États-Unis : “La plus grande dérive monétaire de l'histoire“. Entretien avec l'économiste Myret Zaki

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États-Unis : “La plus grande dérive monétaire de l'histoire“. Entretien avec l'économiste Myret Zaki
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Pour l'économiste suisse Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe du magazine Bilan, quel que soit le contenu du compromis entre républicains et démocrates à propos du relèvement du plafond de la dette américaine, la situation n'est pas près de s'améliorer. À ses yeux, le monde fait un déni face à l'ampleur de la crise. Parmi les responsables de cet aveuglement, elle pointe les agences de notation, accusées de mentir aux investisseurs.
États-Unis : “La plus grande dérive monétaire de l'histoire“. Entretien avec l'économiste Myret Zaki
Myret Zaki
Est-il paradoxal que la première puissance mondiale soit menacée par sa dette ? Non, car les Etats-Unis ont abusé de leur position et du fait que le dollar soit la monnaie de réserve mondiale. Tout le monde est obligé d’acheter en dollar, notamment le pétrole et les matières premières, et donc d’avoir des dollars en réserve. Mais aujourd’hui, la dette américaine est devenue un placement très risqué, le plus risqué du monde car le dollar est devenu une monnaie de singe. Les Etats-Unis ont imprimé plus de dollars entre 2000 et 2011 qu’auparavant dans toute leur histoire ! C’est la plus grande dérive monétaire de l’histoire.   Comment en est-on arrivé à cette situation ? Depuis la bulle Internet à la fin des années 90, les conditions de crédit ont été beaucoup trop facilitées et l’épargne n'a pas été encouragée. La banque centrale a diminué les taux d’intérêt au moment de l’éclatement de la bulle Internet afin de relancer l’économie américaine. Cette situation a créé la bulle immobilière, qui a éclaté en 2007. Pour sauver l’économie, les taux d’intérêt ont encore été diminués. Ce qui a à nouveau encouragé une bulle de crédit, celle de la dette souveraine américaine, qui risque d’être la plus grande crise financière de l’histoire. Les ménages, les entreprises, les municipalités, les États, tout le monde est endetté aux Etats-Unis. UN TGV QUI FONCE À 400 KM/H DANS UN MUR   Les Etats-Unis peuvent-ils éviter la faillite ? L’État fédéral est déjà techniquement en faillite. En prétendant le contraire, on ment aux investisseurs, aux citoyens, aux marchés, ce qui fait encore monter les taux d’intérêt. Les Etats-Unis sont un TGV qui fonce à 400 km/h dans un mur. Et pourtant il y a un déni complet. Quiconque présente à ses clients la dette américaine comme sûre met ses clients en grand danger. C’est le risque systémique le plus élevé car le dollar est l’eau qui coule dans la tuyauterie du système financier mondial.
États-Unis : “La plus grande dérive monétaire de l'histoire“. Entretien avec l'économiste Myret Zaki
À lire : “La Fin du dollar“, éditions Favre
Auprès de qui cette dette a-t-elle été contractée ? La Chine a un portefeuille de 1500 milliards de dollars. C’est le premier créancier étranger. Mais la Réserve fédérale américaine est devenue le premier acheteur de nouvelle dette depuis 2008 (1800 milliards), ce qui est alarmant. Elle cherche à soutenir artificiellement le marché de la dette. Ce marché est donc très fortement surévalué. En aucun cas il ne mérite le triple A que lui accorde les agences de notation américaines. C’est le plus grand scandale économique de l’histoire. Sur les agences de notations repose toute décision d’investissement dans le monde. Le pays est au bord du défaut de paiement et pourtant les agences continuent de lui accorder un triple A, comme si c’était de l’or : l’actif de référence dont la valeur ne s’altère jamais. Les agences ont une responsabilité énorme, surtout que dans le même temps elles dégradent les notes de la Grèce et du Portugal alors que ces pays font des efforts en mettant en place des plans d’austérité.    Les Etats-Unis peuvent-ils relever le plafond de la dette sans programmer de plan de rigueur ? Le terme « austérité » a disparu du vocabulaire aux Etats-Unis. Les politiques ne veulent plus le prononcer. Mais le pays va devoir vivre sous un régime d’austérité imposée car la croissance ne redémarre pas, 9000 milliards de richesse immobilière se sont évaporés, et l’inflation véritable est bien plus importante que ce que disent les statistiques, ce qui va provoquer une diminution du pouvoir d’achat. Les futures générations vont devoir porter un fardeau gigantesque.
États-Unis : “La plus grande dérive monétaire de l'histoire“. Entretien avec l'économiste Myret Zaki
Le regard de Plantu sur la dette américaine pour le Monde du 27 juillet 2011, reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur
  UNE SUPERPUISSANCE HYPOTHÉQUÉE Peut-on être une superpuissance en ayant une dette si colossale ? C’est une superpuissance hypothéquée, qui doit à la Chine 1500 milliards de dollars. La Chine dit que le Yuan va devenir la monnaie de réserve internationale en 2030, elle la prépare pour cela. Je pense qu’elle le deviendra même avant cette date. À Hong Kong c’est déjà la monnaie de référence. La Chine est le tuteur des Etats-Unis. Même la puissance militaire des Etats-Unis est hypothéquée. Pour s’engager militairement, les Etats-Unis doivent demander l’avis de la Chine.   Pourquoi ce relèvement du plafond de la dette provoque-t-il une telle crise ? Le pays réunit les conditions du défaut comme jamais auparavant. La moitié des États sont en faillite, le dollar est au plus bas, la croissance est très faible et la Chine s’énerve car elle conteste la politique monétaire de la réserve fédérale américaine. Il y a une guerre non déclarée entre la Chine et les Etats-Unis. L’agence de notation chinoise Dagong affirme que les Etats-Unis sont en faillite.   Les républicains jouent-ils avec le feu en refusant le compromis proposé par les démocrates ? Le pays est dans une impasse. C’est une gestion catastrophique, un oubli total des règles les plus basiques de la gestion économique et monétaire. Les républicains préfèrent voir le pays en défaut plutôt que d’augmenter les impôts des plus riches. Il faudrait pourtant à la fois réduire les dépenses et augmenter les impôts. Ils raisonnent comme s’ils avaient le choix, alors qu’ils n’ont pas le choix.