sur le Traité transatlantique L’aveu de sa culpabilité épargnera à la banque un procès, sans pour autant lever tous les risques: il l’expose à des demandes de dédommagement de tiers ou à la perte de gros clients institutionnels potentiellement amenés à couper les ponts avec elle. Les déboires de BNP Paribas ont pris un tour hautement politique et provoqué des remous jusqu’au sommet de l’État en France, où François Hollande a tenté, début juin, d’intercéder auprès de Barack Obama. Sans succès, le président américain excluant la moindre intervention. Sans contester la légitimité des sanctions, les autorités françaises n’ont cessé de plaider pour qu’elles restent «justes et proportionnées», une exigence réitérée dimanche soir par le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg. «Nous sommes en droit de demander un certain équilibre», a dit ce dernier. Il a renouvelé la menace brandie à plusieurs reprises par le chef de la diplomatie de Paris, Laurent Fabius, d’un impact de l’affaire sur les négociations en cours pour la conclusion d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. «Dans le cadre du Traité transatlantique, la négociation va se durcir», a prédit M. Montebourg. BNP a dû sévir Au-delà des sanctions financières, BNP Paribas a dû, pour apaiser l’ire américaine, faire tomber des têtes. Deux hauts dirigeants, dont le directeur général délégué Georges Chodron de Courcel, et une douzaine de banquiers liés aux opérations litigieuses ont ou vont quitter la banque en conséquence de l’affaire, selon les sources proches du dossier. L’enquête des autorités américaines a porté sur plus de 100 milliards de dollars de transactions, pour déterminer ensuite que quelque 30 milliards de dollars avaient été dissimulés afin de contourner les sanctions, selon les mêmes sources. D’après l’une d’elles, BNP aurait mené certaines transactions prohibées jusqu’en 2012, alors que les investigations des services de M. Lawsky étaient déjà bien engagées.

5 questions sur l'affaire BNP Paribas

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- Que reproche la justice américaine à BNP ?                    La banque a géré des transferts d'argent, notamment pour le compte d'entreprises chinoises selon des sources, à destination de clients situés dans des pays soumis à des sanctions économiques de la part des Etats-Unis.                   La justice américaine a passé en revue 100 milliards de dollars (72 milliards d'euros) de transactions effectuées entre 2002 et 2009. L'enquête a déterminé que quelque 30 milliards de dollars de transactions (21,5 milliards d'euros) avaient été dissimulées par la banque afin d'échapper aux sanctions.                   La majorité des opérations incriminées portent sur des transactions avec le Soudan, essentiellement dans le secteur pétrolier, mais BNP Paribas est aussi accusée d'avoir facilité des transferts vers l'Iran et d'autres pays sous embargo des Etats-Unis.                                                       - Pourquoi le groupe tombe sous le coup du droit américain ?                   Les transactions incriminées, légales en France et en Europe, ont été réalisées en dehors du territoire américain. Mais ces virements ont été effectués en dollars et ont donc transité par les Etats-Unis. Le gouvernement américain exige en effet que tout paiement dans sa devise passe par une chambre de compensation située sur son territoire. Une chambre de compensation est un organisme qui sert d'intermédiaire entre opérateurs financiers (acheteur et vendeur) pour garantir et assurer les paiements. A partir du moment où la transaction passe sur leur territoire, les Etats-Unis estiment que leur droit s'applique.                   Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a relevé que les Etats-Unis avaient opéré un changement de doctrine dans la deuxième moitié des années 2000, se montrant plus intransigeants avec les transactions en dollars effectuées hors de leur sol.                   Le problème soulevé par de nombreux observateurs est que le dollar étant la monnaie des échanges internationaux, beaucoup d'entreprises internationales se retrouvent sous le coup de la loi américaine, créant une sorte d'impérialisme juridique.                                                       - Que risque la banque ?                   Les sanctions ne seront annoncées que lundi soir par les autorités américaines, mais l'essentiel a déjà filtré: BNP devra payer une amende de près de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros), record pour une banque française, et reconnaître sa culpabilité. Le groupe se verra en outre imposer pendant un an une suspension partielle de ses opérations de compensation en dollars. Les services concernés se situent à Paris, Genève et Singapour et comprennent notamment les activités liées au négoce international de pétrole et de gaz.                   L'amende est nettement supérieure à celles infligées à d'autres banques européennes condamnées pour ces mêmes faits (HSBC, Standard Chartered...), mais les analystes estiment que BNP Paribas pourra l'absorber. La banque n'a provisionné qu'un peu moins de 800 millions d'euros en perspective de l'amende, mais elle disposait en 2013 d'un coussin confortable de 94,4 milliards d'euros de fonds propres.                   La reconnaissance de sa culpabilité pose un risque en termes de réputation. Certains clients américains, des fonds de pension notamment, ne peuvent pas traiter avec une banque qui a plaidé coupable. L'établissement pourrait donc perdre des clients.                   Le même risque se pose pour la suspension de la compensation en dollars pour certaines activités: elle ne représente qu'une partie minime du chiffre d'affaires de la banque mais est utilisée par de nombreux clients, qui, même s'ils se verront proposer une solution de remplacement, pourraient préférer se tourner vers une banque qui assurera elle-même la compensation.                                                       - Quelles conséquences pour les clients et les employés ?                   Du côté des clients, la banque se veut rassurante et indique qu'il n'y a aucun impact à craindre des suites de cette affaire.                   La banque s'est séparée d'une douzaine d'employés, dont deux responsables de haut rang, pour répondre à la demande de la justice américaine, mais il ne devrait pas y avoir d'autres départs, selon une source. Côté syndical, la CGT s'est inquiétée dans un communiqué des conséquences pour l'emploi de ces sanctions.                                                       - Quelles suites politiques à cette affaire ?                   En France, l'Élysée, Matignon, Bercy et le Quai d'Orsay se sont emparés publiquement de ce dossier, craignant que des sanctions trop lourdes n'affectent la capacité de la banque à proposer des crédits. Si les autorités françaises n'ont jamais contesté la légitimité d'une sanction, elles ont plaidé pour une réponse équitable n'hésitant pas à mettre dans la balance les négociations commerciales transatlantiques en cours et à solliciter le président américain Barack Obama. Ces réactions sont survenues à un moment où la presse faisaient état d'une amende de 10 milliards de dollars (7,2 milliards d'euros), jugée disproportionnée.