Fil d'Ariane
Netflix, qui jusque-là combattait aux côtés d'autres grandes entreprises du numérique pour que la règle d'un accès égalitaire à Internet soit préservée, a depuis tourné sa veste et s'est même précipitée dans la brèche ouverte par la FCC. Son PDG, Reed Hastings, a déclaré "Ce n’est pas notre premier enjeu à l’heure actuelle. Nous pensons que la neutralité du Net est incroyablement importante mais qu’elle n’est plus aussi capitale pour nous, parce que nous sommes assez gros pour obtenir les accords que nous voulons." L'aveu de Hastings — qui ne veut pas dire qu'il s'oppose au principe de neutralité — est qu'en réalité, avec ses 100 millions d'abonnés, son entreprise peut déjà bénéficier des avantages qu'elle souhaite en négociant des accords avec les opérateurs.
Le cas du "zero rating" s'est déjà posé, et la règle américaine de neutralité du net ne pouvait pas s'y opposer : un opérateur ne comptabilisait pas les données de Netflix de ses abonnés dans les forfaits mobiles, avantageant ainsi le géant de la video en ligne, par un accord en monnaie sonnante et trébuchante. Pourtant, en 2014, Netflix affirmait haut et fort que "L’essence de la neutralité du net c’est que des fournisseurs à Internet comme AT&T et Comcast ne limitent pas, n’influencent pas ou ne se mêlent pas d’une quelconque autre manière des choix que les consommateurs font". Depuis, la firme qui représente 10% du trafic Internet français à elle toute seule est en pointe pour négocier des avantages pour ses abonnés et créer ainsi des accès "Netflix compatibles". Comme il est loin le temps de la défense de la non-influence des opérateurs par Netflix…
Sous prétexte de vouloir permettre au opérateurs télécoms d'effectuer plus d'investissements — en leur ouvrant la voie à une dérégulation partielle ou complète — l'administration Trump, via la FCC, compte en fait permettre la création d'un Internet à péages. Les FAI et autre opérateurs télécoms vont donc pouvoir imposer leurs règles ou à l'inverse, se plier aux caprices des géants du net en échange de contrats juteux, à la mesure des enjeux commerciaux dans le secteur. Les nouveaux acteurs du net ne seront pas en mesure de concurrencer les géants pour bénéficier des avantages que les FAI auront monnayé aux géants, ce qui présage à terme une forme de monopole par l'argent sur le réseau des réseaux : les nouveaux Facebook, Google ou Netflix n'auront alors aucune chance. La puissante organisation de défense des libertés numériques, l'EFF ne s'y est pas trompée et s'est déjà mobilisée : 800 petites et moyennes entreprises de la net-économie ont signé sa pétition pour demander au Congrès de refuser d'adopter les nouvelles mesures de la FFC qui tueraient la neutralité du net… et au delà, le réseau tel que nous le connaissons.
Leur message est on ne peut plus clair : "Sans la neutralité du Net, les titulaires de la fourniture d'accès à Internet pourraient choisir les vainqueurs et les perdants du marché. Ils pourraient altérer le trafic de nos services pour favoriser les leurs ou des concurrents établis".
En Europe et en France
Le règlement européen sur l'Internet ouvert a été adopté il y a un an. Censé garantir une neutralité au net au sein des pays membres, ce règlement tarde a être mis en application. En France, l'ARCEP (le régulateur des Télécoms) ne fait visiblement pas beaucoup d'efforts pour faire appliquer le nouveau règlement européen, largement détourné par les opérateurs. LQDN suit ce dossier de très près et dénonce tant l'immobilisme du régulateur français, que les manquements des FAI.
Extrait de l'article de LQDN "Neutralité du Net : un an après, un bilan gris foncé", sur la VOD :
"En matière de VOD ou VOIP, certains opérateurs profitent de leur situation pour proposer leur propre offre, ou celle d'un partenaire, favorisant le trafic de ce service. Ce type de pratique est totalement contraire au règlement sur l'Internet ouvert. Ainsi, les flux de VOD (ou VOIP) de toutes les offres du marché, quel que soit le fournisseur, devraient passer par cet accès priorisé, sous peine d'empêcher la création de nouveaux services qui ne bénéficient pas des mêmes avantages : barrières à l'entrée sur le marché, mais aussi choix réduit de l'utilisateur en fonction des choix de l'opérateur."